Le sourire réprobateur de Pestarakja
Pesta est un
vieil ami rencontré en Suède en 1954, dans un camp de travail étudiant. Nous
avons ensemble cueilli le persil et fait les foins puis nous nous sommes perdus
de vue pendant un quart de siècle. Quand je suis arrivé pour la première fois à
l’aéroport de Djakarta en 1980, j’ai dit au chauffeur qui m’a pris en
charge :
« Tout
ce que je connais de ce pays, c’est un garçon dont je ne me rappelle plus ni le
nom complet ni l’adresse, un certain Pesta…
- Ah oui, Pestarakja Marpaung…
- Eh oui, ça y est, je m’en souviens, c’est bien ça : Pestarakja
Marpaung ! Mais vous le connaissez ?
- Tout le monde le connaît. C’est un homme d’affaires important. Si vous
voulez, je vous conduis chez lui… »
Et c’est
ainsi que j’ai retrouvé sans peine dans une ville de plus de 10 millions
d’habitants mon ami Pesta.
Pesta est né
à Sumatra. Je me suis laissé dire qu’à Java, les gens de Sumatra sont considérés
comme un peu trop rudes. Pesta l’admet mais il ajoute qu’il a beaucoup appris
et qu’en vingt ans de carrière à Djakarta, il s’est bien adapté :
« Tiens,
je vais te donner un exemple. Au début, lorsqu’un employé arrivait en retard,
je l’interpellais vigoureusement devant tout le monde. Je me suis aperçu qu’en
agissant ainsi, je choquais la culture locale, toute en demi-teintes et angles
arrondis. Alors maintenant, je procède autrement : chaque matin, j’arrive
le premier dans notre grand bureau collectif où je siège sur une estrade et je
dépose à chaque poste de travail un petit imprimé à remplir avec l’heure
d’arrivée et à venir me remettre aussitôt. Lorsqu’on est très en retard, cette
démarche est très embarrassante, d’autant plus que je m’interdis de prononcer
un seul mot…Je scrute l’individu avec un sourire indéfinissable, énigmatique,
interrogateur, pénétrant, moqueur, dubitatif, incrédule, inquiétant… »
J’ai vu
faire Pesta : il fixe l’employé fautif et hoche lentement la tête avec un
sourire large et figé. Il renouvelle plusieurs fois le message non-verbal,
branlant le chef doucement…, doucement…, doucement…Et plus il sourit, plus le
coupable se trouble. Imperturbable, Pesta continue lentement à incliner son
masque souriant et pétrifié jusqu’à ce que la situation devienne pour l’autre
étouffante, insupportable jusqu’à provoquer la rupture du duel, la déroute
honteuse…
Tous ceux
qui ont appris comme moi dans leur Malet-Isaac « il y a 2000 ans notre
pays s’appelait la Gaule et ses habitants les Gaulois » ont dû
également avoir droit au « silence réprobateur » qui
avait accompagné le roi Louis XVI lors de son retour de Varennes.
Pour
moi, « réprobateur » va avec « silence »
comme joyeux va avec drille ou luron et comme triste va
avec sire… Eh bien, maintenant, je sais qu’un sourire aussi peut être
réprobateur !
Suite au
prochain numéro : où l’on passe du sourire au rire !
Daniel Bas dit Chedozot, le 15 mars 2009
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