3 septembre 2012
La télévision nous livre un reportage de plus sur les horreurs de la guerre civile en Syrie.
C’est la nuit. Des hommes armés empruntent à moto une piste caillouteuse et se dirigent vers le haut d’une colline. Un caméraman juché à l’arrière filme en continu. Quelques coups de feu retentissent. Je devine quel genre d’images le spectateur va bientôt subir.
Je m’apprête donc à changer de chaîne, mais je ne sais pour quelle raison, ma main hésite à appuyer sur la télécommande. Peu à peu, l’émotion me gagne. Ce petit village au pied d’une citadelle, l’alignement des magasins aux rideaux de fer baissés, puis la route sinueuse à travers les oliviers…il me semble être passé par-là dans ma jeunesse. Soudain, des phares balaient un panneau écrit en arabe et en français. Cette fois, pas de doute, c’est bien le fameux « Krak des Chevaliers » dont il est question dans le film, une citadelle construite au XII e siècle par les croisés.
Alors, je monte le son.
Le journaliste explique qu’en plein jour, des snipers abattent quiconque s’aventure sur cette route. Le château, qui domine de 500 mètres la plaine d’El-Bukeia, est un enjeu stratégique majeur aussi bien pour les forces gouvernementales que pour les rebelles. Il est gardé la nuit par une dizaine de combattants de l’opposition, malgré un bombardement intensif des chars stationnés aux alentours. Au moment où les motocyclistes pénètrent dans l’enceinte, trois hommes transportent un soldat, touché de deux balles dans la tête.
Non loin de là, près du pont-levis, un cadavre gît, bras en croix, dans une mare de sang. Un adolescent blond, fusil en bandoulière, essaie désespérément de le ranimer et l‘appelle de toutes ses forces. Son grand frère tire l’enfant par l’épaule et l’oblige à quitter les lieux au plus vite.
Il y a trente-cinq ans, un jeune garçon aux mêmes traits européens, s’était proposé de me servir de guide à l’intérieur du château. A l’époque, j’étais tombé sous le charme de cette Syrie-là. Une hospitalité émouvante émanait des communautés qui composaient le pays. Et pourtant, dans le sud, une zone mystérieuse portait tous les ingrédients classiques de conflits à venir. Une route étrange, entre Homs et Tartous, traversait un bout de Liban, un no man’s land lugubre tenu par des vendeurs de bidons d’essence ou de voitures rouillées. On s’y faisait contrôler tous les kilomètres par des milices différentes.
Puis, la route pénétrait à nouveau en territoire syrien. Alors, on apercevait au loin, posées sur un promontoire, les murailles de l’immense citadelle.
Brusquement, me reviennent des images de ce voyage.
La rampe voûtée qui mène au fort, les salles de garde, les écuries, le fossé séparant les deux enceintes fortifiées, les tours, les vestiges d’un hammam. L’enfant aux yeux étonnamment bleus parlait un français livresque en roulant les R. Un descendant sans doute des chevaliers installés dans la région après une croisade. Il pourrait être le père du garçon à la kalachnikov.
Ainsi, près de mille ans après sa construction, le site historique verrouille toujours l’axe stratégique reliant Damas, Homs et la côte méditerranéenne.
Inscrit depuis 2006 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, il vient malheureusement de perdre son récent statut, pour se transformer en résidence hantée par la mort.
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