L’école se trouvait à un kilomètre de notre maison. J’y suis entré très tard, à l’âge de sept ans, je ne sais pour quelle raison. Mes résultats étaient satisfaisants. Je nourrissais pour le maître, Jean Dupuis, père de l’acteur Jean-Michel, une profonde admiration.
(Jean-michel Dupuis, au centre, en compagnie de Pierre Arditi.)
Il a su, dans un environnement plutôt porté sur le calvados, les enfants à répétition et les repas interminables du dimanche, nous initier à la musique classique, à la peinture, au théâtre. Je me souviens de ses anecdotes concernant les bombardements de Rouen en avril 44, des cours sur le Moyen-Âge, de ses plongeons spectaculaires lorsqu’il tenait le poste de gardien de but face à toute la classe réunie ou des sonates de Beethoven qu’il nous jouait pendant les récréations.
Nous partions souvent en forêt à la découverte des champignons ou des essences endémiques du pays de Bray. Il n’oubliait pas de nous faire visiter des fermes, ni de nous initier au hand-ball, sport inconnu à cette époque dans la région.
(Monsieur Dupuis, grand amateur de marches en forêt, utilisait tous les moyens pour exciter notre curiosité. Le cours se passait assez souvent dans la nature.)
Nous avions de temps en temps la tâche valorisante de veiller à ce que son fils Jean-Michel, alors âgé de trois ans, ne s’approche pas trop près de la citerne.
Le samedi, nous avions droit à un film, chose rare dans les écoles en 1958. Ma passion des voyages est née là, à l’occasion de ces séances qui me bouleversaient. En particulier un reportage en noir et blanc sur la culture du riz dans les plaines de Cochinchine m’avait subjugué. « Je veux aller là-bas, quand je serai grand » lui ai-je dit après le cours. 37 ans plus tard, lorsque j’ai débarqué à Saïgon, j’ai pensé à ces images qui m’avaient tant fasciné.
Ainsi il nous incitait indirectement à voyager, à quitter cette région quelque peu hermétique aux horizons nouveaux. Cependant il ne cessait de nous interdire d’aller « dans la grotte de Clairefeuille », truffée de tunnels, de souterrains dangereux qui avaient servi de cache d’armes pendant la dernière guerre. Mais ses avertissements à répétition avaient plutôt tendance à produire l’effet inverse dans nos consciences de moineaux. Les plus dégourdis d’entre nous, les plus bêtes aussi, ne cessaient d’imaginer les histoires les plus fantasmagoriques dans ces couloirs sinistres. Si bien qu’il a fallu un jeudi, transgresser l’interdit. Munis de torches et des plus belles dissimulations à l’égard de nos parents, nous avons osé pénétrer dans la caverne. C’était un conduit crayeux, aux parois couvertes de mousses gluantes qui sentaient la mort. Nous étions terrorisés à l’idée d’y découvrir des cadavres. En fait nous n’y avons rencontré que nos propres limites. C’est en courant que nous avons quitté ce lieu défendu. Sur le chemin du retour les rires fusaient, comme si nous avions vu la voisine se promener toute nue sur la route. A partir de ce jour, Clairefeuille figurait en bonne place sur la liste de nos randonnées secrètes et nous y retournions de temps en temps pendant les grandes vacances d’été.
C’est avec beaucoup de peine que j’ai appris en 95 la mort de onze personnes dans cette maudite cachette. Plus tard, sur la plaque commémorative j’ai lu les noms des petits enfants de mes camarades de l’époque. Eux non plus n’ont pas respecté les recommandations des parents et des maîtres.
Le nôtre évoquait un jour la croûte terrestre, parlait du manteau supérieur ou de la lithosphère. Très pédagogue, il s’évertuait à utiliser des images fortes, des comparaisons puériles mais efficaces, car les esprits de mes collègues étaient davantage tournés vers la traite des vaches, le ramassage des pommes à cidre que sur tout ce qui touche les entrailles de leur terre. Ils éprouvaient beaucoup de difficultés à concevoir pareille stupidité inventée par des « savants de Paris » : une chaleur intense dans le noyau interne ! L’un d’eux lève le doigt pour illustrer les propos de l’instituteur : « M’sieur, m’sieur, je sais, mon père l’aut’jour, il creusait une tranchée…
-Oui, et alors ?
-Ben, m’sieur, il devait s’approcher du noyau, passe que plus qu’i creusait, plus qu’il avait chaud… »
Je revois notre maître s’asseoir lourdement sur l’estrade et se prendre la tête dans les mains en soupirant.
(Notre école était un peu celle de Doisneau ou de "La Guerre des Boutons".)
L’année précédente, un certain Leprêtre avait écrit une très belle mais courte rédaction qui en disait long sur ses facultés à réduire la vie à l’essentiel. Le sujet donné par monsieur Gache, le prédécesseur, certes un peu patriotique, était ce jour-là : « Que vous inspire le défilé du 14 juillet ? Racontez. » L’écrivain en herbe avait produit le texte suivant : « Quand je vois le défilé, je me dis, ma foi, voilà le drapeau qui passe. » Point final.
