Les Réunionnais aiment les fêtes, les dîners dansants où la musique se doit de pulser à cinq kilomètres à la ronde, pour bien faire comprendre aux voisins que la vie est belle, à boire, à manger, à se trémousser.
Jacques, lui, n’est pas un grand amateur de mariages, de communions, de soirées orchestrées par un animateur qui, au micro, vous oblige à applaudir au coup de sifflet, à vous éclater à la queue leu leu ou à beugler hip, hip, hip, hourra ! pour imiter les vainqueurs de la coupe de France après le match dans le vestiaire.
Trop de bruit pour ses oreilles fragiles. Trop d’agitation. Le whisky qui coule à flots n’est pas sa tasse de thé. Et puis, il faut attendre si longtemps entre les plats.
Alors, il zappe huit cérémonies sur dix.
Malgré tout, aujourd’hui, exceptionnellement, il a décidé de se rendre au mariage de Marie-Thé et de faire acte de présence dans la salle de restaurant, du moins dans la première partie de la nuit.
Avec difficulté, il a fini par trouver un pantalon propre dans son armoire, il s’est rasé et coiffé. Il est même allé jusqu’à chercher pendant dix minutes l‘unique cravate en sa possession, mais il s’est rappelé l’avoir abandonnée un jour dans une poubelle quelconque.
Il a échappé au oui à l’église, aux traditionnelles photos sur la plage, au cortège sonore de voitures enguirlandées de rubans et de papillons mauves.
L’ambiance est agréable. On a mis les petits plats dans les grands. Les musiques se succèdent avec bonheur.
Vers minuit, une occasion en or se présente : Guylène a froid. Elle a besoin de redescendre chez elle, et de ramener des pulls, une couverture pour les enfants et des chaussures plates, car les talons aiguilles empêchent de danser correctement le Kuduro.
Jacques en profite pour faire partie du voyage. Lumières tamisées, slow américain pour les époux, c’est le moment de filer à l’anglaise. Jacques ne veut pas descendre avec sa Toyota : elle fumait tellement dans la montée. Pas question de faire courir de risque à sa femme lors du retour.
A proximité de la discothèque Apollo Night, le milieu de la route est encombré de voitures mal garées et de jeunes qui s’interpellent, une bouteille de bière à la main. Deux garçons semblent se battre et créent un attroupement. Ambiance électrique oblige, Jacques suggère à la conductrice de faire marche arrière et de prendre une petite rue pour contourner l’obstacle.
On arrive à la maison. Guylène fait une razzia dans les pull-overs et les châles.
Aussitôt les deux femmes repartent.
Pas un chat dans le quartier. A croire que tous les habitants sont invités au repas de noce dont il vient de s’éclipser dès la première entrée. Il n’aime pas ce silence. Aussitôt, il téléphone aussitôt à sa femme pour l’avertir qu’il ferme les portes au verrou. Comme il est le seul dans la maison à posséder une clef, la fille ou la mère n’auront qu’à faire sonner le téléphone pour qu’il descende leur ouvrir.
Jacques regarde les résultats du foot, mange un yaourt 0% au café, puis s’endort comme un bébé.
Dans son rêve, il doit combattre des voleurs, des mercenaires ou des assassins. Il court, il se débat, il tente de leur porter un coup fatal.
Des gens crient. Le téléphone sonne. On dirait que quelqu’un frappe au volet. Au volet ! Mais c’est impossible ! C’est juste là, à trente centimètres de sa tête !
Une attaque. C’est sûr.
Mais, soudain, il y pense…Et si c’était sa famille…Il est trois heures du matin…C’est bien ça. Il n’a entendu ni le téléphone ni les appels désespérés.
Il ouvre la porte d‘en-bas et monte se recoucher.
Guylène surgit. Elle n’a pas le temps d’expliquer. Elle ouvre les volets. Bernard passe la tête. Entre à quatre pattes. Il se tort de rire…
Le cousin a fait le tour de la maison dans le noir pour trouver une échelle. Grâce à la petite lampe de son portable, il a fini par en trouver une, posée le long du mur. Puis il a grimpé. A tâtons, il s’est avancé jusqu’à la fenêtre. Il a frappé de toutes ses forces, en pensant que Jacques pourrait entendre.
Mais Jacques a le sommeil lourd. Surtout quand il a bu du punch et du bourgogne.
Bernard ne cesse de répéter :
-Quelle belle nuit ! La pleine lune ! On voit bien les étoiles depuis ta terrasse du premier étage.! Mais tu me dois une cravate et une chemise que je viens de tacher et de déchirer.
JAC, le 10 août 2013
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