14 avril 1992, Riyad, Arabie Saoudite,
Les doigts hypocritement détendus tapotent
le volant. On attend. On pourrait même siffloter négligemment comme pour
caricaturer ce temps mort. Car on attend, c’est sûr, ensemble, côte à côte,
tous logés à la même enseigne.
Le conducteur de gauche semble mécontent, moins bien servi peut-être que ses rivaux,
serré entre un Pick-Up peuplé de
moutons et un tas de terre percé de piquets pour en délimiter vaguement
l’emplacement. L’adversaire de droite jauge le profil des concurrents, dans le
double but de les impressionner et de se rassurer lui-même. Une Cadillac modèle 78, même refaite à neuf, ne peut avoir la
prétention de résister au démarrage puissant d’une Buick
modèle 80 ! Reste à savoir d’ailleurs, tandis que les regards insistants
se provoquent, ponctués d’appels d’accélérateur pressants, il faut voir si
cette même Buick ne sera pas dépassée par les événements au moment où la Jaguar modèle 83, essoufflée pour l’ instant, aura sonné la
charge. Les volontaires de cette compétition toute masculine, très prisée dans
la capitale, ne retiennent que très mal leur monture. Les automobiles avancent
peu à peu, centimètre par centimètre. Qui des trois pôle- positions prendra le
meilleur départ dans une poignée de secondes ?
Une chaleur accablante écrase la ville. Les
Saoudiens ont baissé les vitres et n’utilisent pas la climatisation. La
température monte en plein midi jusqu’à 46 degrés.
On fait avancer encore un peu les véhicules pour tromper l’ennemi et l’ennui, histoire de perturber davantage le démarrage des uns et des autres. Les moteurs vrombissent. Attention…
Mais, de l’avenue transversale apparaît une
véritable fusée ! Un Pick-up Toyota
conduit à vive allure par un bédouin, émet un terrible crissement de pneus. L’automobiliste
se trompe de direction, pense entrer sur l’autoroute dans le bon sens. Ses
mains agitent le volant pour tenter de rectifier la trajectoire de son bolide.
Trop tard. La fourgonnette percute un poteau, pulvérise le tas de terre, heurte
une berline abandonnée et se retourne en finissant sa course sur le toit. Le
pilote gesticule dans sa cabine déformée. On croirait qu’il salue les
spectateurs. Une fumée noire s’échappe du réservoir d’essence.
A ce moment précis, le feu passe enfin au
vert. Les participants s’élancent. La Jaguar doit éviter
l’obstacle imprévu et perd du terrain sur la Buick. Le chauffeur semblait
pourtant si sûr de lui quelques secondes auparavant. Les autres coureurs sont
déjà loin. Ils forcent l’allure là-bas, dans un formidable nuage de poussière.
Les flammes commencent à lécher les
portières de la camionnette et la fumée noire devient plus dense.
La créature dans sa cabine ne bouge plus.
JAC, le 12 juin 2009
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