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Ç’aurait pu commencer ainsi, dans les grands sentiments:
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"Désormais, je détesterai les chiens en secret. Je suis devenu sournoisement cynophobe comme on sombre dans la misanthropie à force de coups reçus. C'est ma nouvelle mode, le cynisme. C'est une denrée qui remplace la passion, une sorte de plein qui se rue dans le vide. Car j'aurais sans doute bien davantage aimé Pauline si j'avais eu la force morale de surmonter mes écœurements en m'extasiant devant les reliefs que son bouvier, insensément développé, abandonnait distraitement comme des douilles sur les lieux de ses crimes. Du très gros calibre que je ne puis plus voir en peinture, n'en déplaise à nos amis cynophiles. Cependant, j'ai caché mon jeu et tenu longtemps avant de changer radicalement mon fusil d'épaule."
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Ça a donc plutôt commencé ainsi:
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" Au début, j'ai même trompé ma haine dans des petits leurres intellectuels. Je suis allé jusqu'à écrire des billets doux à sa gloire. Je lui ai fabriqué un système psychologique ad hoc, je l'ai porté aux nues et hissé au rang d'humanoïde. J'ai ébauché des contes d'enfants à sa mesure, j'ai construit des scénari surréalistes dans lesquels je lui ai toujours attribué la part du lion. J'ai atteint le comble en poussant le faux zèle cynophile jusqu'à potasser des traités d'héraldique. Je lui ai décerné un blason et je l'ai anobli dans une cérémonie d'adoubement initiatique. Ah, nous avions bien ri Pauline et moi, à la lecture solennelle des armes d'Onésime. Elles tenaient dans ce descriptif lapidaire et ésotérique:
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– Lion gisant d'argent au culier vair parti d'azur...
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C'est fou ce que j'ai pu turbiner pour ce gredin, afin de monnayer mes plaisirs avec Pauline, sa douce maîtresse. J'ai réussi, mais à quel prix! Faut-il que je conte mon calvaire puis ma résurrection, et puis je ne sais quoi au juste...Car là, c'est à vous de jouer. Il y a assez de canards et de télévisions pour vous livrer la suite. Moi, j'ai seulement confié ces écritures sous pli scellé à mon avocat, Maître Pigagnol, avec la recommandation:
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– « A n'ouvrir qu'au cas où il m'arriverait malheur».
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Ce micmac m'a follement excité, dites. Se confesser de long en large en se disant qu'on sera lu post mortem, ça a de quoi mettre du sel dans les endives, non?
Parce que ne vous y trompez pas, ce qui suit livre l'auteur d'un crime qui n'a pas encore été commis au moment où je vous parle. Le mobile, tout est là.
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Je reprends le fil, par conséquent, avec délectation, bien que l'évocation de cette tranche de vie ne confine pas à l'ivresse.
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Pauline, on ne couche pas avec elle sans montrer patte blanche. Je veux dire...sans lui chuchoter dès les préliminaires ô combien dément est le genre canin...sans lui relater avec ferveur quelque anecdote significative de la profonde finesse intellectuelle des chiens, alors qu'en douce, je sais l'indigence de ce que j'appelle le «boudin» artésien, réincarnation aboyante, à mes yeux, du polochon...Et celle du Whippet Bleu donc!...cet ersatz de lévrier à l'anatomie de lapin écorché. En plus décharné, je pèse mes mots. Avez-vous remarqué ceci: plus les cabots sont chers, plus ils sont laids...adipeux ou squelettiques, bardés de couenne, pileux jusqu'à l'obsession ou désespérément glabres, mâchonnés de la gueule ou sucés en pointe.
Mais pour avoir Pauline, il fallait aimer le chien, car avec elle, quand on adhère et qu'on cotise, on est de son parti. Et donc, on est des siens...J'allais fourcher de la langue. Fort de cette compromission, on peut alors entrer en jouissance du capital charnel qu'elle veut bien vous léguer par reconnaissance cynophile. Là, peuchère, elle se donne comme une rouée, glapit, aboie, mord, s'étire, bâille des pattes, glougloute, halète langue en drapeau, joue à la baballe, cherche, déterre, extirpe, mâchouille...Hideux, mais efficace.
Moi, j'ai couché et recouché des tonnes de fois dans tous les sens avec elle. Au péage, je refilais mes anecdotes canines que, faute d'expériences personnelles, j'empruntais à des voisins anciens, à des cousins lointains ou à des lectures tirées du Reader's Digest, embellies encore de pieuses enluminures. Car une fois sur la table à repasser ou au lit, je devais broder. Quand j'étais en panne, j'improvisais alors sur les vertus du monstre qui ne nous quittait plus d'une semelle, vissé au pied de notre pucier, intransportable teneur de chandelle hiératique, muet, les yeux fixes comme un sphinx chevillé sur son sphincter. C'était dans ces conditions que l'idée du blason m'était venue. Lion gisant... Je rendais ainsi compte de l'inertie des soixante kilos qui nous entravaient les pattes. D'argent... Je brossais les nuances bleutées de sa crinière poivre et sel. Culier vair parti d'azur... Je rendais hommage à la fourrure - le vair- qui garnissait son séant complexe que j'avais baptisé CULIER.
