11 heures. Quelque part dans un petit village du sud-ouest.
Depuis trente minutes la famille du défunt attend. Quand donc va commencer la messe de funérailles ? Au fait, où est monsieur le curé ?
Il règne dans l'église Saint-Jean un silence pesant entrecoupé de sanglots.
Soudain à l'extérieur, probablement sur le parvis, une voiture freine bruyamment, tandis que le conducteur klaxonne avec insistance, sans aucun respect pour la douleur des familles.
Surprise. Stupeur. Le pilote n'est autre que l'abbé ! Laissant battre le portail, bousculant des bancs, des chaises, l'ecclésiastique fait irruption dans la nef. Une phrase, une seule, soufflée, bredouillée, chuchotée, parcourt les rangs et se propage, irrésistible, à la vitesse d'un raz de marée : il est soul !
Dans un ensemble parfait, toutes les têtes se retournent vers le fauteur de trouble. L'indignation est à son comble. Incroyable ! L'ecclésiastique titube, chantonne et gesticule après des mouches invisibles.
Aussitôt le frère de la défunte se lève et se précipite vers l'homme ivre. Il s'oppose à ce que le prêtre célèbre la messe dans cet état.
-Quoi ? riposte le père, c'est pas toi qui va m'empêcher de...
Il s'ensuit une violente empoignade. Les deux hommes en viennent vite à échanger des coups. Des cousins arrivent à la rescousse. Malgré la foule qui fait bloc contre lui, le dignitaire parvient à se dégager. On croit un instant que l'échauffourée va en rester là. Pas du tout. Au moment le plus inattendu, le prélat décoche un magistral coup de poing au menton de son adversaire qui tombe à la renverse. Un uppercut efficace, parfaitement ajusté que tous les boxeurs tentent souvent au cours des combats, mais rarement avec succès.
Les cris fusent dans le choeur. Le curé s'extirpe de la foule. Les employés des pompes funèbres tentent de calmer la vindicte populaire et demandent au pasteur irresponsable de bien vouloir s'excuser auprès des familles en deuil. Impossible : l'ivrogne entêté revient vers ses antagonistes, prêt à en découdre une deuxième fois avec qui veut s'approcher de lui.
Sur le parvis de l'église à présent, des courageux ceinturent l'ivrogne et l'empêchent de pénétrer à nouveau dans l'édifice religieux.
Les gendarmes interviennent discrètement pour interpeller l'individu et le soumettre à un contrôle d'alcoolémie.
On appelle en catastrophe le curé du village voisin. Vers midi la messe est enfin célébrée.
En toute sérénité cette fois.
JAC, le 15 juin 2014
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