11 – SUÈDE : Le camp agricole de Ricksättra,
apprentissage des conflits sociaux
Longues sont les journées de pluie, à ne rien faire, à ne rien gagner, dans le « trou » de Ricksättra, sans distractions, sans lieu de séjour et de détente. La plupart de nos chômeurs techniques sont venus ici pour gagner des sous, certains n’ont aucune autre source de revenu. On rumine, on stigmatise l’injustice, les privilèges de Franz et des filles…
On boit, on s’échauffe car on a touché la ration mensuelle de bière : les Suédois de 1954 et leurs visiteurs sont en effet dotés de cartes de rationnement en boissons alcoolisées. Tout un commerce clandestin prend place en fin de mois : les travailleurs agricoles suédois nous contactent, cherchent fébrilement à négocier notre ration, toute la Suède est saoule un bon coup avant un nouveau mois d’abstinence…A chacun son modèle culturel d’alcoolisme : aux Français l’alcoolisation quotidienne lente mais sûre, aux Nordiques la cure de mjölk de chaque jour entrecoupée d’une grande saoulerie collective mensuelle, aux Suisses l’ivresse solitaire, dit-on. Ne parlons pas des Polonais dont un dicton a définitivement établi la réputation! Mais déjà en 1954 les Suédois ont assimilé une chose : « Boire ou conduire, il faut choisir ». On voit sortir des restaurants des groupes entiers, des familles entières qui titubent, cornaquées par un chauffeur frais comme l’œil.
Le temps reste plusieurs jours franchement mauvais. L’oisiveté est mauvaise conseillère. Le ton monte et … arrive ce que nous appellerons la “marche sur Stockholm”…“We are not slaves “se lamente Pesta, “We are in right to…” clame Hans. Les deux Français suivent, histoire de rigoler. A pied, à cheval, en voiture, les insurgés gagnent tant bien que mal la capitale : ivresse du retour à la civilisation, étourdissement dans le brouhaha de la grande ville, gêne de paysans malpropres entourés de luxe…
(Stockholm, Palais Royal : relève de la garde. Impressionnant pour les travailleurs de Ricksättra sortant de leur « trou »)
La jacquerie gagne la « Domus » où les rebelles barbus, la glaise collant aux godasses, frappent du poing sur la table de Bengt, plus glauque que jamais. « This is not a student camp…Ce n’est pas un camp étudiant » affirme, péremptoire, Pesta. « You are the responsible…C’est vous le responsable » accuse Hans. “I should not say so. Je n’en dirais pas autant”se défend mollement Bengt. « Nous voulons du pain, du vin et des jeux » disent à peu près les Français. Bref, nous gagnons deux points : notre voyage de retour en autobus est immédiatement offert et dès demain, Bengt viendra inspecter le camp. Nous rentrons en triomphateurs, les hésitants et les « jaunes » regrettent de ne pas s’être solidarisés d’emblée avec les mutins.
Le lendemain, Bengt est là avec son assistante. Les installations du camp sont très médiocres et suscitent la neurasthénie par temps de pluie, il en convient. En conséquence, il offre à tous un week-end gratuit à Stockholm avec hébergement chez l’habitant. Quant à la paye, la météo y pourvoira : un beau soleil est annoncé pour les prochains jours…
Le soir, une discussion animée tourne autour des revendications sociales, du syndicalisme, des minorités agissantes et des majorités silencieuses… Nous avons pour la première fois appris à dire : « Tous ensemble, tous ensemble… ».
Le samedi 7 et le dimanche 8 août, nous découvrirons Stockholm, reçus et guidés par la rousse Kristina. J’ai eu l’occasion de voir trois fois cette belle ville : en 1954, en 1974 avec Claude (20 ans après), en 2009 pour faire connaissance de mon arrière-petit-fils franco-suédois. J’en parlerai prochainement dans « Stockholm d’hier et d’aujourd’hui ».
(L’hôtel de ville, l’image la plus connue de Stockholm)
A suivre…
Daniel Bas , 3 mars 2011.
asics ! Bien content de te savoir rentré au pays, l'ami...
Rédigé par : asics gel | 16/05/2011 à 10:04