J’ai dans notre cave, dont j’ai récemment calfeutré le soupirail et entrepris quelques travaux d’aménagement, bien des sujets de satisfaction.
Ainsi, les courants d’air qui nous glaçaient le dos il y a deux ou trois mois encore, ont pratiquement disparu, résultat réconfortant à l’approche de l’hiver.
D’autre part, les objets, entassés autrefois dans un désordre indescriptible, variant constamment de disposition selon l’humeur du moment, semblent à présent avoir trouvé définitivement leur place en des endroits où ils n’entravent pas nos évolutions.
Par ailleurs, comme je nourris depuis toujours une véritable passion pour le bois, j’ai pris la précaution de tronçonner nos rondins encombrants en segments réguliers de quarante centimètres et de les entasser soigneusement, morceau par morceau jusqu’au plafond presque, en ménageant un petit espace entre les piles. D’ailleurs, pendant la construction de cet ouvrage qui a nécessité plusieurs mois, j’ai pu assister au fil des heures à un phénomène intéressant : la transformation progressive de l’odeur des bois humides de la forêt, (branches couvertes de mousse fraîche, de lichens, de champignons visqueux aux parfums fruités), en une effluence unique, pénétrante, persistante de poussière de bois scié.
Le matin, quand nous nous éveillons, je contemple notre majestueuse citadelle de bois. Rien n’y manque. Depuis les murailles jusqu’aux tours, chaque pièce est assemblée avec art, rigueur et patience. Pourquoi serais-je modeste ?
Bien sûr, tout n’est pas parfait et je ne prétends pas avoir réalisé ici la huitième merveille du monde. Et si parfois je me laisse aller à une coupable autosatisfaction, c’est peut-être que je reviens de loin : la maladresse manuelle qui me caractérisait dans mes jeunes années, l’aspect lymphatique que j’offrais à mon entourage, une éducation tournée vers le mépris du bricolage, ne m’ont pas empêché de réaliser dans cette cave une performance qui devrait surprendre ceux qui se moquaient de mes handicaps. Voilà pourquoi en ce moment je m’efforce de promouvoir mon activité souterraine à l’extérieur de notre villa. J’ai plaisir à montrer mes prouesses à mes nombreuses relations amicales.
Nous vivons en paix, Dibanga et moi depuis plusieurs années au fond de notre retraite, malgré les petits désaccords passagers inhérents à la promiscuité permanente dans un lieu relativement exigu.
Nous nous sommes rencontrés il y a longtemps. Il me semble que nous nous sommes toujours connus. C’est souvent ce qu’affirment les couples quand l’habitude s’est installée dans leur vie.
Comment la présenter ? Comment expliquer mon attachement pour un être aussi élégant et délicat ?
C’était un dimanche pluvieux de novembre. J’étais assis « là-haut », à mon bureau. Le visage enfoui dans mes mains entrouvertes, j’écoutais d’une oreille distraite et désabusée un reproche ou peut-être une énième menace proférée par Madame à mon égard. Une journée triste et grisâtre en perspective.
J’entendis alors derrière mon dos une succession étrange de petits coups secs sur l‘une des vitres du salon. Je ne prêtai tout d’abord aucune attention à ces bruits et supposai qu’ils émanaient d’une brindille quelconque ou d’une feuille de papier qui flottaient au vent. Madame faisait les cent pas dans la cuisine en pestant contre le monde entier, jetant dans un même sac le mauvais temps, les créanciers, les impôts, les hommes.
Alors je me retournai.
Et là, je vis.
Sublime apparition. Un oiseau de belle taille, transi de froid, s’agrippait au rebord de la baie vitrée. C’était donc lui qui, avec son long bec ivoire, tapait aux carreaux, comme un passant qui demande de l‘aide. Son cou et son manteau noirs de jais, brillaient d’un lustre vert foncé. De longues plumes ornementales jaillissaient des flancs, formant un panache aux différentes teintes de bleu et de mauve. Je reconnus immédiatement le paradisier de Nouvelle-Guinée, sans doute échappé d’un parc zoologique ou de la cage d’un oiseleur.
Au moment où je m’apprêtais à ouvrir la fenêtre pour lui porter secours, Madame pénétra en trombe dans la pièce, et, sans un mot, me lança au visage une photo de notre mariage où les invités, dans leur attitude compassée et grave, semblaient participer à une cérémonie d’enterrement.
Elle disparut aussitôt au pas de charge, en faisant claquer violemment la porte derrière elle.
Du coup l’oiseau s’était envolé.
JAC, le 22 septembre 2013
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