Des puristes frileux, tel le père de Maître Champard, me l'ont reproché parfois à la lecture des petits contes d'enfants auxquels je viens de faire allusion:
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– «Culier», mon cher jeune homme, est un néologisme personnel qui fait grincer des dents.
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J'avais écrit en substance: – « Onésime posa son culier dans les fraises et rectifia l'assiette de son chapeau de paille». Ces puristes, je les emmerde. Car qui n'a pas connu Onésime ne peut comprendre. Que l'importun linguiste retienne un instant sa première flèche et qu'il patiente. Je persiste et je signe. Je dis culier, à pleine bouche, arrondissant la ccchhhair de mes lèvres en dodu cul de poule bressane, là!. J'aimerais ne pas devoir me justifier et pourtant, toute mon existence (ou ma non-existence, savoir...) est désormais solidaire de ma rencontre avec ce chien d'exception.
Pour me défouler, je confiais parfois mes petites misères à ma mère. Voici un exemple de ces épanchements. J'ai retrouvé un brouillon, au dos d'une facture impayée de téléphone:
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« Maman.
L'hôtel de Lyon commence au premier étage, au sommet d'un escalier qui mène de plain pied au placard-bureau de Pauline. Elle s'y agite d'ordinaire dans un monceau de factures, d'échantillons de moquette, de sacs plastiques, de sacs poubelle, de boîtes à chaussures, de compteurs d'eau, de gaz, d'électricité et de téléphone, de machines à calculer, de balais, de dessins de chiens signés de ton petit Philémon chéri et de poils d'Onésime. Nul n'y pénètre sans déclencher des avalanches en cascade qui terminent leur course sur Onésime-l'Intransportable. Une seule chose le fait bouger: le sifflet à ultra-sons de Pauline. Dès qu'elle souffle dedans, l'animal vient aux pieds, oreilles basses et redevient un petit enfant docile. Sans cet artifice, il reste une vraie vigie. Il barre la voie, surveille à la fois les clients tentés par la grivèlerie et les fesses de Sainte-Pauline. Tu avais raison, ton intuition était juste. Cette femme n'est pas à moi toute. Je maudis le rival quand il me signifie qu'il est «chez-lui», indéracinable comme un sac de blé. Cela ne l'empêche pas de me truffer au périnée dès que je l'enjambe en toute candeur pour atteindre ma maîtresse et l'embrasser. Un jour, il m'émasculera. Cela me pend au nez. Tu m'imagines, Maman, privé de mes bourses? ».
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Je m'attendris, je m'attendris, mais revenons au point de départ. C'est important pour l'instruction. Le juge ne peut faire de bon travail s'il n'a pas matière à piocher. Le jury non plus.
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Alpes Maritimes, fin de siècle et fin de saison. Je m'appelle Philémon. Pauline et moi...et Onésime le bouvier, nous formons donc un couple de fait. Atypique. Une triplette, un duo pointé, je ne sais plus bien. Nous recueillons les premiers fruits du choc pétrolier. Rien ne se passe, ça chôme. Le chaland mégote. Je tire des bords entre mon bureau de Conseiller Matrimonial, l'hôtel particulier de Pauline en ville de Cannes et sa résidence des environs de Grasse. Voilà pour les décors.
Action: suivez une journée typiquement chienne, depuis notre éveil. Imaginez un matin ordinaire dans la confortable résidence. Le ciel est d'un bleu tendre. Ce matin-là, j'en ai assez, moi l'indigène sur la branche. Nous venons de passer une nuit en sinusoïde, avec des crêtes d'émotions et des creux de somnolences. Il fait bon. La grande fenêtre est béante. Il le faut. Les senteurs de la nuit sont lourdes comme un moût d'olive, épaisses comme des angoisses. Elles n'en finissent pas de se diluer dans l'air frisquet des coteaux qui trousse le rideau. La chambre semble vouloir retenir son haleine, comme pour en préserver plus longtemps l'intégrité érotique. Pour tuer Onésime au jeu de l'amour et du hasard des hommes. Ça pue délicieusement ici et il le sait. Ça le stimule et ça l'agace en même temps. Il ne hait pas Pauline, bien que chaque fois qu'elle se donne en sa présence, j'aie la quasi certitude qu'il ressente une vrille dans la région de l'estomac. Il gargouille, le salaud. Ça me coupe la chique. Coupablement indulgent avec elle, il est tout de haine avec les autres, les oiseaux de passage ou ceux-là qui comme moi ne migrent plus. Mais sa haine est respectable. Au fond, il se sent cocu. Il faudrait comprendre. Je suis de ceux qui y sont aptes, sauf quand il vient saboter d'un coup de truffe, une chorégraphie audacieuse qui nécessitait une extrême concentration spirituelle et musculaire. Là, je deviens obtus.
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– La baise, ai-je glapi une fois, c'est comme une minute de silence, ça ne se transgresse pas à 47 ou 56, mais à 61 pile!
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Quand je suis ainsi perturbé, je lui décoche un coup de savate dans le culier. Et je mets l'outrage sur le compte d'un dérapage fougueux du pied. J'ai intérêt à être prudent. Un jour où la cause était douteuse, parce que la violence de mon shoot n'était pas à la mesure de celle de l'orgasme, Pauline m'a prévenu une bonne fois pour toutes:
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– Si tu touches à mon chien, je t'égorge!
