1 – Cinna en deçà et au-delà de la rampe
Cinna, je l’ai connu de part et d’autre
de la rampe. En deçà et au-delà.
Je viens de
me trouver un point commun avec le regretté Philippe Noiret : nous avons,
l’un et l’autre, été du même côté de la rampe. Nous avons joué Evandre dans Cinna,
lui au prestigieux Théâtre National Populaire avec Jean Vilar en juin 1954 et
moi dès 1947, dans la modeste troupe de la classe de troisième du Lycée
Corneille dirigée par notre Professeur de Français, Monsieur Lefebvre. Nous en
gardons tous les deux un souvenir mitigé. Le fameux acteur en parle dans son
ouvrage Mémoire cavalière (page 105) en ces termes:
« J’ai
enchaîné les petits rôles dont l’Evandre de Cinna en juin 1954 pour lequel je
n’avais qu’un seul vers à dire :- Tous vos ordres, seigneur, seront
exécutés.C’est ce que je répondais à Vilar, qui jouait Cinna, lorsqu’il venait
de me parler à l’oreille. Comme prévu, je m’approche, puis je fais un pas en
arrière, je m’apprête à dire mon vers…Et Vilar enchaîne immédiatement sans me
laisser le temps d’ouvrir la bouche.-
C’est déjà
pas très rigolo, lui ai-je dit en coulisses, le rôle que vous m’avez filé,
alors si en plus vous me le coupez… »
A noter que Philippe Noiret commet dans son livre deux erreurs: ce n’est pas Evandre, affranchi de Cinna, qui dit cet unique vers (Acte IV, scène I), c’est Polyclète, affranchi d’Auguste. Evandre, lui, a cinq vers et demi à déclamer à l’Acte I scène IV dont j’ai encore le souvenir cuisant, on verra bientôt pourquoi…La confusion est très pardonnable car, depuis Corneille, un même comédien joue généralement les deux personnages qui n’apparaissent jamais ensemble. Et puis, Noiret a joué tant de rôles brillants par la suite que quelques défaillances de mémoire lui sont permises alors que ma carrière théâtrale, elle, s’est arrêtée à Evandre…
Plus
difficilement excusable est l’affirmation selon laquelle Vilar jouait Cinna. Il
jouait dans Cinna mais il jouait Auguste dans une création remarquable à
laquelle j’ai eu le bonheur d’assister le 12 juin 1954. Cela se passait dans le
cadre somptueux de la cour du Palais de Justice de Rouen, ancien Parlement de
Normandie, où prêta jadis serment un jeune avocat du nom de Pierre Corneille.
Moins
sophistiquée était la salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville de Rouen où le jeune
collégien Daniel Bas/Evandre (15 ans) fit son entrée en scène en mai
1947 :
-« Seigneur, César vous mande, et Maxime avec vous… »
L’heure est
grave, la conspiration de Cinna et Maxime contre l’Empereur semble découverte.
Je suis bien conscient de l’importance de mon premier vers, un véritable pavé
dans la mare…
Je me hâte,
je m’agite car il faut faire vite. D’abord, j’excuse Polyclète (eh oui, je vous
l’ai dit, Corneille, par mesure d’économie, a habilement fait justifier par
Evandre l’absence de Polyclète, les deux personnages joués par un même comédien
ne devant jamais apparaître en scène ensemble) :
-
« Polyclète
est encore chez vous à vous attendre- Et fût venu lui-même avec moi vous
chercher-
Si ma
dextérité n’eût su l’en empêcher-
Je vous en
donne avis de peur d’une surprise-
Il presse
fort.
En guise de
toge, on m’a affublé d’un grand drap blanc mal ajusté. Je débite mes cinq vers
et demi dans l’urgence et la précipitation. L’accoutrement ne résiste pas
longtemps à la vivacité de mes gestes empressés: il se dérobe, il se délite,
il glisse à terre, me laissant en caleçon à fleurs à la vue d’un public qui ne
s’attendait pas à cette variante comique dans une tragédie…Ma carrière
s’arrêtera là et on me reconvertira en bruiteur et souffleur travaillant en
coulisses. Je me vengerai de cette dégradation en perturbant mon camarade
Auguste de l’inévitable « …et assieds-toi par terre » faisant
écho au célèbre « Prends un siège, Cinna… ».
