Tout va bien jusqu'alors.
Le carrosse vient d’arriver avec les princesses habillées de rideaux et de volants. Silence de mort pour accueillir la future belle famille.
Il paraît que c'est la coutume. La procession commence. Lente, très lente. Pas un mot. Tout le monde est concentré. Surtout les futurs causeurs qui révisent leur texte. Le premier qui prend la parole a le bras en écharpe et la langue nouée. Dès les premières secondes, ému par l’enjeu, il perd le fil de son discours. Les invités sont crispés. :
-J'ai l'honneur...j'ai l'honneur...(silence)...(applaudissements d'encouragement)…j'ai...je…(silence). Je vous présente mon cousin, il voudrait s'engager… j 'ai l'honneur de vous autoriser à …à demander de… vous accorder depuis six ans qu'il connaît...qu'il fréquente Suzanne…qu’il fréquente Suzanne… pour tout ce que vous avez fait pour elle, pour lui, (grosses gouttes de sueur)....je… il vous demande sa confiance....
Puis discours hésitant du beau-père, de la belle-mère...Ensuite, distribution de fleurs bleues parfumées, de boudoirs, d’autres fleurs mais qu'une dame accroche à votre robe, si vous avez un pantalon. Punch, boudoirs, punch, musique pas trop forte. Les hommes enguirlandés, embarrassés dans leur costumes. Des éléphants, non pas à pattes d'eph', mais en accordéon. Costumes trop justes, costumes trop longs. On s'éponge, on s’essuie, on s'éponge. Il fait chaud. Les enfants sont déjà fatigués. Les femmes, des Charolaises chaussées de charentaises, engoncées dans plusieurs couches de nappes de table, poudrées de paillettes, suant, soufflant leur douleur.
Je profite d’une phase de confusion généralee pour m'éclipser discrètement : la demande est « partie ». On viendra me chercher pour le repas.
Le soir, en entrée on a boudin, ballottine de volaille, cari de poulet, cari de canard, rôti de porc. En sortie, on nous sert un cari de …je ne sais pas, de pintade peut-être.
Le vin ? Pour moi ce sera de l'eau minérale.
Mais, et c'est le principal, tout le monde est content. Moi aussi. Les tontons fâchés hier causent aujourd’hui récoltes. Les voisins encore en froid avant-hier boivent le punch d‘après-demain.
Personne ne se doute qu’il y a à cette table un scrutateur de mœurs aux aguets.
Et il se délecte du spectacle.
JAC, le 11 avril 2014
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