Chapitre 11
Epilogue :
Que sont devenus ensuite les
protagonistes ?
Georges a fait son
service militaire. Beaucoup de lettres dépressives à sa famille. Beaucoup de
demandes insistantes d’argent, sans résultat. Puis, à en juger par ses têtes de
lettres, il s’est débrouillé dans les affaires. Il est mort jeune (une
trentaine d’années), laissant deux fils naturels, Gaston et Georges junior.
Georges junior aura un rôle essentiel dans la rencontre de mes parents :
c’est donc grâce à lui que je suis né. Je l’ai bien connu dans les années
cinquante : il était wattman sur la ligne de tramway numéro 12 (Stade des
Bruyères) à Rouen. Il m’a quelquefois promené gratuitement: j’avais une
passion pour les tramways !
(Georges militaire)
(Georges et la bosse du commerce)
Et Jules,
celui que l’oncle attendait, qu’est-il devenu ? Il a roulé sa bosse,
maniant l’archet en Louisiane, à New York, à Chicago, au Canada, en Algérie
puis se fixant en Tunisie, à Sfax. Tout laisse à penser qu’il « tirait
le diable par la queue » et qu’il est mort à Sfax seul et misérable en
1909, à l’âge de 42 ans, célibataire, sans enfants.
(Jules Petit à Sfax)
Concernant
la mort de Jules, deux pièces d’archives m’ont durablement frappé : c’est
d’une part la lettre émouvante de Julien à sa maman. Julien, 30 ans à l’époque,
notre futur grand-père, le futur « Dugrober », y exprime son chagrin
et se fait consolateur auprès d’Eulalie. Et c’est d’autre part la coupure du
journal de Sfax qui montre combien l’artiste était estimé localement mais aussi
combien il était seul, le vice-consul ayant dû représenter la famille trop
éloignée (et trop pauvre) pour venir aux obsèques.
Ailly-sur-Noye, 19 mars 1909
Chère mère,
C’est avec
une profonde tristesse que je t’écris cette lettre car je suis encore tout
consterné par la terrible nouvelle que tu m’as annoncée dans ta lettre d’hier.
Pauvre Jules ! Il faut se résoudre à ne jamais le revoir ! La mort
l’a terrassé loin de nous, sur la terre africaine et nous n’aurons même pas la
consolation de voir un jour sa tombe, la distance est trop grande !
Et puis,
comment est-il mort ? De quoi ? De quelle maladie ? On ne te l’a
pas dit mais nous le saurons car je vais écrire au Directeur de l’hôpital et au
Directeur du théâtre. Peut-être aurons-nous quelques éclaircissements sur sa
triste fin. Il est peut-être malade depuis longtemps. C’est peut-être la misère
qui a engendré son mal. Il me semble assez bizarre qu’il soit resté si
longtemps à Sfax. Comme il t’a écrit il y a 14 mois qu’il voulait rentrer en
France, ne se sentait-il pas déjà malade ?
Je ferai mon
possible pour savoir.
Peut-être
aussi avait-il quelques amis là-bas qui te donneront des détails. Il m’avait
parlé d’un havrais dans sa lettre. Enfin, c’est tout de même terrible de mourir
si loin de sa famille. Il y a bientôt 9 ans que je ne l’ai pas vu et maintenant,
c’est fini, je ne le reverrai plus jamais. Pauvre gars ! Ce qui lui est
arrivé était à prévoir, avec un métier pareil ! Le malheureux, il fallait
s’attendre à ça, mais tout de même pas si tôt ! Il était encore bien
jeune !
Je ne
pourrai pas te donner beaucoup de paroles de consolation, pauvre mère Petit car
il ne me reste qu’à mêler mes larmes aux tiennes et à celles de toute la
famille. J’estime que Jules était un bon garçon. Il aurait dû nous donner des
nouvelles plus souvent mais puisqu’il est mort, ne le jugeons pas.
Le pauvre
garçon, dans ses derniers moments, a dû bien souffrir surtout s’il n’avait pas
d’amis bien attitrés. Si toutefois tu avais de ses nouvelles venant de là-bas
par un de ses amis de théâtre, je te prie de nous en faire part. Quant à moi,
je vais écrire à Sfax, je te communiquerai ce qui m’aura été répondu. Je crois
qu’il faudra attendre quelques jours car, avec la grève des postiers, les
lettres pourraient se trouver égarées.
J’ai la
photographie de Jules et si plus tard je puis le payer, je ferai faire un
agrandissement. En ce moment, il ne faut pas y compter, malheureusement.
J’ai bien
reçu ta lettre et le mandat de 10 francs. Je t’en remercie beaucoup. Je termine
ma lettre en te disant : « Courage ! ». La vie est
bien douloureuse. Louise et nos enfants, Madeleine et Lucien, se joignent à moi
pour t’embrasser bien fort et pleurer avec toi.
Ton fils
dévoué,
Julien
(Coupure de la Dépêche Sfaxienne rendant hommage à
Jules Petit, violoniste)
Et Eulalie,
que devient-elle après sa joute épistolaire avec son frère Claude
Nicolas ? Elle perd son mari en 1897, ce qui lui vaut l’unique lettre écrite
par son frère depuis la rupture de 1887. Une lettre de condoléances
chaleureuse, affectueuse.
On y
retrouve cependant les préoccupations matérielles essentielles chez Claude
Nicolas : « la famille élevée, les enfants tous placés ».
Eulalie mourra dans les premiers jours d’octobre 1914 aussitôt après avoir
appris la victoire de la Marne dit la légende familiale. Entretemps, la pauvre
aura perdu trois de ses fils, Georges, Lucien et Jules.
