6 janvier 2015, Bagan, Birmanie
Si je suis venu à Bagan, c'est bien sûr pour visiter les temples et les pagodes connues dans le monde entier, mais c'est peut-être aussi dans le secret espoir d'y retrouver ma grand-mère.
Le hasard fait parfois tellement bien les choses : à l'entrée du temple Ananda, au moment le plus inattendu, elle était là, assise sur une natte, en train de vendre des bonbons au tamarin.
Son âme n'a pas une ride, son palais, pas une seule dent.
Depuis notre première rencontre, tous les jours je viens la voir. Elle me serre fort les mains ou accroche ses doigts gourds à mes poignets.
Quel âge peut-elle avoir ? 70, 100 ans ? Je ne saurais dire.
Aujourd'hui je suis venu prendre congé d'elle. Mamie Bonbons m'a tendu un tabouret d'enfant. Et je suis resté là longtemps à écouter ses histoires. Sa voix est douce. La langue birmane chantait à mes oreilles. Elle souffre de la hanche. Accident de charrette il y a dix ans. Pas d'argent pour réparer le col du fémur. On a attendu des années que la nature consolide, fossilise à l'instinct l'échafaudage branlant de ses jambes tordues.
Mais la vieille femme n'a plus jamais remarché depuis ce grand malheur.
On la dépose le matin, on la reprend le soir. On compte les billets qu'elle enfouit dans son sac. Qui donc ? Pas facile de savoir.
Ses voisins de colliers et de bouddhas en jade lui traduisent au fur et à mesure les nouvelles que je lui apporte de mon pays. Grand-mère hoche la tête. La France, là-bas, de l'autre côté de la montagne, c'est loin.
Au moment où je la quitte et pour toujours, elle fait le geste théâtral de pleurer toutes les larmes de son cœur.
Alors elle secoue une dernière fois la tête et me susurre à l'oreille : « Bye,bye... »
J'ai une grand-mère en Birmanie. Elle est très belle, très douce et elle vend des bonbons au tamarin.
JAC, le 14 février 2015
Commentaires