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Lui, il n'est pas dupe de mes gesticulations. Pour conserver la face, il feint l'indifférence comme ces chats impériaux qui condamnent une souris à la décollation, mais tardent infiniment à lui signifier le rejet de son recours en grâce. Il fait son prétentieux. Un monstre, à gifler ! Je le lamine sous le poids des mots:
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– Pustule ! Pestouille! Scrofule ! Trinome malin! Fumelier de mes deux! tricoté-je en aparté.
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Nous émergeons des draps flétris. Pauline chausse ses hauts talons et clopine vers la salle de bains. Onésime la suit. Je vois le culier s'éloigner, monument de chair, de laine grossière poivre et sel, noué sur une bourse rosâtre qui balloche comme une charcuterie pendue à un croc. Ça me donne le mal de mer, quand il trottine fesses serrées. Pour rire, Pauline le traite de pédale quand il fait sa girelle. Moi, je ne vois que le sac fragile dont il ne se sert même pas. Les chiennes pour l'heure, ça ne l'intéresse guère. A la ville ou à la campagne, il leur renifle vaguement le méat et puis il repart, clopin clopant. Le cirque quoi! C'est de n'y comprendre rien. Comme toujours, j'en ai assez de cette atmosphère. Je tire ma flemme. Il me reste cinq minutes avant que la douche ne soit libérée. Assez pour décider de refaire ma vie tout seul. Pauline, Onésime, j'en ai soupé. Je sens que je vais crier. C'est tous les jours la même chose. Je me morigène. Je n'ai pas de voiture. Je ne vais tout de même pas descendre à pieds à Cannes pour être en règle avec moi-même! Ce serait un comble! Nous romprons tout à l'heure. Eux et moi. Elle regagnera son Hôtel de Lyon où elle gèrera ses fiches de taulière et moi, je m'enfermerai dans mon bureau, là où devrait être mon bonheur. Je gèrerai pour ma part mes fiches de marieur, recevrai un insolvable ou deux, à moins que la grâce soit avec moi, que je sois enfin sous le vent. Alors j'oublierai mes tourments, j'aurai la sobriété et l'obstination du chameau. J'aurai l'ardeur d'un pionnier pékinois. A nous deux, Cannes, ville de théâtre, de faux-semblants, de vieilles renifleuses emparfumées, de jeunes maquerelins taillés en maîtres-nageurs, de folles du pouët. Nous allons vous en faire bouffer des rencontres scientifiques, emboîter vos chromosomes comme des pièces d'horlogerie, vous faire pisser l'or. Dégommer vos pores obturés par le sébum des pingres. Laissez-moi palper vos gros billets rentrés, tas de fesse-Mathieux!
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Je m'emballe, je m'emballe. En attendant, on ne sait pas ce qu'ils fricotent tous les deux dans la salle de bains. En fait, je sais: il est assis sur le carrelage. Il la reluque et ça m'obsède. Elle n'a pas tiré le rideau opaque. Pensez! Ce n'est qu'Onésime... Art pur. Les pieds dans sa vasque, elle est la «Naissance de Venus» de Botticelli. Pour lui tout seul, ce béotien. Ses seins sont un peu sensibles. Elle les palpe avec tendresse, les aréoles sont tête de nègre. Une couleur que j'adore et que j'ai choisie pour mes fauteuils, au bureau. Onésime la regarde à travers les barreaux que forment ses cheveux frangés comme un balai O'Cedar. On pourrait le croire aveugle avec son plumeau, ou plus imagé encore...cette épaulette de Saint Cyrien qu'il porte sur un front bas. Bernique! L'animal ne perd pas une miette du spectacle. L'eau ruisselle sur la Venus et converge jusqu'au triangle des Bermudes. Elle fait un ressaut. Les gouttes sont devenues fontaine là. Il est fou d'impatience. Il lorgne. Il branle un peu la tête, saisit un ruisseau, le suit jusqu'à sa perte et puis il remonte capter une nouvelle source.
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Alors, cécité Monsieur le mateur de tutu à sa maman? Remarquez bien, c'est ma mémoire qui travaille, car une fois m'a suffi, je ne regarde plus son manège, leur manège. Il n'a beau être qu'imagination, le manège, extrapolation, interprétation au son...Pourtant, il m'agace. J'aime peut-être Pauline après tout, mais chez-nous, cela ne se fait pas voyez-vous. Nous avons nos règles imprescriptibles de non-ingérence. Je suis jaloux? Et après ? C'est l'évidence. Ce chien me bouffe du sentiment, entame du capital. Il me baise des intérêts. Je suis sûr qu'elle le branle. L'aime mieux ça que le sucre mon chienchien. Ça se sent. Il se frotte souvent le paquet à vos mollets et dédaigne la pitance.
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Musique douce. J'entends ma femelle adorée qui siffle le fameux air de «Cheyenne» d'Ennio Morricone. «Il était une fois dans l'Ouest», c'est bon signe. Ça veut dire qu'elle est «bien», que son corps a bien trinqué à la santé de la vie, qu'il est désirable, que trente et un ans ce n'est pas si grave après tout. Maintenant, elle va s'appliquer un doigt de lait hydratant sur le dur de son nez. Et puis elle va insister sur cette nouvelle prétendue ridule qui vient de naître sous la paupière déjà un peu lasse et que la nuit a relâchée encore. Ah coquette!
