Au bout de trois ou quatre kilomètres, l’îlot rocheux bleuté, surgit à l’horizon et semble se dresser en rase campagne : la mer est encore presque invisible à cet endroit.
Je marche d’un pas allègre de pèlerin, pressé de m’élever vers les hauteurs spirituelles et peut-être aussi de savourer la soupe des moines, aux talents culinaires depuis longtemps reconnus.
De part et d’autre de la route sinueuse, des buissons de troènes colonisent les dunes, peuplées de corbeaux et de goélands. Ici et là des canards à tête verte se rassemblent, occupés à chercher dans le sable les vers dont-ils sont friands.
J’évalue le temps que mettra le cuisinier pour émincer ses oignons. J’ai téléphoné il y a une heure, s’il n’a pas oublié d’arracher quelques pommes de terre, s’il ne lui vient pas l’idée de trébucher dans les escaliers de pierre, il ne devrait plus être très loin.
En attendant, mon sac à dos me pèse, le soleil se cache, j’ai faim et de gros nuages noirs m’inquiètent.
La route s’élève de quelques mètres. Aucune 2CV jaune à l’horizon.
Quelques étendues d’eau. Des pêcheurs de crevettes poussent devant eux une large épuisette à lame biseautée.
La vase devient de plus en plus grise. Les corbeaux de plus en plus nombreux. Le vent qui se lève, amène des relents de légumes fermentés, des pestilences de poissons morts.
Peu à peu, le Mont se voile de brume. Un brouillard épais avance sur la grève. Il est cinq heures et je ne vois toujours rien venir pour m’aider à franchir plus facilement les derniers kilomètres.
C’est maintenant le domaine des moutons de pré-salé. Tête et pattes noires, ils broutent en liberté. Peut-être aurons-nous droit, ce soir, après le potage, à cette spécialité de la baie. On dit que la chair est d’une saveur et d’une finesse incomparables…
Tiens ! Voilà mon taxi ! Joyeux appels de phares, klaxons scandés. Mais…la Citroën en question n’est qu’ une caricature de véhicule à quatre roues…Le châssis touche quasiment le sol. L’architecture entière croule sous le poids de bagages, de caisses, de voyageurs. Hilare derrière ses petites lunettes rondes, le chauffeur s’arrête à ma hauteur…
-Je vais conduire ces messieurs-dames à la gare…Je passe vous prendre au retour…
Message reçu. Je continue mon chemin. Ce n’est pas mon jour de chance. Quand je serai parvenu dans la Grand-rue, je tâcherai de trouver un guide de Venise ou de Florence. Si les magasins sont encore ouverts.
18 heures.
J’avance, j’avance, comme un automate. Je parie que j’arriverai à l’abbaye avant mon préparateur de soupe. A présent, le brouillard est si épais que je distingue à peine les véhicules que je croise. J’aurais peut-être dû partir au Maroc. En mai, la lumière y est si douce. Le Rif est couvert de fleurs. Ou à Venise. Et même en Sicile, tiens ! Pour y photographier les vestiges grecs.
-Excusez-moi pour le retard…
Mon cuisinier-chauffeur s’arrête tout près de moi et m’ouvre une portière bienveillante à défaut d’être bien huilée. Les pieds me brûlent. A la réflexion, les mocassins de ville ne sont pas adaptés aux randonnées champêtres.
Nous ne voyageons que sur un ou deux kilomètres, pas davantage. Juste le temps d’échanger quelques politesses incontournables sur la lenteur des trains, de masser mes mollets endoloris et de boire à la régalade la bouteille d‘eau entamée par mes prédécesseurs.
JAC, le 5 octobre 2011
(A suivre)
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