4 – Les Portugais, brasseurs
d’hommes, de langages et de flores
J’ai
beaucoup de tendresse et de respect pour les Portugais. Ils sont aimables et
admirables. Ce n’est pas toi qui me contrediras, mon Jean-Claude, aventurier
des airs et des mers, toi qui as choisi pour prendre ton envol vers l’infini et
l’éternité une piste proche de celle d’où Henri le Navigateur lançait ses
caravelles à la découverte du monde.
(Lisbonne : Le monument aux Découvreurs)
Je ne
connais pas d‘exemple contemporain d’un peuple aussi petit par la taille (10
millions d’habitants) qui ait essaimé au point d’avoir une langue parlée par
plus de 200 millions de locuteurs, nettement plus que le français ou
l’allemand. Oui, vraiment, le spermatozoïde portugais est le plus prolifique du
monde ! Les Portugais sont allés et venus partout, en Asie, en Afrique, en
Amérique et ils ont partout laissé leur marque : par exemple, que Français
et Anglais aient rivalisé pour se partager les dépouilles de l’empire colonial
allemand au Cameroun ou Cameroon ou Kamerun, comme vous
voudrez, doit bien amuser les Portugais qui ont, les premiers, baptisé ce pays Camarões,
du nom des innombrables crevettes que leurs navigateurs ont rencontrées dans le
golfe de Guinée.
J’ai eu la
chance de pouvoir me rendre dans les cinq pays lusophones d’Afrique et de
visiter ce qui reste du vieux Rio de Janeiro. Partout, on retrouve une discrète
touche portugaise: les petits pavés cubiques noirs et blancs dans les rues, les
petits palais roses même s’ils sont enserrés au milieu de gratte-ciels comme à
Rio, les églises baroques et tout ce qui fait le charme de Lisbonne.
(Les pavements des rues de Lisbonne se retrouvent dans
tout le monde lusophone)
São Tomé e Príncipe est un condensé de ces allées et venues portugaises. Sur ce minuscule confetti, on
mange des tomates vertes mais savoureuses comme à Lisbonne, on parle rien moins
que trois différents créoles à base portugaise, on trouve la plus belle palette
de teints de peau et de couleurs d’yeux imaginable Le métissage noir/blanc est
familier aux Français, le métissage eurasiatique aussi, le métissage
blanc/amérindien nettement moins, le métissage noir/amérindien pas du tout. A
tel point que nous n’avons pas de mot pour cela et devons emprunter à
l’espagnol Zambo ou au portugais Cabocho.
En
portugais, le vocabulaire pousse à l’extrême le détail des métissages : le
mulato, c’est blanc/noir, le cabrito, c’est blanc/mulato, donc en
principe plus clair, le cafuzo, c’est noir/mulato, donc
vraisemblablement plus foncé, le cabocho, c’est noir/amérindien, etc.
Comme des habitants de Goa ou de Macao ou de Timor ont pu être transplantés à
São Tomé, on peut imaginer des métissages encore plus complexes qui donnent des
mestiços et des mestiças qui ont pour point commun d’être généralement
d’une grande beauté.
Je ne
voudrais surtout pas être suspecté de faire l’apologie des « bienfaits de
la colonisation » comme disait un récent projet de loi française
heureusement avorté et je n’oublie pas que São Tomé a été une plaque tournante
de l’odieux esclavage. Mais, après tout, s’il est permis d’établir des degrés
dans l’horreur, je pense que la « colonisation par le lit » et
l’affranchissement par le métissage valent mieux que l’apartheid.
Le brassage
portugais n’a pas porté seulement sur les êtres humains et leurs langages. La
flore en a également bénéficié ou pâti.
São Tomé est
l’un des territoires les plus importants de transfert de plantes entre les
continents, à commencer par la canne à sucre, le café et le cacao. C’est une
île volcanique accidentée (2024 mètres au Pico) et aux sols fertiles.
Elle était inhabitée lors de sa découverte et elle était recouverte d’une
végétation forestière exubérante. Il en reste beaucoup, particulièrement entre
800 et 1400 mètres, ce qu’on appelle l’obó, des arbres de grande taille,
des lianes, des fougères, une canopée continue. C’est la floresta de
montanha. Plus haut et jusqu’au Pico, c’est la floresta de
nevoeiro (forêt du brouillard), avec des arbres de plus petite taille et
une canopée discontinue. Ces forêts primaires n’ont vraisemblablement pas
beaucoup bougé depuis la découverte. C’est en dessous de 800 mètres qu’apparaît
l’intervention de l’homme.
C’est là
qu’on trouve la floresta de sombra, grands arbres d’ombrage des
plantations de café et de cacao. C’est une véritable canopée à recouvrement
proche de 100%. Les érythrines venus d’Amérique portent bien leur nom
latin : umbrosa. Voici, autre exemple, le cedrela odorata en
provenance du Brésil:
(Cedrela odorata, arbre d’ombrage)
D’autres
plantes naturalisées sont venues de l’ensemble du monde tropical comme le
bambou de Chine, le quinquina pour la quinine contre la malaria, le
cocotier, les palmiers, l’avocatier, l’arbre à pain, le tamarin d’Afrique de
l’est.
Les
plantations et l’agroforêt, c’est ce qu’on appelle la capoeira par
opposition à l’obó, c’est-à-dire des boisements secondaires liés aux
vagues de défrichements (pour la canne à sucre puis pour le café, enfin pour le
cacao) suivies de déprises agricoles donnant lieu à des jachères et à la
reprise de la forêt secondaire.
(Magnifique fleurs de l’érythrine, grand arbre
importé d’Amérique pour ombrager les plantations)
Nous avons,
Pascale et moi, eu le plaisir de bénéficier de l’un de ces transferts de
plantes. Le jacquier (Artocarpus heterophyllus) est inconnu dans
l’Afrique occidentale et centrale continentale, nous ne l’avons rencontré ni au
Cameroun ni au Gabon. Il nous a fallu venir à São Tomé pour faire enfin
connaissance de cet arbre originaire de l’Inde et vraisemblablement apporté de
Goa par les Portugais et surtout pour goûter à son délicieux fruit, appelé tout
simplement le jacque. Je laisse à mon cousin Jacques qui peut en jouir à la
Réunion, le plaisir de nous présenter ce fruit dans une photographie tout à
fait avantageuse et pour lui et pour le fruit (qui est, rappelons-le, heterophyllus).
A toi, Jacques :
(Grappe de jacques hétérophiles. Noter au passage
un beau spécimen de métissage Pays de Bray/Pays de Caux)
Daniel Bas, 16 juin 2009
Impréssionants ces énormes fruits !!!
Il y à JACQUES et JACQUES !
On aimerait pouvoir gouter à ce fruit pour
moi inconnu en FRANCE !
Quiquine .
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | 20/02/2010 à 07:12
Petite précision à l'attention des admirateurs de jacques (les fruits bien sûr): j'ai perdu 14 kg depuis cette photo...
Rédigé par : Jac | 16/06/2009 à 12:31