Voilà,
Evandre est bien le seul point commun que nous ayons eu dans nos carrières,
Philippe Noiret et moi. Mais nous avons vécu ensemble sans nous rencontrer car
nous étions de part et d’autre de la rampe les « Grandes heures de
Rouen » en juin 1954. Parmi d’autres manifestations, il y avait le TNP qui
donnait un festival Corneille en cinq soirées exceptionnelles en plein air dans
la cour du Palais de Justice a peine remise des terribles bombardements de 1944
mais déjà, encore et toujours aussi belle. Le Cid avec l’inoubliable
Gérard Philipe ouvrait les festivités le 10. Le 12, Cinna était créé au
TNP avec un Jean Vilar impérial, impressionnant de majesté, subtil politique
plein de noblesse et d’habileté. Sylvia Montfort, après avoir tenu
l’avant-veille le rôle de Chimène, y jouait une Emilie inflexible, Jean
Deschamps (Cinna) et Roger Mollien (Maxime) de parfaits personnages
calculateurs dans la passion. Et il y avait, je le rappelle, un Philippe Noiret
débutant. La tension avait monté tout au long de la semaine précédente car on
signalait dans la presse locale des répétitions au château de Beaumesnil dans
l’Eure puis dans le salon Louis XVI de l’Hôtel de Ville de Rouen. Un crescendo
dans le suspense avait ainsi fait monter la fièvre avant la
« première »…
J’y étais, à
cette première, de l’autre côté de la rampe. Je m’en souviens avec ravissement.
J’étais en aimable compagnie, ce qui ajoutait du piment et du miel à
l’événement. Je donnais le bras à une jeune fille aimable au sens fort du
XVIIème siècle: « digne d’être aimée ». Des étoiles émaillaient le
ciel noir, quelques souffles de vent caressaient les visages des spectateurs
attentifs et extasiés et en particulier celui de ma compagne, la rayonnante
Monique, qui avait pour moi, sous sa frange sombre et ses sourcils bien
dessinés, les beaux yeux de Chimène. J’étais fier de l’accompagner au vu du tout
Rouen. Je la couvais du regard et j’ai dû manquer plusieurs tirades de la
tragédie, absorbé que j’étais par la quête d’un de ses merveilleux sourires ou
d’un baiser furtif. Le parfum qu’exhalait sa chevelure me grisait, je sentais
sur ma joue la tiédeur de son visage enchanteur. C’était le grand amour de mes
20 ans.
La soirée me
sembla donc à tous points de vue une réussite inoubliable.
Les
Rouennais ne furent pas avares de leurs applaudissements chaleureux. Puis, Jean
Vilar s’avança et dit simplement : « Nous venons de vous jouer Cinna
dont l’auteur est le Rouennais Pierre Corneille ». Alors, le public se
leva et l’ovation, non dépourvue de chauvinisme local, fut délirante. Le TNP
venait de réussir dans le cadre approprié du Palais de Justice une brillante
plaidoirie en faveur de l’auteur et de sa ville natale…
Pourquoi cet
enthousiasme, à l’époque, pour des tragédies classiques, alors qu’elles font de
moins en moins recette aujourd’hui ? J’en veux pour exemple le fait que,
de mon temps, les lycéens faisaient chaque année de la cinquième à la première
une pièce de Racine et une pièce de Corneille. Aujourd’hui, au mieux, on les
aborde en seconde. C’est sans doute que les alexandrins et leurs césures sont
pour nos jeunes poètes un corset difficilement supportable tandis que les
règles classiques de l’unité de lieu, l’unité de temps, l’unité d’action sont
déroutantes pour la génération du zapping.
Pour
comprendre cet engouement pour Corneille, il faut se replacer dans le contexte
historique et politique de 1954: on vient juste de fêter le 6 juin le dixième
anniversaire du débarquement en Normandie. La guerre n’est pas loin, Rouen n’a
pas encore fini de panser ses plaies, des baraquements provisoires enlaidissent
encore ses boulevards, la reconstruction est loin d’être terminée et la Cour
Renaissance du Palais de Justice meurtri en témoigne. Les affiches du Festival
Corneille annoncent d’ailleurs qu’en cas de pluie, on se réfugiera …au Cirque
Municipal, chapiteau à tout faire de l’après-guerre. Il a hébergé tous les
genres, depuis les Concerts Colonne jusqu’au Cirque Rancy en passant par
l’opéra, les chœurs de l’Armée rouge et les campagnes électorales. Toutes les
salles de théâtre de la ville avaient en effet été détruites et n’étaient pas
encore reconstruites.
