Samedi 20 juillet 1946.16 h 10. Il fait chaud en Normandie et dans tout l’ouest de la France. Depuis le début du mois, la température ne descend pas au -dessous de 35°. Sur les chantiers, les ouvriers n’en peuvent plus. Au zoo de Vincennes, les ours blancs réclament à boire.
A la radio, Charles Trenet chante « Y’a d’la joie ». Ma mère voudrait bien le croire, elle fait tant d‘efforts pour s‘en persuader, mais depuis le début de l’après-midi rien ne va : elle se tort de douleur sur son lit. Au milieu du refrain, elle pousse un cri strident. C’est l’instant où elle m’expulse, moi, son gros bébé de 4kg.
Depuis une semaine, mon frère et ma sœur ont été expédiés à la campagne, chez la grand-mère. « Faudrait peut-être bien les prévenir de mon arrivée », dis-je à mon père qui s’éponge le front après avoir coupé mon cordon. Mais, comme il n’y a pas de téléphone et que la poste est fermée en fin de semaine, il faut attendre jusqu’à lundi.
Ce jour-là, avant de déclarer son enfant à la mairie, le papa doit choisir un prénom. Alors, il ouvre un dictionnaire à la lettre J, par exemple, et reste dans cette zone pour prendre sa décision. Entre Jacqueline et Jean-Claude, il vient de trouver et peut enfin rédiger un télégramme rassurant à l’attention des exilés : « Jacques-vous-embrasse-stop-tout-va-bien-Papa-stop ».
Peu d’événements notoires dans le monde ce samedi-là, à 16 h 10, à part un objet bizarre qui passe dans le ciel de Suède. Au moment où, au bord du lac de Komunanklum, un certain Knut X. déclare sa flamme à sa fiancée Gudrun L., une saucisse grise de la taille d‘un bus effleure la surface de l’eau en provocant un immense geyser.
La jeune fille déclarera plus tard aux policiers qui l’interrogent :
« Je suis sûr qu'il s'agissait d'un objet solide. C’était comme un gros ver de terre avec un nez retroussé. J'ai cru voir deux protubérances sur les flancs, deux grosses boules, mais je ne peux le jurer, parce que tout s'est passé vite, beaucoup trop vite. »
Est-ce un missile sol-air-eau ? Un essai nucléaire non transformé ? Un OVNI ?
16 h 11. Depuis quelques minutes, la société d’élevage « Le Progrès » de Theuville-aux-Maillots, petit village de Seine-Inférieure, organise un grand concours de quilles au café Gouy-Hourt. De nombreux lots sont en jeu, dont une batterie de casseroles avec deux becs verseurs, un ballon de football et un superbe mouton.
C’est dire si ce 20 Juillet est un jour creux pour les journalistes.
Cependant, depuis le début du mois, les naissances s’en donnent à cœur joie. Le 6, c’est George W. Bush, futur 43 ème président des Etats-Unis qui ouvre le bal puis, quelques heures plus tard, Sylvester Stallone et William Sheller.
Le lundi 22, c’est au tour de Mireille Matthieu, chanteuse célèbre à l’organe sûr et à la vie qui commence par quelques mots d‘amour.
Toutes ces naissances donnent du cœur à l’ouvrage, surtout aux parents qui, depuis le 8 mai 45, ne cessent de fêter dignement la fin de la guerre. Au fil des mois, je me sens donc de moins en moins seul à naître en 1946.
A chaque fois que nous venons au monde, nos familles applaudissent ou tapent des pieds sur le plancher, pour faire le plus de bruit possible. Depuis le début de l’année, surtout les nuits de pleine lune, le pays résonne de « Boum, boum, boum ». Voilà comment nous tentons d’effacer de nos mémoires les explosions des bombes des années précédentes. C‘est peut-être un peu pour cette raison qu‘on appelle notre génération « le Boom de 46».
Il est 16 h 30 à ma montre à quartz et dans mon berceau. Autour de moi, des sourires me donnent confiance et envie de mordre dans la vie. On ne s’ennuie pas chez vous, mais j’ai hâte de parcourir le monde. Pas besoin d’attendre encore six ans pour subir le premier test d’Apgar.
Vite !
Mon sac à dos !
Sur les routes !
A bientôt !
JAC, le 4 février 2012
J'espérais une petite soeur, mais je me suis vite fait une raison... et puis... je n'avais pas le choix.
Un petit frère sage, pas pleurnichard .On n'imagine pas le plaisir,pour les ainés, de gratter le fond de la casserole de la préparation des biberons Blédine ou Phosphatine Fallières .
Et promener ce Ptit Frère me permit d'échapper à l'autorité parentale,prétexte
d'évasion, de regarder le Monde autrement.
Quiquine.
Rédigé par : PAULUS PETIT JACQUELINE | 08/02/2012 à 13:20
Et l'enfant parut.
Rédigé par : Phil' | 04/02/2012 à 21:41