Contemplation. Il guette l'instant, le bouvier. Elle est penchée sur le lavabo, elle se fait des serments les yeux dans les yeux. Onésime se délecte côté pile à présent. En contre-plongée comme un cinéaste pervers, il est aux premières loges pour cadrer ce fin bouquet de jais qui frisotte à l'intersection des diagonales callipyges. Et cette ébauche de lèvres gourmandes, bien jointes, qui cachent une corolle d'hibiscus et un bouton de rose naine...Moi, je ne tiendrais pas cinq secondes devant ce piège à queue. Il ne tiendra pas non plus, j'en suis sûr. Je le connais !
J'entends Pauline qui aboie un – AH SALAUD! radical et fort appuyé. Qu'est-ce que je vous disais ! Il lui a truffé l'intersection, l'ordure. Exactement ce qu'il avait fait à une Anglaise en short qui s'escagassait les yeux sur la vitrine d'un chausseur. La pauvre, elle était penchée sans malice en avant, les mains en appui sur les genoux, les fesses bien sûr en saillie, offertes au crime, comme à saute-mouton. La brute que je promenais pour rendre service m'a échappé. Je n'avais pas le fameux sifflet sur moi. Droit direct, il a truffé ma passante. Carrément un grand coup de selle de vélo dans l'intersection aussi. Le short était court, j'en conviens. Mais le cri horrible, le déchirement de voix de l'infortunée, violée dans sa chair même, en plein midi! Je l'entends encore hurler:
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– Bloody hell !
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Quand j'ai rendu compte de l'attentat à Pauline, celle-ci n'a pas paru surprise:
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– Chiennes ou femmes, Coco, les secrétions sont chimiquement les mêmes.
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J'en ai pris un grand coup. Je n'en puis plus. Je suis plus las qu'hier encor. Je me lève, ma verge pointe midi seize, gênante, parce que rien ne justifie qu'elle ne pende pas, misérable, chiffonnée comme mon âme. La journée sera historique. Le grand schisme vient, je le jure.
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– Et merde, laissons cela, fais-je...
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Je suis bien trop flapi pour rompre encore aujourd'hui. J'ai presque pris la décision d'investir mon bureau de marieur dès neuf heures. Comme chaque jour, après «leurs» ablutions et les miennes quand il reste de l'eau chaude, j'ai déjeuné nous trois sans mot dire. Et nous avons embarqué dans la bagnole juste après qu'Onésime eût sacrifié à son rite: cesser de faire la gueule, puisqu'il n'était même plus question de sexe, pisser à la diable en diagonale brisée et jalonner enfin la propriété. Car chaque matin, le pauvre, il avait coutume de tendre des frontières provisoires et de matérialiser son pré carré. Il l'arpentait inlassablement comme une Pénélope de la pisse qu'il était, en dépit des coups de badine dont je lui cinglais l'échine en cachette, dès qu'il faisait mine de soulever la hanche. Et chaque jour, je savais que ce n'était que préambule. Ces besognes accomplies, il s'enchâssait sur la banquette arrière de la Talbot déglinguée, à lui toute. Mais revenons au présent antérieur.
J'ai encore beaucoup à dire. Tout à l'heure, en arrivant à Cannes, il va marquer d'un jet ambré tous ses repères de la rue de Lyon, sans exception : le réverbère, le triporteur du petit pâtissier, la Yamaha du coursier du «Narcisse Bleu», la poubelle du «Sirocco» où bombinent les abeilles enivrées par les effluves rances: flétrissures de melons de Cavaillon combinées aux ammoniaques d'une brassée de têtes de flétans et de rougets barbets, reliefs du restaurant que nous fréquentons avec l'assiduité de petits rentiers mal nantis. Il va souiller enfin la vitrine de meubles scandinaves de François qui pourtant sème à son aplomb -et c'est légitime- une poudre anti-pisse d'une belle couleur jaune de soufre. Cette répétition quasi-mécanique me rend fou. A chaque manifestation urinaire, je contracte nerveusement mon pied droit comme pour lui botter le culier, mais virtuellement. Je me caresse la gorge encore intacte et bien entendu, ce rappel doux-amer me fait revenir à la raison. Je me retiens.
Je sais pourtant qu'à l'instant de notre dernier adieu du matin à l'Hôtel, il va sauter sur Katioucha, la femme de ménage, l'inonder de bave et lui biner l'entrejambe en gai jardinier de pubis qu'il est, truffant à violents coups redoublés. Han! Han! Selle de vélo Han! Han! Bélier. J'en suis malade pour elle. Je crois qu'il prend plaisir à troubler une Espagnole, coincée entre la permissivité cannoise et la rigueur de son éducation ibéro-mauresque. Une origine qui rangerait plutôt les choses du ventre dans l'arsenal de la diablerie. Je la soupçonne toutefois de se livrer à des pratiques solitaires, tout comme Pauline d'ailleurs. Je ne suis pas mauvaise langue. J'ai baisé la main de Katioucha une fois, puisqu'elle m'avait fait la révérence et appelé «monsieur de la Ribeaudière». Je la lui ai baisée donc. Je sais de quoi je parle. Cette chimie-là ne saurait encore moins échapper au flair d'Onésime.
