Guinée Equatoriale, 1982
5 – MBINI, ex-RÍO MUNI, partie
continentale du pays:
chlorophylle et sanguine
Le continent
est très différent de l’île de Bioko. Certes, on y retrouve la végétation
équatoriale foisonnante et le camaïeu de verts, mais des verts plus bleus, plus
profonds, plus sombres vu l’épaisseur de la forêt dense. Rares sont les verts
tendres à dominante jaune. Et puis, l’autre couleur qui prévaut ici est la
couleur brique omniprésente de la latérite. La sanguine et la chlorophylle font
bon ménage pour l’œil mais seraient un peu monotones sans les petites taches
vives et claires de bleu et de blanc dont nous divertit l’artiste, Pascale,
très inspirée par ce pays :
(Poussière couleur rouille et « ligne bleue » de la forêt. Huile sur toile 40X50. Pascale Bas, 1982. Collection Daniel Bas)
(Piste de latérite au départ de Bata)
Ces pistes
de latérite, nous les avons bien connues car nous avons traversé, Pascale et
moi, toute la partie continentale de Guinée Equatoriale depuis Bata jusqu’à la
frontière gabonaise en 4X4 en compagnie de Christine Bockstal et de son Paco.
Au volant : Jean-Michel, le « meilleur chauffeur du monde », car
nous étions au lendemain de la saison des pluies, les rivières étaient en crue,
la plupart des ponts avaient été emportés, nombre de bacs étaient défaillants.
Nous étions, de l’aveu des populations rencontrées, les premiers à oser passer
par là en cette fin d’année 1982. Il doit rester sur notre itinéraire une
légende des quatre Blancs ailés que les vieux racontent aux enfants à la
veillée…Et il reste chez Pascale la légende de Chedozot
« aventurier ». On sait ce qu’il faut en penser.
J’ai le
souvenir d’être souvent descendu de voiture pour pousser. Ma mémoire de
l’expédition est gorgée d’eau, noyée dans des lacs et des fleuves, assombrie de
forêts épaisses, riches en okoumés et acajous, assourdie du bruit des arbres
qu’on abat et qui, en tombant, en entraînent d’autres en cascade, secouée par
le tremblement et le grondement des lourds convois de grumes…
(Convoi de grumes)
Je titille
ma mémoire, je me souviens : l’espoir renaît avec des gués, s’évanouit
avec des ponts effondrés ou branlants, des bacs hors d’usage… Les images
s’encrassent dans la poussière de latérite ou s’enlisent dans la boue teintée
du brun rouge de l’hydroxyde de fer… L’odeur envahissante de l’humus
pourrissant nous incite au renoncement…Se laisser choir, abandonner…Il faut
réagir, survivre : plein de petites bêtes avec du poil aux pattes, des
légions de fourmis ravageuses en colonnes par cent nous invitent à l’action
rapide… Pousser, tirer, haler, remorquer…
(100% chlorophylle, même l’eau paraît vert foncé. Rio Ekuko)
(Que d’eau ! Que d’eau! Rio Mbini )
(De Bata à Cocobeach en 4X4 au lendemain de la saison
des pluies. 5 ou 6 rivières à traverser sans ponts ni bacs dignes de ce nom)
Une touche
de fraîcheur, de douceur et de lumière, s’il te plaît, Pascale, une touche de
couleur vive, du rouge franc et du bleu qui pète après cette longue randonnée
dans le rougeâtre et les dégradés de vert sombre virant aux bleus… Merci,
Pascale…
(Femme au parasol rouge. Huile sur toile 40X50.
Pascale Bas, 1982.)
Le Gabon est
en vue : plus que l’embouchure du fleuve Muni à traverser. Nous louons une
pirogue à moteur et nous accostons sur une petite plage déserte de Cocobeach.
Déchargement des bagages et Christine et Paco repartent vers la rive
équatoguinéenne en nous saluant de force gestes d’adieu : « Adios !
Adios !... ». Sur un promontoire, quelques mètres au-dessus de
nous, trois gendarmes gabonais en grande tenue et au garde-à-vous se
manifestent alors sans aménité :
« Ce
ne sont pas les Espagnols qui font la loi ici ! Présentez vos
papiers ! ».
« D’accord,
d’accord, dis-je en sautillant d’un pied sur l’autre, laissez-moi au
moins le temps de mettre mes chaussettes et mes chaussures pour me présenter
correctement aux autorités ! »
« Veux
pas l’savoir ! Vos papiers et que ça saute ! ».
Nos papiers
sont confisqués. Interdiction de quitter la ville. Et on nous plante là…
La suite au
prochain numéro : « Cocobeach : En garde à vue chez
Mado ». Il y aura des moments difficiles, les personnes sensibles
pourraient être choquées… Allez, Pascale, pour relâcher l’étreinte de
l’angoisse, encore quelque chose de joli et de rafraîchissant, s’il te plaît.
Merci, Pascale :
(Etude Pascale Bas. Besoin de couleurs primaires vives
après les camaïeux de vert et de brique…Au Gabon et en Guinée Equatoriale, les
« vieilles » femmes fument fréquemment la pipe. On y appelle
« vieille femme » celles qui ne peuvent plus avoir d’enfant, donc
d’environ 45 ans. Vieux ou vieille n’est jamais péjoratif en Afrique)
Pascale et Daniel Bas, 28 mai 2009.
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