Au bout de trente minutes de navigation entre les serres et les zones de plantation, le bateau s’arrête le long de la berge.
Miguel conduit son client dans un dédale de ruelles jusqu’à une habitation en bois, une résidence cossue entourée d’un parc.
Le propriétaire, un homme affable, les accueille et les fait asseoir à la terrasse.
Puis il s’éclipse un instant.
La forêt résonne de pépiements divers. Les oiseaux s’en donnent à cœur joie dans les cocotiers.
Le patron revient et dépose « l’objet » sur la table.
Le masque !
Plus éclatant peut-être que celui du musée. Une pièce d’une beauté rarissime.
-On ne sait pas à qui il a appartenu, dit l’hôte, mais il a été trouvé dans une tombe de Palenque. On suppose qu’il était destiné à l’un des derniers rois, soit K’uk’ B’alam II, soit Wak Kimi Janaab. A partir de 800, on perd toute trace de la dynastie. Un tremblement de terre ? On l’ignore. Au XVI° siècle, la région était quasiment abandonnée. Je pourrais en tirer davantage d’argent, mais je suis pressé, je ne demande que la somme nécessaire pour étendre un peu ma propriété…
Boris soupèse le masque avec d’infinies précautions. Ses yeux sont mouillés de larmes.
Mais, bientôt, Miguel lui rappelle l’heure.
-Alors, c’est d’accord ?
-Attends, on n’est pas pressé. C’est quand même une grosse somme. On prendra bien un autre bateau, non?
De son sachet il extirpe des liasses de dollars qu’il étale devant lui.
-Voilà. 260 billets de 100 qui nous font 26000, c’est bien cela ?
Soudain, les oiseaux se taisent. Une gêne s’établit entre les personnages. Pendant quelques secondes pas un ne dit mot.
Derrière la maison, une branche craque. Au même moment, cinq individus cagoulés surgissent, armés de fusils mitrailleurs.
L’un d’eux frappe le propriétaire à coup de crosse sur le crâne. Il s’écroule. Boris est incapable de réagir. Il est plaqué au sol par deux lascars. Ligoté, bâillonné. Miguel reçoit un coup de massue en plein visage. Une chaise se renverse. Le Français a juste le temps de voir les braqueurs s’enfuir vers la forêt.
Avec les dollars. Avec le masque.
Mais…ils reviennent. Ils reviennent ! Pourquoi se précipitent-ils sur les trois hommes ? Ont-ils changé d’avis ?
Trois coups de feu claquent. Presque en même temps. Le soleil devient rouge.
Et puis, plus rien.
Bourdonnement dans les oreilles. Tête lourde. Goût de sang dans la bouche. La tête qui tourne.
Boris a les yeux fixés sur le cadavre de Miguel et du patron… Partir. Il faut partir. Avant la nuit. Appeler. Il ne souffre pas. Mais il perd son sang.
Là-bas, aller jusqu’au restaurant.
Il se lève, trébuche. Encore quelques mètres.
La terrasse est vide. Au bord, une barque. A peine amarrée.
Il monte. Se laisse glisser.
Il y a des poupées accrochées aux branches. Où est-il ? Dans un cimetière ? Au cimetière des poupées ? L’une n’a plus de bras. L’autre a perdu un œil. Sa voisine est pendue à un arbre par des fils de fer rouillés.
La barque se faufile entre les lianes. Les silhouettes mutilées s'entassent sur un talus. Il y en a des centaines. Les yeux vides des bébés en plastique fixent un homme à l’agonie, allongé sur son bateau.
Dans un demi sommeil, il devine à quel endroit il est parvenu.
Ce doit être l’Enfer.
FIN
Commentaires