Toute une
génération, celle de la guerre, n’a pu faire autrement que de s’interroger sur
les choix cruciaux de l’époque : fallait-il privilégier l’amour en
protégeant sa famille par des compromissions, des collaborations ou simplement
de l’indifférence épicée d’un peu de marché noir ou fallait-il résister dans
l’honneur, au risque de laisser une veuve et des orphelins ? Qui n’a pas
connu peu ou prou ce dilemme pendant les années sombres ? En 1954, les notions
d’honneur et de sacrifice font encore recette ! Un « conflit
cornélien », ça remue les neurones et les tripes…Un débat entre
l’amour et le devoir, ça parle encore aux gens.
D’ailleurs,
une autre guerre est là pour rafraîchir les mémoires : en Indochine, Dien
Bien Phu vient de capituler. Nos différents points d’appui aux charmants
prénoms de femmes ont été submergés les uns après les autres. Le dernier carré
« Isabelle » a déposé les armes le 10 mai. On doute fort que les
débris de l’armée française défaite vont pouvoir garder le golfe du Tonkin et
Hanoï. Le gouvernement Laniel/Bidault aux abois tergiverse à la conférence de
la paix à Genève et supplie les Américains de faire intervenir leur aviation…ce
qu’ils refusent sagement. Le samedi 12 juin 1954, jour de la
« première » de Cinna à Rouen, le pitoyable gouvernement
Laniel est renversé et c’est Pierre Mendès-France, investi avec une confortable
majorité, qui le remplace le 18 juin.
P.M-F, c’est
un autre style, un style de manager. P.M-F, c’est le slogan « Gouverner,
c’est choisir ». P.M-F parle fort et clair : « Dans un
mois, nous aurons signé la paix ou bien nous enverrons le contingent ».
Voilà, on sait à quoi s’en tenir. La paix sera signée le 20 juillet et votée
par l’Assemblée à la quasi-unanimité, même par les responsables de la débâcle.
Ils relèveront pourtant la tête dans quelques mois en traitant Mendès-France de
« bradeur de l’Empire » et ils conspireront pour le renverser.
Tout ceci
pour dire que, étant donné le contexte historique et politique dans la France
de 1954, le public est bien préparé à entendre un débat entre la conjuration,
la vengeance, la passion d’une part et la lucidité, la raison, la maîtrise de
soi, d’autre part. « Je suis maître de moi comme de l’Univers »
affirme l’Empereur Auguste avant de choisir la clémence et de faire passer un
frisson de respect pour son pouvoir. Les thèmes du choix, de
l’engagement, de l’éthique et de la crédibilité en politique qui agitent les
jeunes de 1954 (« la Nouvelle Vague » selon le slogan alors en usage)
sont déjà dans Cinna.
2 – Cinna en deçà et au-delà du trépas
Mais qu’en est-il des thèmes chers à Corneille en matière d’amour ? Les
amours contrariées et les conditions draconiennes pour mériter l’être aimé sous-tendent
les débats cornéliens. Qu’en reste-t’il au juste en 1954 ? Que sont
devenus le conflit amour/honneur, la maîtrise et le dépassement de soi, les
déchirements de la conscience, l’amour comme ressort héroïque ? Faut-il
encore croiser le fer ou commettre un attentat pour mériter l’objet de sa flamme ?
Non, bien sûr, tant de rigueur n’est plus au goût du jour. Mais en 1954, on se
trouve encore dans une situation intermédiaire entre le XVIIème siècle et
aujourd’hui.