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– Quel branleur, çui-là! Lui ai-je fait à cette occasion, prenant des airs très «peuple» et faisant mine de le décrocher de Katioucha.
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J'ai lu le trouble dans ses yeux quand en fait de lisser ma moustache, je me suis caressé les narines. Mais rien à espérer avec elle depuis le formidable chagrin d'amour qu'un Russe blanc lui avait infligé.
Alors, corvées expédiées, nous embarquons enfin. Nous descendons en trombe la départementale qui sabre les hibiscus que j'aime tant, les bougainvillées et les bouquets géants d'aloès. Déjà, le bitume mêle ses essences à celles des fleurs. Poivre et naphte. La Côte d'Azur charbonne, fume, pétarade, souille. Elle me semble n'être plus qu'un charnier empli de cadavres de cracking et de synthèse dont je relève parfois les identités. Mes morts ont des noms de yaourt, de lessive ou de supermarchés par emballages perdus interposés. La saison a encore fait des ravages qu'aggrave cet indigène indolent, nommé avec tendresse le Méridional.
Je conduis. Pauline siffle toujours l'air de Cheyenne. Je change souvent de vitesse, car je dois négocier avec sa main qui me taraude. Sur des rétro-pédalages fréquents, je lui casse encore ses trajectoires. Je romprai demain encore. La vie n'est plus possible. Elle n'est faite que d'encores. Il est dix heures et je vais encore rater une avalanche de téléphones et d'opportunités. Conseiller matrimonial, ce n'est pas une sinécure, mais un sacerdoce. Je m'enfonce chaque jour dans le néant du néant pour une femme et un chien que je n'aime plus et que du reste, je n'ai jamais aimés. J'ai flatté l'un pour avoir l'autre. J'ai trompé l'autre pour que le premier la boucle. Il ne la boucle pas, il a saisi mon jeu. Pour lui, je suis un sale mistigri, une sorte de Gitan marginal sans feu ni lieu. Un éternel campeur qui s'absente parfois quand il hait trop l'amante et sa maison. Mais un fugueur qui -hélas- revient toujours, comme ces cousins ennuyeux du Nord qui nous font et refont la cour à l'approche de l'hiver.
Cannes, nous y sommes. Cannes de tous les jours, sans Festival, sans Midem, sans divas et sans stars...ou alors, à peine. Je croise quelques têtes parfois. Roger Moore dont Pauline prétend qu'à sa vue, «elle sent son tissu caverneux se dilater et sa culotte devenir insupportable». Je vous fais juge du bon goût des mots que j'endure. Aussi, aujourd'hui, vais-je me jeter à l'eau et réagir. Je passe sur les inévitables manifestations d'Onésime. Ça suffit, mon chien ! Mais entre nous, j'avais vu juste. Je n'en tire aucune vanité: dès que je serre le frein à main au terme de notre course, le voilà qui s'affole, tambourine sur la vitre de «sa» portière, celle dont les garnitures de skaï éventrées fleurissent en une mousse jaunâtre qui se désagrège chaque jour comme un cancer du rembourrage cellulaire des berlines. Les vitres, il y dessine ses onomatopées salivaires en larges festons empâtés. L'art baveux sèche et fait désordre, comme si un régiment de lardons enchifrenés avait sévi ici, en toute impunité.
Il frétille du culier. Pauline le désincarcère en zélé chauffeur copilote qu'elle est. Pas besoin d'inviter le monstre à descendre. A peine déverrouillée, la porte explose. L'animal gicle et fonce vers ses travaux d'arpenteur ajournés depuis la veille: le pousse-pousse de l'arpète, le porte quinquet, la moto japonaise, la marche d'accès au magasin de François, un ex de Pauline. Mais je n'avais pas prévu le pire: Onésime Truffier nous met cent mètres dans la vue pour aller déféquer dans un bac à fleurs municipal construit à la hauteur commode de son culier. Je jure qu'il entretient des relations coupables avec la chef-urbaniste de la ville qui doit bien connaître notre architecte, notre Bernard, cousin de François, lequel a bien dû la prier un jour de boire un verre dans notre cercle vicieux...Et nous n'en avons plus tellement le souvenir, car tout ça a dû se terminer dans la confusion. Bref, la boucle est bouclable. Notre monde est petit. Il y a trafic d'influences, j'en mettrais ma main au feu.
Onésime recule à quai tel un camion de messageries sur son aire de déchargement. Les hortensias en frémissent d'aise. Il me fait mal au cœur. Quand je relis que désormais je vais détester les chiens, c'est un euphémisme que je commets par mansuétude ou par calcul pour qu'on ne me haïsse pas à mon tour. Si j'étais un homme, je devrais hurler ma haine. Mais jusqu'alors, j'ai le sentiment d'ahaner ma haine. Bien sûr, nous avons encore le temps de rompre un croissant au Sirocco ou au Blue bar. Nous nous séparerons ici ou là. J'éviterai l'Hôtel de Lyon, le capharnaüm, Katioucha l'impénétrable, les clients, les...
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– Le bidet de la 14 est bouché!
