C’est l’histoire d’un solitaire hirsute, au regard vindicatif sur les oiseaux, les chats et les gens qui passent.
Il habitait une « case en bois sous tôles », au fond d’une cour envahie par les hautes herbes, des monceaux de bouteilles vides et des carcasses de voitures calcinées. Car ce misanthrope, pyromane notoire, égaré depuis des années sur le chemin de la raison, passait son temps à semer derrière lui colère et indignation, en allumant partout de multiples brasiers.
Des feux de détresse, sans doute.
Son premier fait d’arme remonte à l’incendie d’une partie de sa maison, prouvant visiblement par ce geste qu’il reniait son passé, ses parents et les principes de son éducation.
Certains détestent la violence, sa secrétaire, les radars ou la soupe à l'oignon, lui, ne supportait pas les pharmacies, les poubelles et les poteaux des lignes électriques. Ainsi, peu à peu, Il s’était affirmé dans une spécialisé rare, la destruction méthodique de ces trois symboles.
Deux ou trois ans plus tard, à la suite d’un énième sinistre qui avait provoqué une longue coupure de courant dans le quartier, j'ai décidé de contacter par téléphone le directeur général de l’EDF. Certes, il reconnaissait l’absurdité d’envoyer chaque jour une équipe pour réparer les dégâts, mais se refusait à prévenir les autorités, en l‘absence de plainte convaincante des voisins. Il était donc au regret de ne pouvoir accéder à ma demande. Ce soir-là, une fois de plus, nous avons mangé notre soupe à la lumière de la bougie.
Malgré tout, mon appel avait dû mettre… le feu aux poudres : le lendemain, la police entrait dans ses murs, (ou plutôt, dans la dernière pièce que ce marginal avait bien voulu épargner), pour lui proposer un havre plus confortable à l'hôpital psychiatrique.
Aussitôt il disparaissait du secteur et la ruelle pouvait retrouver calme et sérénité.
Pas tout à fait car, au fil des mois, la maison abandonnée se détériorait lamentablement, squattée de temps en temps par une meute de chiens errants ou quelque ivrogne venu y cuver son rhum.
Jusqu’au jour où, d’un bout à l’autre du chemin, une nouvelle étonnante s’est propagée très vite : Tic Tic est de retour !
Un peu empâté, voûté même, les cheveux en bataille, il n’avait cependant rien perdu de ce regard inquiétant qui fait pleurer les bébés et baisser les yeux des filles.
Mais, après plusieurs semaines d’observation discrète, ne relevant aucune trace suspecte d’incendie dans les parages, les voisins se sont rendus à l’évidence : le Tic Tic nouveau avait réussi à tordre le cou au pyromane qui rongeait son esprit.
Pourtant, quelques habitants recommençaient à s’inquiéter. Ils remarquaient de temps à autre certains phénomènes inexpliqués. On déplorait ici et là plusieurs panneaux de signalisation détériorés, arrachés, jetés en plein milieu de la route. Immédiatement, les soupçons se sont portés vers le fameux fauteur de trouble. Des témoignages concordaient. Des enfants l’avaient vu. L’ hôpital avait-il transformé l’ex-brûleur de poteaux en briseur de pancartes ?
Pas du tout. La nouvelle est tombée il y a un an : il ne s’agit pas de Tic Tic, mais de son frère jumeau ! Qui lui ressemble, comme deux gouttes d’eau de pompe à incendie. Au point qu’on le prendrait pour son clone.
Nous nous croyions tirés d’affaire, nous sommes poursuivis par la fratrie.
Tic Tic bis nous réserve encore bien des surprises. Depuis quelques mois, il se cache parfois derrière les arbres pour jeter des cailloux sur tout ce qui bouge.
Alors, après avoir appelé autrefois le directeur de l’EDF, je devrais peut-être maintenant prévenir le maire ou le patron de la DDE.
Et si j’hésite à prendre cette décision, c’est que je crains l’arrivée d’un troisième larron. Et oui, d’aucuns prétendent qu’il manque un frère à l‘appel, à l’appel du feu, bien sûr, un Tic Tic ter, encore plus déterminé à régler ses comptes avec le monde, et qui pourrait s’en prendre, par exemple, à nos jardins, à nos voitures, à nos grands-mères.
(Un récent sondage a été proposé aux habitants de la cité : " Que préférez-vous avoir comme voisin, un pyromane ou un arracheur de panneaux de signalisation ? "Le résultat révèle que tous brûlent d'envie de montrer à l'un et à l'autre de quel bois ils se chauffent. Mais pour celà, il faut le feu vert de la police...)
JAC, le 14 juillet 2011
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