Destins de quelques femmes du Pays de Caux
A cinquante ans, Gilberte, se sentait encore en âge de procréer. Elle disait qu’elle avait des « espérances » et vantait les exploits de son ardent mari, fringant septuagénaire.
Il fut une période où elle répétait de magasin en magasin, qu‘elle avait « des doutances ». Au fil des jours, elle clamait de plus en plus, partout dans le bourg :
- P’têt’ ben qu’j’y si, p’t’êt’ ben qu’ j’y si pas…
Alors, comme toute femme dans son état, elle commença à faire le tour des boutiques pour connaître les prix des « voitures à poulot » (landaus), des barboteuses et des couches culottes, ne retenant que ce qu'elle avait choisi de mieux pour son futur « éfant ». Elle claironnait dans les rues ou sur la place du marché :
-C'est point parce qu'on est « dz’ ouvriers » que l'gamin il aura pas des nippes modernes !
Mais, au bout de quelques semaines, elle fut obligée de passer dans tous les commerces pour annuler ses commandes.
La pauvre Gilberte, dépitée, « n'y était point ». Adieu les beaux achats pour le futur « bézot »*
Hélas, ce n'est pas Gilberte qui mit au monde un « descendant », mais sa fille de 13 ans…
Quant à Bernadette, notre jeune employée, beaucoup avait remarqué quelques transformations en elle. Ses rondeurs qui se développaient anormalement de jour en jour et son visage bouffi, ne laissaient aucun doute aux observateurs avisés. La jeune fille, quelque peu embarrassée, baissait la tête quand elle sentait les regards tournés vers son apparence nouvelle.
De temps en temps, elle tâchait de couper court aux commentaires égrillards en martelant sa défense :
-J’ suis pas « enceintée » ! J’ai pas couché ! J’ai pas couché, j’ vous dis !
En fait, l'amoureux lui avait assuré qu’il n’ y avait aucun danger.
Et pourtant, il avait bien fallu se rendre à l'évidence.
La pauvre, qui avait cru « eul gars du coin », ne cessait de répéter :
-J’comprends point ! J’comprends point…On s’est « embrassés » debout…
(Les filles devraient se méfier des baisers debout...)
C'était dans les années 1958 où les connaissances en la matière étaient plutôt simplettes.
Combien de Bernadette ont cru ce que leur susurrait le fiancé d'un soir dans le creux de l‘oreille !
JAC, le 28 mars 2012
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