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Il sera dix heures trente. Ma journée commencera comme chaque jour, trois heures au-delà de l'horaire que je me suis imposé par discipline. J'ai fonctionnarisé mon métabolisme pour mieux me sécuriser, car j'ai peur de tout. Je rejoindrai mon cabinet, celui que j'appelle mon «MCBG», Mauvais Chic, Bon Genre. Personne ne m'aura encore cambriolé et c'est justice, il n'y a rien à voler. Là, le doute me saisira. Rien ne s'est passé hier et rien ne se passera aujourd'hui comme un autre jour. Je retrouverai mon décor à moi. Un antique bouquet de tokyos et de lis achèvera son avachissement dans un vase publicitaire à la gloire du whisky que je recèle dans un bac à dossiers. L'eau y sera glauque. J'y imaginerai un ballet d'infusoires et des battements de cils de paramécies.
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– Ah, l'ignoble laisser-aller de la chair à huissiers! ferai-je encore pour la première fois...
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Des pétales parsèmeront ma table de verre fumé, mon orgueil patrimonial. Le courrier sera maigre si j'excepte les factures. Le répondeur téléphonique sonnera le creux ou l'italien inaudible. J'éprouverai un vertige, l'angoisse des échéances bancaires m'étreindra...
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Je ressassais ces discours quand un 21 mars, n'y tenant plus pour de vrai, j'ai dit ceci:
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– Merde, je vais ouvrir une agence matrimoniale canine.
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J'ai dit ça en l'air avec la conviction cependant que ma petite phrase avait un rien d'historique comme veni vidi ou que d'eau que d'eau. Quelques mois ont passé. Vous n'imaginez pas le succès que j'ai connu. Vertigineux. C'est parti comme l'éclair. J'ai acheté des gravures, des bouquins, des abreuvoirs, des pet foods en croquettes, en lichettes, en boulettes. Tout à crédit. J'ai bûché les pedigrees, le dictionnaire des citations pour n'apprendre que ce qui concernait les chiens, étant entendu que tous les animaux sont égaux et que les chiens sont plus égaux que d'autres. J'avais pourtant un stock minable de partis. A part Onésime dont je possédais mille photos, à part le chihuahua de Maître Chantal Champard, je n'avais guère de fiche sérieuse. A peine eussé-je publié la première annonce qu'une montagne de courrier et d'appels téléphoniques me tombait sur le râble.
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– Bien fait! Me suis-je lancé à la figure, ça t'apprendra à lécher le cul d'une cynophile !
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Mais Dieu que je renaissais! Je me mis à boire cinq fois moins de whisky, mais du dix fois plus cher. Mon cabinet, auparavant déserté, ressembla vite à l'antichambre d'un rhumatologue. Trois cents francs la consultation cash, rien que pour montrer le culier de cette ordure, vanter les mille générosités de sa race, sa propreté, sa gaîté, les dandinements de son joli séant de seigneur, la santé de ses dents, ses incroyables aptitudes au jeu. Et puis quelles bourses! Quasi humaines, fuselées, gorgées. Je taisais bien sûr ses arpentages, ses délestages, ses truffades, ses selles de vélo à la motte, au périnée ou au chougne (parce qu'il n'y a pas d'autre mot), sa jalousie, son voyeurisme, son onanisme, sa pesanteur tyrannique, son égoïsme abyssal.
Combien de fois m'a-t-on félicité d'avoir choisi ce beau métier! Combien de fois m'a-t-on attribué une «sensiblité canine qui faisait plaisir à voir dans ce monde dépourvu de générosité». On en voulait pour preuve la particule de mon nom, on redécouvrait les vertus chevaleresques, la pureté d'âme des valeureux. Pour tout dire, on regrettait 89. C'est à ce moment, je crois, que j'ai écrit une lettre d'insultes au directeur de l'Institut des Sciences Politiques de Paris, lui renvoyant l'original de mon diplôme bouchonné.
J'ai amorcé la pompe avec Onésime, j'ai continué avec les chiennes qu'on me présentait dans le but d'une rencontre, dans l'espoir d'un accouplement sur le pré. Je bluffais et j'en éprouvais une intense jouissance. Toute créature qui franchissait ma porte était sytématiquement fichée. J'exigeais des photos. J'en faisais si besoin. Un polaroïd, cent-vingt francs la pose. Rien n'était jamais trop cher pour ma clientèle. Bien sûr, je n'avais rien à proposer sur le moment, alors je biaisais:
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– Revenez mardi, j'aurai un mâle exceptionnel à vous présenter.
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Je publiais aussitôt une annonce et le mâle était au rendez-vous. Certificats vétérinaires, photos, fiches, dossier, honoraires, saillies, thé, pâtisseries, os de poulet froid, tout se monnayait. Je faisais mon beurre. Pauline redoubla ses ardeurs. Elle tirait une immense fierté de ma trouvaille; nous sortions de nouveau comme des princes, opéra, cinémas, théâtres, galeries, cocktails, bibelots, baccara à San Remo. Nous eûmes plein d'amis soudain, des fortunés, pas des traîne-latte. Pauline força l'outrecuidance jusqu'à me dire Je t'aime.