Certes, en
principe on n’est plus obligé de tuer pour conquérir une belle…Cependant, les
entraves et les épreuves restent nombreuses. N’oublions pas qu’il faudra
attendre encore une quinzaine d’années avant d’avoir la pilule et plus de
20 ans pour l’IVG ! On ne plaisante donc pas avec la virginité des filles et,
en cas « d’accident », il faut « réparer » comme on disait
alors. Des rites, des délais, des étapes sont à respecter dans le processus
amoureux, il y a un prix à payer en termes de sacrifices petits ou grands, de
renoncements, de patience, bref de petit héroïsme quotidien. Il y faut du temps
et des efforts. Ce n’est pas forcément désagréable : je plains ceux et
celles qui n’ont pas connu le frisson du premier tutoiement intervenant souvent
bien après la première rencontre et bien avant le premier baiser. Aujourd’hui,
tout est speed, rendement, consommation...
Qu’en as-tu
pensé, toi, inoubliable Monique, quels ont été tes sentiments après cette
merveilleuse soirée du 12 juin 1954 ? Avec le temps, je ne me rappelle
plus les commentaires que tu as exprimés lorsque je t’ai raccompagnée chez tes
parents, rue Cauchoise, en traversant le vénérable Vieux Marché. Tu étais
rieuse, radieuse et heureuse, de cela je suis certain. Mais pour le reste,
c’est trop lointain, perdu dans les brumes de mes souvenirs. Et tu n’es
malheureusement plus là pour répondre.
Peut-être,
d’ailleurs, n’avons-nous fait ce soir-là que fort peu de commentaires. Nous
respections souvent de longs silences d’extase. On s’entendait merveilleusement
bien, on le savait, on n’avait pas besoin de le dire, on se plaisait à
prolonger cette douce et affectueuse complicité. Sans parler de notre
tendresse, nous nous la communiquions en permanence par une simple pression de
la main, un visage caressant qui effleure l’épaule ou la joue de l’autre, une
inflexion de voix plus douce. Tout, même le silence, nous ramenait à cette
fusion. Nous cheminions la main dans la main ou embrassés par le cou ou enlacés
par la taille sans éprouver l’envie de précipiter la maturation des sentiments
tendres qui s’épanouissaient dans nos cœurs et de la passion qui commençait à
sourdre de nos corps. Cela suffisait à notre bonheur d’être ensemble,
tranquilles, sereins, de penser à l’unisson, en parfaite osmose, de faire durer
le plaisir, de savoir que nous avions l’Eternité devant nous. Aucun désir de
rompre le charme et de mettre un terme prématuré à ce stade troublant de
gentillesse amoureuse : nous avions tout le temps, nous nous accordions
tant de choses par avance…
Je vais
essayer cependant de faire une reconstitution aussi vraisemblable que possible
de tes réactions après le spectacle, chère Monique. Je vais le faire en
m’appuyant sur le journal intime que je tenais à l’époque, ceci afin de pallier
ton absence et les défaillances de ma mémoire. Je pense que tu as aimé le
personnage d’Auguste car tu m’as toujours affirmé que tu aimais les hommes
forts. Tu m’avais dit ne pas supporter de voir pleurer un homme. Je pense aussi
que tu as aimé le personnage d’Emilie et la dureté de ses exigences. Tu m’avais
dit avec un peu de satisfaction dès notre seconde rencontre avoir la réputation
d’une « fille vache qui fait marcher les garçons », ce sont tes
propres expressions et non ma propre perception. Alors, que ce soit Chimène ou
Emilie, pour « faire marcher les garçons », elles n’avaient pas leurs
pareilles ! Tu as dû apprécier. Mais en ce qui me concerne, charmante
Monique, dans quelle mesure m’as-tu « fait marcher » ? Qu’as-tu
exigé de moi pour que je te « mérite » ? As-tu joué dans nos
rapports les Chimène ou les Emilie ?
En fait,
Monique/Emilie n’a rien exigé mais c’est moi qui me suis imposé des devoirs
pour la « mériter » (j’utilise ce terme dans mon Journal de
l’époque) et d’abord celui de réussir mon examen final de Sciences Pô en ce
mois de juin exceptionnel. Je lui dédierai donc un effort courageux pour sauver
une année scolaire médiocre. Premier sacrifice : mon Journal précise que
je décide de faire toutes mes révisions à Paris. J’avais un instant songé à les
faire à Rouen pour être plus près d’elle, mais ça n’aurait pas été efficace.
D’ailleurs, Monique est elle-même en pleine période d’examens. C’est une
étudiante sérieuse, il faut la laisser travailler, elle ne plaisante pas
en cette matière: je serai seulement invité à venir la soutenir moralement à
Rouen le 10 juin, dernier jour de ses oraux.