(Lettre de condoléances de Claude Nicolas à Eulalie du
9 juillet 1897)
Claude Nicolas meurt à Yokohama en 1908. Le faire-part arrive chez sa sœur Eulalie à
Rouen par le Transsibérien
(Enveloppe du faire-part de décès de Claude Nicolas
expédié à Eulalie par le transsibérien)
Il laisse
une affaire prospère à trois de ses fils, Claudin, Charles et César, le plus
jeune. Charles épousera une japonaise. Il est le grand-père par
son fils Edouard des cousins encore installés à Yokohama et que j’ai pu
rencontrer en 2004.
(Charles Eymard)
(De droite à gauche : Edouard, fils de Charles et
de Suge Sato, première étape de métissage, encore bien une tête de Petit…Son
épouse Kiyono, encore en vie. Quatre de leurs cinq enfants : Jacqueline,
Charlène, Nicole, Philippe. Photo de 1979)
(De gauche à droite : André, Nicole, Charlène,
Philippe, Jacqueline en 2000, les enfants d’Edouard et Kiyono, les
petits-enfants de Charles et Suge Sato, les arrière-petits-enfants de Claude
Nicolas et Thérèse.)
Quant aux
filles, Cécile et Giovanina, elles font de beaux mariages. Cécile épouse un
homme d’affaires français, Monsieur Gaillard, et s’installe à Shangaï où l’on
peut suivre sa trace jusqu’en 1920. Elle y aura deux filles. Elle restera très
gentille avec sa tante Eulalie et lui écrira affectueusement pour annoncer son
mariage et pour présenter ses condoléances lors du décès de Marcel Petit.
Transcription
de la lettre du 5 août 1893 de Cécile à Eulalie annonçant son mariage et
son départ pour Shangaï :
Yokohama, 5 août 1893
Ma
chère tante et cher oncle,
Bien que je n’aie pas eu le bonheur
de vous rencontrer et que de tous mes cousins et cousines je n’aie connu
personnellement que Georges, je me fais un devoir de vous écrire aujourd’hui
pour vous annoncer mon prochain mariage qui aura lieu courant septembre.
Etant à Shanghaï avec mon frère
Claudin pour le mariage de notre cousine Marie, j’ai fait connaissance à la
noce de Monsieur Gaillard qui était justement le témoin de Marie comme ami de
mon oncle Joseph.
Il est vrai que ce n’est plus
précisément un jeune homme puisqu’il a 38 ans mais malgré cela nous nous
convenons. C’est un commerçant important de Shanghaï, un Français (de l’Isère)
et il est très sérieux.
Il y a quinze jours,, il est venu à
la maison pour faire la connaissance de mes parents qui ont trouvé tout très
bien en dehors de la différence d’âge. Inutile de vous dire que de mon côté, je
le trouve à mon goût. C’est un ancien artilleur. Il est musicien à la Lyre de
Shanghaï et mon père a remarqué qu’il jouait du même instrument que mon oncle
au 22ème de Ligne.
Mon mariage entraînera mon départ
pour Shanghaï. Cela me fait naturellement de la peine ainsi qu’à mes parents.
Cependant, je ne serai pas isolée, mon oncle Joseph y étant directeur d’une
carderie et ma cousine Marie y étant mariée.
Nous parlons souvent de vous tous à
la maison. Ma petite sœur Giovanina qui est une grande fille maintenant pense
souvent à sa marraine.
Il me semble drôle de le dire
puisque c’est impossible à cause de la distance mais enfin mes parents comme
moi aurions été si heureux de pouvoir vous avoir et mes cousines surtout à mon
mariage. Aussi, permettez-moi de me dispenser de vous y inviter.
Mes frères, les grands comme les
petits, ayant connu Georges croient vous connaître aussi et se joignent à moi
pour vous embrasser bien affectueusement avec un baiser particulier de ma part
à mes deux cousines.
Votre nièce affectionnée
Cécile Eymard
Vous ne trouverez pas le bonheur loin de vos plus proches parents
(commentaire d’Eulalie Eymard inscrit sur la lettre de sa nièce).
En 1897,
Cécile maintient le contact depuis Shangaï avec sa tante Eulalie et lui écrit
une lettre de condoléances chaleureuse à l’occasion de décès de son
mari :
(Lettre de condoléances de Cécile à Eulalie pour le
décès de Marcel Petit en 1897)
Du mariage
de Giovanina dite Nina, nous avons une belle photo transmise par Jacqueline
Eymard avec une splendide collection de moustaches d’époque et l’impressionnant
chapeau de Cécile :
(Giovanina se marie (un peu pincée…). Au premier rang,
ses frères, Cyprien à gauche, César à droite, beaux et rigolards... Charles est
discrètement caché derrière elle, toujours sérieux. Sa sœur Cécile est
somptueuse. Impossible d’identifier les autres personnages.)
Cyprien
respire la joie de vivre. Il rentrera en France pour faire son devoir en 1914
et sera, hélas, tué à Verdun en 1916. Il repose dans le cimetière de Briançon,
berceau de la famille Eymard. Sa pierre tombale est gravée en kanjis et en
français.
(Pierre tombale de Cyprien Eymard au cimetière de
Briançon)
(Pèlerinage de Chedozot et de ses fils Jérôme et
Samuel sur la tombe du cousin Cyprien)
Et
voilà ! Et la branche japonaise de la famille continue, une nouvelle
génération monte comme le montre cette photo pleine d’avenir :
(Kiyono, veuve d’Edouard, 2ème rang, 2ème
à droite, ses cinq enfants et leurs conjoints, au fond, quatre représentants de
la génération montante.)
Daniel Bas
9 janvier 2010.
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