Eloge du rire :
Le phénomène
du rire me fascine depuis toujours. Dès 1942, j’avais dix ans, avait fleuri
toute une série de livres scolaires intitulés : « L’arithmétique
en riant », « La grammaire en riant », etc. Le
gouvernement de l’époque pensait sans doute que les enfants de la guerre
avaient bien assez de tourments comme ça. J’en ai gardé l’habitude de rire
beaucoup en travaillant, le stress du boulot appelle chez moi le rire comme
antidote. Je gagne ma vie à la larme de mes rires…
Les Suédois ont officiellement reconnu les bienfaits du rire qui apaise les conflits et augmente les rendements: ils ont introduit dans leur administration des cours de rire. Une fois par semaine et pendant trois heures des groupes de douze échangent des blagues, regardent des films comiques et font des exercices physiques pour sourire plus largement : « Nous entraînons les coins de la bouche à faire des mouvements d’extension, une sorte de gymnastique pour les muscles » explique Ulla-Christin Svensson, professeur d’humour. Rien que de lire ça, et déjà je commence à me marrer ! Je pense au chat de Walt Disney dans « Alice au pays des merveilles » : des posters pourraient utilement décorer les murs de la salle de gymnastique zygomatique du Docteur Svensson…
(gymnastique zygomatique pour fonctionnaires suédois)
Selon
Bergson, le rire est une réaction irrépressible à l’introduction d’une brusque
rigidité dans un processus dont on attendait et dont on pouvait prévoir un
déroulement normal en souplesse. Vous voyez un monsieur marcher dans la rue.
Votre cerveau qui a bien enregistré le processus normal de la marche vous
informe que ce monsieur va continuer avec aisance à mettre un pied devant
l’autre et recommencer…Or, il trébuche sur le trottoir : ce
dysfonctionnement, cette soudaine rigidité introduite dans le processus vous
porte à rire (même si votre bonne éducation vous censure et vous fait
secourable). Même chose pour le lapsus qui perturbe le déroulement normal et
prévisible de la phrase et provoque le rire, même s’il s’agit d’un humour noir
qui fait rire jaune. J’ai écrit un jour au maire de Cahors que nos anciens
manquaient de lieux de moisirs … J’ai relu plusieurs fois ma lettre
avant de l’envoyer et n’ai pas vu l’erreur, le dérapage…Malencontreux lapsus
calami ! Moi, je trouve ça drôle.
Qu’on ne rie pas des mêmes choses d’une culture à l’autre est bien connu. C’est que la « normalité » du déroulement en souplesse varie avec les différentes cultures, les différentes époques, les différents lieux, les différentes tranches d’âges, les différents sexes, les différentes professions, etc. Dans le Japon traditionnel, par exemple, on ne devait rire que dans les bains publics. Mais le rire est partout, c’est « le propre de l’homme » et nous l’allons montrer dans le cas de l’Indonésie. Bienvenue, Monsieur l’ambassadeur, vous allez voir que les cadres que vous nous avez confiés ne s’ennuient pas à l’Ecole supérieure de Commerce de Lyon :
(Visite d’inspection de S.E. Monsieur l’Ambassadeur
d’Indonésie en France, 1980. Au centre, Jacques Lagarde, DG de Sup’ de Co’
Lyon. A gauche, Chedozot )
Les voici, les cadres que Chedozot est allé interviewer en côte à côte et
sélectionner à Djakarta. Pendant trois mois, ils ont embaumé les couloirs de
l’école de commerce de Lyon de leurs cigarettes au clou de girofle. Ils sont
parfaitement adaptés à notre environnement et vous voyez que maintenant, ils me
regardent bien en face et rient de bon cœur. Il faut dire que le sujet de mon
séminaire, c’est du gâteau : les problèmes interculturels dans les
affaires internationales. Cela permet d’aborder précisément toutes les
« bizarreries de l’autre » et de prendre conscience de sa propre
culture en analysant celles des voisins. Les Indonésiens s’en donnent à cœur
joie car leur pays comporte une multitude d’ethnies : notamment, Bataks et
Javanais échangent des propos moqueurs en toute amitié…
Vint le jour de la remise des diplômes. Le courant passait suffisamment entre nous pour que la solennité de la cérémonie, présidée par l’ambassadeur, ne vînt pas ternir la bonne humeur. Je n’avais qu’un petit souci : mon unique participante avait vu à la télévision qu’on embrassait volontiers les dames lorsqu’on leur remettait une décoration, un prix ou un certificat. Elle m’avait demandé si c’était bien une habitude répandue chez nous. Je lui avais dit que oui et que je comptais bien en user lorsque je lui remettrais son diplôme. Elle semblait effrayée par cette perspective…
Donc, le jour J, à l’appel de son nom, je fais un commentaire du genre : « Et maintenant, nous allons voir si la postulante a bien assimilé son cours de problèmes interculturels et si elle mérite vraiment son diplôme… ». Mais regardez plutôt :
Bravo, c’est gagné ! Quand je vous disais qu’on sait rire et sourire en Indonésie ! Voilà comment je conçois les relations internationales : plein de rires et de bisous !
Daniel Bas dit Chedozot, le 16 mars 2009
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