A Rouen, dans le haut de la rue Beauvoisine, une librairie étrange m’attire. Petite boutique grisâtre, dont la porte est placardée d’informations originales, aux antipodes des tendances actuelles : « Vive les casseurs », « Servez-vous », « Ici, pas de vidéosurveillance ».
Les visiteurs sont accueillis par une douce musique tzigane, un chat blanc aux yeux bleus, allongé sur une biographie de Patrice Lumumba en langue swahilie et par le bouquiniste en personne, chevelure indisciplinée, barbe noire, petites lunettes rondes, occupé à réparer un escabeau auquel il manque une marche.
A vos pieds, sur des tables, partout, au fond, à droite, derrière vous, les livres sont là, maigres et ventrus, empilés, amassés, entassés jusqu‘au plafond. Vous vous sentez alors bien seul au milieu de cet incroyable labyrinthe de tours de Pise ou de cathédrales branlantes.
Dans un tel capharnaüm, comment dénicher un ouvrage sérieux sur les nomades Kampas du Tibet ?
-C’est simple, répond Joseph Trotta, le maître des lieux, vous tournez au quatrième campanile à droite, puis au deuxième building à gauche, là, une échelle vous attend. Pas la peine d’escalader jusqu’au plafond, les ouvrages sur le Tibet se trouvent à mi-hauteur…
Ainsi, dans cette librairie originale, il faut savoir retrousser ses manches pour visiter les piles et surtout ne pas avoir le vertige. Tout est classé par thèmes, mais selon une logique imprévisible, chère aux amateurs du désordre apparent.
-Si j’ai bien compris, lui dis-je, en entrant chez vous, le lecteur redevient un peu homme des cavernes…Avant de pouvoir dévorer les livres, il doit mériter sa nourriture, faire preuve de courage et de patience, les vertus essentielles de la chasse…
-Très bien, jeune homme, répond-il avec humour, vous avez mérité un cadeau. Voici « L’art de se curer le nez » de Roland Pichenett. Mon petit doigt me dit que vous aurez beaucoup de plaisir à lire ce chef-d‘œuvre et à améliorer votre technique.
En venant chercher ici l’ouvrage rare, l’explorateur occasionnel trouve toujours de quoi satisfaire son désir. Il est heureux aussi de sortir de ce temple dédié à tous les savoirs avec plusieurs écrits sous le bras, offerts par cet original, sensible au sourire et à la joie de vivre.
Et quand le magasin est fermé, un tas de livres est posé sur le trottoir à l’attention du promeneur du dimanche, surpris d’y découvrir un essai sur les abeilles du Bangla Desh ou des conseils pour réussir ses confitures.
JAC, le 19 août 2012
Les commentaires récents