Je fais mes
révisions fiévreuses en présence des photos de ma Dame de coeur : c’est un
tournoi des temps modernes, c’est pour Elle que je prépare et mène cette
joute avec le jury. Et quel combat ! C’est un petit héroïsme quotidien
et c’est l’Amour qui tend le ressort héroïque. Mon Journal précise que je
n’ai dormi que 30 à 40 heures dans la deuxième quinzaine de mai et il
s’appesantit sur mes dopages. Il faut vaincre pour les beaux yeux de
Monique ! Il faut lui rapporter le trophée d’un bon diplôme. Et puis, ce
sera la décompression, la belle soirée Cinna tant appréciée car nous
ressentions tous deux un grand soulagement après l’effort.
Huit jours
plus tard, j’accueillerai Monique à Paris pour l’aider à y préparer son
installation car elle a décidé d’y venir étudier l’année suivante, à ma
grande joie. Nous y ferons la tournée des grands-ducs y compris la
« totale » des noctambules : Montmartre et son « Lapin
Agile », la gratinée au « Pied de Cochon » sous les Halles vers
trois heures du matin. La nuit étant bien avancée, l’insomnie et les libations
commencent à peser : je propose le modeste havre de ma chambrette
d’étudiant, rue de Babylone. Monique/Emilie y consent mais me fait jurer d’être
sage. Je jure. Comme je n’ai qu’un petit lit, je le lui offre et je m’allonge
sur une descente de lit hors d’âge: dur et froid, le parquet, mes
articulations en craquent encore !
Cette belle
aube de juin est enivrante. Je veille sur l’être aimé. Il faudrait me passer
sur le corps pour toucher à un cheveu de sa tête. Je la sens paisible,
confiante, rassurée, son souffle devient régulier, elle s’endort, elle est
belle. Je la protège et la respecte. Elle se retourne, elle s’agite, découvre
ses jambes jusqu’au genou. Ses mouvements jettent à mon visage l’air caressant
et capiteux de ses draps. Il me porte à la tête : c’est d’abord une brise
légère et fraîche puis un foehn doux et tiède, enfin un sirocco brûlant. Je
suis en extase et en effervescence: de mon parquet, du fond de ma vallée
d’inconfort et de souffrance, j’admire et j’adore la fleur de lys qui
s’éveille, se déploie et s’épanouit au-dessus de moi dans le jour naissant, mon
petit jardin suspendu de la rue de Babylone…
J’avais
juré, j’ai tenu promesse. Je suis content d’avoir été maître de moi, à
défaut d’être maître de l’Univers. Monique/Emilie m’en a manifesté une
tendre reconnaissance. Je pense que ce qui resterait aujourd’hui dans mon
souvenir serait dérisoire si nous avions laissé libre cours à la passion et aux
pulsions. Le lit le plus doux de l’amour, c’est la mémoire et l’imagination.
C’est une impression d’inachevé, de boucle pas bouclée qui a fortifié chez moi
la mémoire du coeur et engendré un sens de l’éternité. « La mort n’est
pas quand on descend au tombeau mais quand on descend dans l’oubli » a
dit à peu près je ne sais plus bien qui (peut-être Maeterlinck ?). Ce sens
de l’éternité nous a d’ailleurs habités, Monique et moi, pendant toute la durée
de notre idylle: nous donnions du temps au temps. Il suffisait d’attendre que
le moment fût venu, fût-ce à l’infini…
Ce 12 juin
1954 reste à jamais marqué d’une pierre blanche au point que, 54 ans plus tard,
par delà notre séparation et, hélas, la disparition tragique de l’héroïne, je
conserve encore pieusement comme une relique le ticket d’entrée à ce spectacle
exceptionnel vécu en compagnie exceptionnelle, en compagnie
« charmante » au sens fort du XVIIème siècle : magique,
ensorcelante.
Une
force obscure me ramène régulièrement comme un tropisme vers Cinna et
vers les souvenirs éternels qui lui sont liés. Cinna de part et d’autre
de la rampe, Cinna de part et d’autre du trépas, Cinna dans l’en
deçà, Cinna dans l’au-delà, Cinna pour toujours…
Daniel Bas dit Chedozot, le 8 mars 2009
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