Je ne le revis que trois mois plus tard, dans des circonstances invraisemblables. Il était vautré sur l’édredon de mon lit. A ses yeux mouillés qui me regardaient fixement et aux zébrures noires de son abdomen, je sus que c‘était une femelle. Comment était-elle entrée dans la chambre ?
Je m’avançai vers elle pour la prendre dans mes bras, quand elle s’envola lentement, descendit l’escalier, et, après une brève hésitation, prit la direction de la cave. Je suivis le volatile. La porte était entrouverte. L’animal se posa sur une étagère. Il contractait en rythme saccadé ses plumes pectorales, tout en chantant des trilles composées de séries de notes descendantes et plaintives, souvent suivies d’incroyables tintements de cloche.
Subjugué par tant de beauté et d’aplomb, je ne savais quelle attitude adopter, feignant même par instant l’indifférence, jusqu’à détourner le regard pour le poser sur la rugosité du mur de béton ou sur un clou rouillé planté là depuis des lustres.
Afin d’attirer mon attention, elle s’allongea de tout son long sur une planche. Elle ne cessait de me dévisager et de prendre les airs languissants d’une chatte favorite.
Comme je voulais la caresser, elle se dégagea lestement et en trois coups d’ailes, atteignit un portemanteau en fer qui lui permettait de dominer la situation. Jusqu’à ce jour, je n’ai jamais pu saisir ma compagne, ni même effleurer la moindre de ses plumes.
Madame ne parut même pas remarquer mon absence et si, les semaines suivantes je faisais de fréquents séjours dans la cave, ils furent par la suite de plus en plus prolongés, si bien que tout naturellement, je m’installai un dimanche dans mon réduit pour ne plus jamais en sortir.
C’est peut-être difficile à comprendre, mais la vérité est là. Depuis des années, nous vivons dans cette cave, moi en bas, elle en hauteur. Chacun à sa place. Pour rien au monde, je ne remonterais à la surface.
Certes, il me reste encore beaucoup à faire. D’abord, finir de colmater les trous de la porte d’entrée. La musique d’« en haut », souvent poussée à fond lors des fêtes carillonnées, m’exaspère. Elle pénètre par toutes les fissures. Ensuite, il faudrait repeindre les murs. Le blanc fait plus propre dans un sous-sol. Mais le plus urgent est d’améliorer ma couche. Les journaux et les sacs en plastique que j’ai rassemblés pour me ménager une litière convenable, commencent à se déchirer. Je dors en chien de fusil, non pas à cause des casiers qui m’empêchent d’étendre mes jambes, mais parce que telle est ma position préférée. Tous les matins je fais de la gymnastique. Entretenir le corps est primordial. J’ai le privilège de faire mes étirements devant une spectatrice de choix et qui m’encourage.
Dès le début de notre rencontre, nous nous regardions souvent dans les yeux. J’osai un jour lui poser les questions idiotes qui viennent inéluctablement à l’esprit des humains quand ils ont adopté un animal : « D’où viens-tu ? Comment as-tu fait pour venir jusqu’à moi ? Pourquoi m’as-tu choisi parmi tant de rivaux ? »
Après un long silence, le paradisier réussit à extraire du fond de sa gorge un son insolite, à mi chemin entre un sanglot et une quinte de toux. Je crus percevoir en substance : « Kouwi-kar-kar », puis quelque chose ressemblant à « Di-banga-a ». Il me plut de ne retenir que la dernière partie de son babil. Le nom de l’oiseau était trouvé : « Dibanga.»
JAC, le 22 septembre 2013
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