A la distribution des prix, cérémonie incontournable à laquelle devaient se joindre les plus hautes autorités du canton, le maire, un peu fatigué peut-être par quelques repas arrosés, avait dit, à propos des activités prévues par la commune pour ce fameux 14 juillet : « Si vous voyez d’la lumière, c’est qu’y a bal, si qu’vous zen voyez pas, c’est qu’y a pas bal. »
Puis il avait lu, tenté de lire, son discours de fin d’année scolaire, au milieu duquel une phrase lui posait problème. On entendait à peu près ceci : « Mes enfants, vous méritez vos prix. Ces livres sont pour vous. Avec tous les savoirs que vous avez…que vous avez…que vous avez acquéris… » A cet instant de l’allocution officielle, un adjoint un peu gêné, s’approche et lui souffle à l’oreille : « Acquis, acquis, voyons… » Le pauvre homme se sentant à juste titre épaulé par son équipe, confirme de plus belle : « A qui ? Mais à vous, mes enfants ! »
C’était notre école. Toute petite, perdue au milieu d’une grande place. J’ai un petit pincement au cœur à chaque fois que je lui rends visite.
JAC, le 7 octobre 2010
J'aurais aimé avoir un instit' comme le tien, Jacques.
Quelle saloperie, ces souterrains de Clairefeuille. Onze morts d'un coup... On en avait parlé aux infos nationales à l'époque, en 95.
Rédigé par : Phil' | octobre 10, 2010 à 09:24 PM
Et 15 années après ce drame de la grotte de
Clairfeuille,à Montérolier,les hypothèses vont
toujours bon train!On ne saura jamais ce qui a
pu se passer,pourquoi ce jour là?
GRAND MYSTERE des autorités préfectorales,et
aussi del'Armée:LA GRANDE MUETTE ne divulgue
rien,SECRET D'ETAT .Il y a forcément négligence de quelqu'un,qui a oublié ces stocks d'engins militaires,oui,mais QUI ???
Un seul pompier s'est sorti de cet enfer,
empoisonné par ces gaz,longtemps malade,on lui a fait comprendre qu'il était mieux ...
de se taire!!!
Quiquine.
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | octobre 11, 2010 à 08:07 AM
La petite ecole de SAVEAUMARE,dite "Ecole de
JACQUES",servait aussi,les jours d'élections.
j'y ai conduit souvent mes parents pour qu'ils
accomplissent leur devoir d'électeur...acte
qu'ils n'ont jamais raté !!!
C'était pour moi un vrai bonheur de revoir cette petite classe unique,sentant bon la cire
et j'imaginais toutes ces petites têtes
blondes de descendants de Vikings...
J'essayais de deviner à quelle place s'installait mon "ptit frère",j'étais loin
d'imaginer toutes les bêtises qu'il nous
raconte maintenant.je le croyais "timide et
sage",il faut se méfier "de l'eau qui dort" !!!
Quiquine.
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | octobre 11, 2010 à 08:17 AM
C'était au temps ou chacun avait un très grand
respect pour LE MAITRE D'ECOLE !!!
Les enfants écoutaient LE MAITRE,et les parents aussi !!!
Maintenant les parents sont très permissifs
pour leur progéniture,et les "mômes" sont
souvent "mal élevés".Les instituteurs ne
peuvent pas remplacer les parents...chacun à sa place.
Quiquine.
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | octobre 11, 2010 à 06:26 PM
Moi mes souvenirs de Saveaumare, je les ai passé aux côtés de Jean-Michel Dupuis, sa soeur Anne et tous les autres du village et des environs. J'ai appris sous la plume de Madame puis de Monsieur Jean Dupuis, que de bons souvenirs. Souvent la nostalgie de cette époque me noue la gorge. Les parties de ballons sur le petit terrain, combien nous en avons disputées ! ! ! Mais nous aimions quand Jean Dupuis et son fils se mêlaient à nous... Et que dire de ces fêtes de fin d'année sous la houlette de Madame Dupuis. Je n'ai jamais retrouvé tout cela...
Merci Monsieur et Madame jean Dupuis.
Rédigé par : Christian Cornier | septembre 06, 2011 à 04:42 PM
Les jours d'élections,je conduisais mes parents dans cette école, servant de bureau de vote:
Maintes fois, j'ai essayé d'imaginer cette classe animée, l'emplacement qu'avait pris mon petit frère ,JACQUES.J'imaginais son comportement, les camarades ?
Et Le Maître inscrivait toujours la Phrase du Jour, à méditer ...
La bonne odeur de la cire dans ces classes
traditionnelles , souvenirs bien agréables d'un temps révolu.
Quiquine .
Rédigé par : PAULUS PETIT JACQUELINE | octobre 02, 2011 à 06:23 AM
Je viens de découvrir ce commentaire, Jean Cormier...Qui êtes-vous ? Je voudrais prendre contact avec vous.
Rédigé par : jac | janvier 29, 2012 à 03:04 AM