7 juin 2007, Canville–les–Deux–Eglises, Normandie,
La France est grise. Elle a le juin mauvais, froid, venteux, humide. Plus vieux que ce pays, il n’y a pas.
Les gens dans les rues marchent vite vers leur ticket –cadeau du supermarché, la petite baguette bien cuite mais pas trop, la caisse automatique du parking qui répand la terreur. Les parcmètres ont certes des jambes mais leur cerveau n’est pas plus ouvert que leur sourire. Dans les bistrots la séparation s’est faite entre le sandwich et la bière. Le divorce est consommé avant…consommation. Dans l’un, l’acheteur est autorisé à amener son pain pour ingurgiter sa pression. Dans l’autre, il subit une pression pour qu’il aille boire sa bière ailleurs. On n’a plus le droit d’avoir soif et faim en même temps. Il faut choisir : manger son pain jusqu’à plus soif ou ronger son frein devant sa blonde.
Les rues sont refaites à neuf. Rien ne dépasse. Toutes se ressemblent. Bariolées, frottées de déjà vu. On les a pensées pour les bons yeux, dessinées pour les esprits vigilants. Panneaux ceci, panneaux cela. Suivre la flèche. En suivre une autre qui découle de la première. Gare à l’erreur pour ne pas « errer dans la gare », alors qu’on n’avait nullement l’intention d’y entrer : on voulait seulement un tout petit coin pour s’arrêter et souffler un peu…
Les gags s’accumulent : obligation de faire le tour de la ville. Retour à la case départ. Comme au jeu de l’oie. Pour mettre tout le monde au pas… « Quand on n’a pas d’âme il faut bien s’inventer une méthode ». Cette manière médiocre de voir la vie, rappelle d’ailleurs des époques où l’homme faible subissait à plaisir les règles impitoyables d’un système qui le mettait plus bas que terre.
Alors on pense aux vers d’Aragon :
« Je reviendrai dans ma ville majeure,
Il y fera le temps de tous les jours.
Le ciel aura sa commune douceur
Mais les passants des visages de sourds. »
Je n’ai reconnu aucun visage. Les ruelles ont perdu leurs pavés, leur fantaisie, leur âme. Les maisons à colombages ont certes été mises en valeur à partir du premier étage, mais à la hauteur du regard humain, un agencement de poteaux, de panneaux publicitaires, d’autos, de motos en stationnement, défigurent par leur présence anachronique les portails sculptés de la Renaissance, les boiseries colorées des fenêtres datant de l’époque de Molière. Pouah !! Mes salives desséchées infectent encore leurs trottoirs accablés d’artificiel ! Rue de Fontenelle, les façades des maisons étaient le décor idéal des films de cape et d’épée. Une aubaine pour les réalisateurs des « Mousquetaires » ou de « Fanfan la Tulipe ». Les mauvais garçons préféraient le couteau au ballon. Du moins se complaisaient –ils dans cette réputation. Les clochards donnaient leur avis sur les batailles de Napoléon, disaient parfois des vers de Baudelaire, aidaient aux devoirs pour une cigarette ou un sourire. Les gens portaient des paniers pleins de légumes. Il n’y avait pas de chiens à cette époque.
Et la même fadeur envelopperait sans doute le cœur historique de bien d’autres villes de France.
Ce pays qui était le mien ne m’appartient plus. Il est mort pour ma génération. Livré au repli des individus sur leur téléphone portable, leurs jeux télévisés, leur internet, leur virtuel, leur banalité, leurs petites occupations ternes. Ici, derrière un rideau, dans une cabine téléphonique, devant une bière, le regard est suffisant, prêt à mordre, mais ne le sait pas. En ce lieu revu et corrigé de platitude, mes appareils photos restent bien au chaud dans leur étui.
« En étrange pays dans mon pays moi –même… »
J’ai toujours fui la pâleur de l’accoutrement et des idées. L’Occident excelle dans le monde des panoplies :
- Panoplie du rappeur, du branché « Walkman », téléphone portable en bandoulière ;
- Panoplie « des quartiers », le Mac Do, le magasin de savons parfumés, d’essences anti –stress, librairies ésotériques avec option massage ayurvédique, viennoiseries avec paninis et croque –monsieur aux deux fromages ;
- Panoplie des goûts musicaux et des bruits fournis avec, des loisirs interactifs.
Inutile de chercher longtemps : dans la prochaine rue à droite, il y aura un marchand de glaces, puis une « Saladerie », une « Sandwicherie », voire un coiffeur « Visagiste – Manucure » aux huiles essentielles.
Tout est semblable à tout et inversement.
Tout se consomme. Sans joie. Par habitude.
Tout se consume.
Vite, vite, un avion pour mon île !
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