Nous nous « fîmes » à trois Maître Chantal Champard, l'avocate, Rhubarbe, la petite bonne des voisins, Clémince, une étudiante canadienne en œnologie. A trois, c'est-à-dire entre humains. Car là, j'exigeai qu'Onésime fût enfermé dans la cuisine, avec un gigot entamé à finir. On le conçoit, il devenait de plus en plus oppressant. Non pas qu'il fût plus jaloux qu'avant, ça non, les femmes ne l'inquiétaient pas, au contraire, la chimie était de leur côté. Mais vous le devinez, j'empestais horriblement la femelle à poils durs. Je devais renifler pis qu'un rat de bordel. Sans me vanter, j'étais devenu un foyer de chaleurs, un appeau, un miroir aux levrettes, une glande humaine, sans y prendre garde et en tout bien tout honneur.
Onésime ne s'intéressa bientôt plus au sexe de Pauline et contracta la sordide manie de frotter son ignoble betterave naine sur mes vêtements, négligeant les plus élémentaires précautions. Je ne pouvais pas lui casser une côte sous la table, il aurait caphté ! Il aurait hurlé à la mort, rajoutant du chagrin et j'aurais déçu Pauline au point qu'elle m'aurait tranché les carotides. J'ai tenu bon jusqu'à ce que la chance me permette de recouvrer toute ma sérénité.
Mon plan était prêt depuis un moment, je n'avais plus qu'à m'en remettre à Dieu pour accomplir mon œuvre de nettoyage. Pauline m'avait confié qu'elle irait ce jour-là sur la Croisette boire un verre avec Plisson, un fameux chirurgien plasticien qui devait lui effacer quelques vergetures. Au lieu de vaquer au bureau, j'ai guetté son passage, posté de l'autre côté de l'avenue. Quand je l'ai aperçue, flanquée d'Onésime, j'ai attendu que le feu tricolore passe à l'orange. J'ai alors actionné le sifflet à ultrasons que j'avais chipé dans son sac à main. Onésime s'est échappé comme une flèche, droit dans ma direction.
Je revois l'image au ralenti. Une de ces belles images de film où il est question de chiens malins comme des singes et bons comme le pain. Les Américains sont très forts pour vous faire chialer avec des chiens, des phoques, des dauphins. Je revois les cheveux du bouvier au vent et cette fulgurante accélération de fauve, puissance de la foulée, souplesse des membres, tension de la trajectoire. Du grand sport olympique, de l'athlétisme de très haut niveau.
Ah mais ce choc et ce boucan! La Ferrari l'a envoyé valdinguer à vingt mètres sur l'arête d'un réverbère en fonte. Un sacré pet! Le capot de la F-40 était plié. Fallait entendre le pauvre type quand il s'est extrait pour constater les dégâts. Il en avait oublié toute son éducation religieuse:
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– Y m'l'a niquée! Y m'l'a niquée! Salaud, fumier, travelo, sale clebs!
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L'autre dingo n'a pas souffert. J'ai entendu les cris de Pauline. Je l'ai laissée à son deuil et je m'en suis retourné calmement au cabinet, mon Whippet Bleu. A la dérobée, j'ai jeté le sifflet dans un caniveau. Ça m'a secoué sur le moment et puis la vie a repris son cours. Maintenant, nous n'avons plus de chien à la maison. J'en vois suffisamment défiler dans la journée, des laids surtout, des monstruosités. Des dogues de Bordeaux qui ressemblent à eux-mêmes comme deux gouttes d'eau, dis-je parfois sérieusement à des maîtresses innocentes. Des Bull-Terrier à tête de veau. Des chiens «à poil», c'est-à-dire dépourvus de poils comme le Nu de Chine ou le Xoloizcuintle du Mexique. Où vont-ils chercher tout ça? Jamais je ne les caresse, j'aurais l'impression de peloter mon arrière grand-mère, la vicomtesse de la Ribeaudière. Une horrible sensation d'inceste au troisième degré. Je ne flatte pas plus les caniches aux membres taillés comme des jambonneaux frisottés. Ils me font penser aux chefs-d'œuvre des Meilleurs Artisans Charcutiers de France. Nous n'aurons plus de chien. On ne remplace pas Onésime. Il est sanctifié, nous lui vouons une sorte de culte au pied d'un cèdre, chaque dimanche, à l'heure de la digestion. A la maison, les armes d'Onésime sont sculptées sur un bas-relief de stuc accroché au-dessus du buffet Louis Philippe. Lion gisant d'argent au culier vair parti d'azur... Mais notre chagrin ne nous empêche pas de nous dépenser en créativité. J'envisage de monter à Cannes une boucherie-charcuterie pour chiens, une boutique d'habillement et d'articles de jeu, à l'enseigne du Whippet Bleu. La consonance est très côtière. Nous raflerons tous les Anglais à chien. Dieu sait si le marché est juteux. Dès l'été, ce sera la ruée.
