En ce temps-là, les enfants passaient les vacances d’été dans la nature.
Juillet 1960. Je regarde les gamins du quartier qui tournent et tournent en vélo sur la place du village.
Il fait chaud. Comment meubler un long après-midi de canicule ?
Les plus délurés sifflent de loin une fille qui promène son petit frère ou qui va acheter du pain.
Soudain, debout sur les pédales, un garçon déclenche un sprint digne du récent Tour de France. Le peloton, surpris par ce démarrage, se lance à sa poursuite.
Et voilà comment les coureurs s‘échappent de la maison familiale.
Où filent-ils si vite dans la descente ? Quelle force diabolique les pousse ainsi à brûler leur jeunesse avec frénésie ? La route, droite et lisse, se prête à merveille aux pires excentricités : zigzags, brusques coups de freins, conduite sans main.
Au carrefour d‘Osmonville, il y a regroupement général. Quelle direction prendre ?
Quelqu’un émet l’idée de faire du cross dans la forêt d’Eawy, distante de six ou sept kilomètres.
Mais tandis que certains tergiversent, deux adversaires démarrent en trombe. Une attaque imprévisible. Aussitôt, un groupe de chasse tente de rattraper les fuyards.
Maintenant les enfants pénètrent dans la forêt. Pour une fois, en l’absence des parents. Certains galopins tailladent au couteau un cœur percé d’une flèche sur l’écorce d’un chêne.
A cet âge-là on rit de tout. On chante des bêtises. On pédale à toute allure.
Puis vient un passage délicat, une pente spectaculaire. Je laisse passer les plus intrépides, puis m’élance à mon tour, la peur au ventre.
Quel bonheur ! Ce vent exquis de liberté ! On se laisse griser par la vitesse. Jusqu’au moment où ma roue avant se bloque au creux d’une racine.
Culbute magistrale. Tête la première dans une flaque de boue. L’épaule heurte une branche.
Le guidon casse.
Net.
Où suis-je ? Où sont les autres ?
J’appelle. Je hurle. Pas un ne répond.
Vite, il faut analyser la situation : Il est 15 heures, les copains ne se sont aperçus de rien, mon père revient du bureau par le train de 17 h 15, j’ai deux heures devant moi pour rentrer avant qu’il n’arrive.
Je refais donc le chemin inverse, seul, en poussant une bicyclette déglinguée qui avance en crabe.
15 km à pied. Au pas de charge. Sans boire.
Enfin, après bien des souffrances, je franchis les derniers kilomètres de mon calvaire. Un véritable parcours du combattant.
La maison familiale est en vue. J’entends le train…J’ai juste le temps de placer le vélo dans le garage.
Et de faire semblant de réviser une leçon de maths.
Mon papa s’étonne de me voir plongé dans un exercice de géométrie à cette heure :
-Alors ? Qu’as-tu fait aujourd’hui ?
-J’ai…je…J’ai fini ma rédac…Je…J’ai
-Pourquoi es-tu essoufflé ? C’est ton devoir de maths qui te met dans cet état ?
-Va boire de l’eau. Tu me parais épuisé. Tu me raconteras ton aventure quand tu iras mieux. Je ne suis pas né de la dernière couvée, tu sais…
La semaine suivante, mon père m’a offert un beau vélo bleu ciel, tout neuf, avec un dérailleur double plateau.
Et un guidon incassable.
JAC, le 28 février 2013
Pas né de la dernière couvée...C'est vrai qu'on employait souvent ce terme.Merci pour ces souvenirs touchants !!!
Mon premier vélo était un PEUGEOT,de couleur beige .Le seul marchand,à Saint Saens,en avait 3 en vitrine.J'ai choisi celui qui me semblait être le plus " chouette"et, c'est avec lui que j'ai fait le parcours Isneauville via le Lycée Jeanne d' Arc à ROUEN.
Pour descendre la Cote de Neufchatel, c'était grisant...mais il fallait la regrimper ...et pousser la bécane lourde ...
Quiquine .
Rédigé par : PAULUS PETIT JACQUELINE | 11/03/2013 à 17:41