Nos amis coopèrent. Bernard a concocté un concept architectural inédit. Michel étudie la branche cyno-vestimentaire. Il a déjà couché sur le papier nombre d'esquisses de mode. Ravissants boléros. François prend en charge les agencements et le mobilier. Maître Chantal Champard tente de débaucher la marketing manager d'un fameux épicier-traiteur dont vous comprendrez que je taise le nom. Plus tard, j'adjoindrai une clinique vétérinaire, j'ai déjà noué des contacts avec des élèves de troisième année de veto. Pauline va revendre l'hôtel, elle y a trop de souvenirs douloureux. Elle finance les trois-quarts du complexe de cynoshopping. Moi, je ne vends que mes conseils. Avec la Municipalité, je tente d'orchestrer une campagne de civisme et de propreté. Si elle échoue, je crois que je vais racheter un sifflet. On verra bien.
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Il reste une seule ombre au tableau. Elle est de taille. Je me suis compromis avec Maître Champard. Une légèreté que je me pardonne d'autant moins qu'elle préside notre conseil d'administration et détient la majorité dans notre affaire mirobolante. Moi, comme je n'ai pas apporté un rond, je dois me contenter d'un petit paquet actions. Et encore, elles sont hypothéquées: j'ai dû signer une cession de parts en blanc que Champard conserve dans son coffre-fort.
Récemment, Pauline a dû séjourner quelques jours en clinique afin de subir une petite intervention de chirurgie esthétique. Les vergetures. J'ai profité de son absence pour préparer l'ordre du jour de notre conseil d'administration avec notre avocate maison. Champard était accompagnée d'une amie spécialisée dans l'illustration de livres pour enfants. J'ai bu un peu. Nous n'avons pas fait que travailler. Quand je me suis réveillé, nous étions quatre au lit: Chantal, la dessinatrice, le chihuahua et moi-même.
Les filles me faisaient la gueule. Le chihuaha aboyait après moi et retroussait les lèvres.
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Avais-je parlé dans mon ivresse ou dans mon sommeil agité ? Avais-je parlé du sifflet, de la Ferrari, du réverbère? Avais-je répondu à des questions de plus en plus pressantes? M'étais-je livré, en un mot ?
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L'artiste n'était plus chaude du tout pour entreprendre ce livre avec moi, alors que la veille, elle était tout feu tout flamme. Quant à Champard, elle m'a annoncé au petit déjeuner que désormais, j'aurais une co-directrice choisie par ses soins. Que je frisais le délit d'abus de bien sociaux et qu'il était temps pour moi de songer à passer la main. D'ailleurs, elle me présenta l'acte de cession de parts en blanc à son profit: «tu vois ce que je veux dire si tu ne démissionnes pas en toute gentillesse».
J'ai envoyé se faire foutre la maîtresse-chanteuse, lui rétorquant que le milieu niçois avait aussi tenté de me taxer, mais que je ne cèderais pas davantage aux voyous qu'aux avocats marrons et aux lesbiennes.
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– Pauline sera seule juge, m'a-t-elle marmonné en me désignant la sortie: assassin, tueur de chien !
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C'est pourquoi j'ai remis cette confession à Maître Pigagnol, certain que tôt ou tard, quelque chose m'arriverait.»
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Philémon Tuloup de la Ribeaudière
Cannes, le 18 février courant
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EPILOGUE
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Ça a très mal fini. La suite, nul ne l'ignore, a fait la une. Tuloup n'est pas mort égorgé. Il a sauté sur une grenade dissimulée sous le siège de sa voiture. Le piège était astucieux et simple. Un fil d'acier était tendu entre la portière et la goupille. Il est vraisemblable que lorsque Tuloup est entré dans l'auto, il s'est penché pour ôter ce fil dont la présence était pour lui inexplicable. A-t-il tendu l'oreille vers l'engin qui fusait? La tête surtout a souffert. Dès qu'il apprit la nouvelle, Maître Pigagnol ouvrit le pli et en remit le contenu au parquet. Pauline Forlani, accusée d'assassinat mais enceinte, purgea six mois de préventive aux Baumettes où elle accoucha d'un garçon. Libérée sous condition, elle bénéficia d'un non-lieu un an plus tard, alors que des attentats similaires à celui qui avait coûté la vie de Tuloup se multipliaient dans les milieux politiques. Une grenade, un fil, et toutes les victimes avaient la tête abîmée. Ces attentats à répétition la lavèrent définitivement de tout soupçon, car la mère de Tuloup s'était acharnée à faire rouvrir le procès, arguant de l'existence de faits nouveaux.
Quant à Maître Champard, principal témoin, elle transféra son cabinet à Montpellier sur les insistances du barreau. Le concept du Cynoshopping fut racheté par une grande chaîne de magasins qui l'étendit à toute la Côte.
Nice, autrefois sinistrée, fait figure aujourd'hui de ville modèle pour ce qui concerne la propreté des trottoirs. Des side-cars bardés de publicités signées WB sillonnent la ville, lessivent et aspirent tout ce qui souille. «Je vous aime» dit un monsieur sur une affiche, à l'adresse d'une jolie dame tenant un chihuahua dans les bras, habillé d'une tunique à l'enseigne du Whippet Bleu.
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Super !!! A vous couper le sifflet !!! Dieu merci mon félin, Noé (Abyssin bleu ) ne répond pas au sifflet !!! sinon planque ta carotide prochain élu !!!
Rédigé par : Josy | juin 18, 2006 à 06:27 AM
Plus rien à lire ! plus rien à manger ! Au secours !!!
Rédigé par : Josy | juillet 28, 2006 à 03:40 PM