Si vous tombez au marché sur une belle gueule comme celle-là, n'hésitez pas, c'est une rascasse, poisson de roche, poisson fin. Au Portugal, on l'appelle ici cantaril.
Certes elle est hérissée, mais pas autant que les rascasses de Méditerranée, me semble-t-il, bardées de sabres, de piques, de rasoirs. Belle couleur d'un rouge orangé.
Ce n'est pas la Méditerranéenne qui me faisait rêver de Bandol, de Cassis, du Vieux Port et de Pagnol, mais c'est une raison de plus pour la méridionaliser au fenouil. D'ailleurs, l'Alentejo, n'est-ce pas le Midi du Portugal? La tchatche, l'emphase, les joutes oratoires m'y font penser. Je ne parle pas de la lumière, car, n'en déplaise aux Méridionaux, il n'est de lumière qu'en Alentejo et en Algarve. (Affirmation partisane et gratuite).
J'ai raflé deux rascasses au marché d'Alcacer, séduit par leur fraîcheur écarlate, par leur oeil serti d'ors, me promettant déjà une chair d'un blanc immaculé, exquise et d'une franche fermeté.
Dans les coquillages, on peut entendre la mer, mais dans l'oeil des rascasses, on la voit déferler le long des golfes clairs. A chacun ses fantasmes...
Hélas, point de fenouil aux pétioles charnus en Alentejo, ni ailleurs au Portugal. Le finocchio des Italiens, comme le basilic, n'a pas franchi la Mare Nostrum. La Cuisine du Jardin qui en parle si bien*, les cultive, c'est différent.
Je n'ai trouvé ni branches ni brindilles non plus. Lors de mon prochain voyage en France, j'en ramènerai un fagot. Je me contenterai donc de graines de fenouil, l'erva doce. Ce qui n'est déjà pas si mal, à défaut du légume d'accompagnement.
Mes charmantes poissonnières se sont prêtées un peu malgré elles à la prise de vue, sous le prétexte qu'elles se trouvaient feias, moches. J'ai dû leur balbutier, sans citer Saint Exupéry, que la vraie beauté était celle du coeur, celle qui ne se voit pas.
Nous sommes familiers elles et moi. On se voit presque chaque jour. Ce que j'adore chez elles, c'est cette absence totale de sens de la compétition. Je peux acheter à l'une ou à l'autre, suivant l'humeur et surtout suivant la gueule du poisson, sans que je décèle la moindre jalousie. Uderzo et Goscinny n'y auraient pas trouvé matière à pugilats entre harengères de Petibonum.
Mes hommages, Mesdames, vous êtes formidables!
Prise de vue préalable, hors réfrigérateur, dans le quintal dont parle si bien Elvira à mon propos. Un potager lilliputien que je vais ensemencer aujourd'hui même.
Elles sont belles mes rascasses, non?
J'occupe mon après-midi à peindre Zézé, ma cinquième pièce de la collection "ETRAVES", sachant que ma récompense du jour sera
Rascasses au fenouil
Tomates provençales
Riz blanc
Zézé à l'échouage, beau petit chalutier de Vila Nova de Milfontes. Et si c'était lui qui avait pêché mes rascasses? L'idée me trotte par la tête, tandis que je fais monter la couleur à coups de glacis parcimonieux. Bientôt en galerie sur Couleur Alentejo.
En cuisine!
Zézé ayant assez pris de couleurs pour aujourd'hui, je commence par saler mes bestioles avec une grosse poignée de gros sel de mer de nos salines. Trente minutes suffiront.
Quand je dis saler, c'est saler, plus quelques grains dans les ouvertures.
J'allume le four.
Un bon zigzag d'huile d'olive dans le plat que je vais parsemer de graines de fenouil.
Je prépare des tomates à la provençale: trois grains de sel, ail émincé, thym, un trait d'huile. Par bonheur, ces tomates sont mûres à point et ressemblent comme des soeurs à celles de l'été, mûries sur pied. Rare pour la saison. Merci ma voisine de la Loja Pescanova qui sait toujours dénicher des bonnes choses.
Je secoue mes rascasses pour éliminer l'excédent de sel. Je les farcis de graines de fenouil. Je les dispose avec les tomates. Re-trait d'huile d'olive et un bon verre de vin blanc sec. Un oignon découpé en rondelles pas trop fines et quelques pignons du cru qui n'attendaient que ça.
J'enfourne à température maxi. Au bout de cinq minutes, la cuisine embaume le fenouil. Bon signe. J'ai prévu une demi-heure de cuisson, mais c'est l'oeil et le nez qui me diront.
On remarquera les deux incisions pratiquées sur le flanc. Ce sont des accélérateurs de cuisson, pratique courante au Portugal. Ne pas oublier d'y glisser aussi du fenouil.
Les couleurs sont déjà un régal en soi. L'émulsion huile d'olive-vin blanc sec a fait merveille avec les oignons et le suintement des tomates. Au nez, c'est un grand bonheur.
J'aurais pu penser à disposer quelques rondelles de citron sur le poisson. Pour la vue et pour le goût. Mais c'était superflu, comme les pignons, d'ailleurs.
A table!
Un Cassis léger et transparent comme l'eau ferait merveille. J'ai au frais du blanc des Terras de Pô, juste à côté qui me satisfait.
Plaisir intense que ces rascasses. Il n'en reste pas une miette, du moins un tas d'arêtes sucées à blanc.
* Lisez "Eau de fenouil". C'est sur La Cuisine du Jardin.
C'est très bien, ça, de rendre hommage à ses poissonnières, JC. Surtout lorsqu'elles sont aussi sympas et "pros" que celles de la "praça" d'Alcácer ! Ca fait oublier la marchande de fruits & légumes...
Et bravo pour ce nouveau blog qui nous régale jusque dans nos rêves.
Rédigé par : Phil | 11/04/2005 à 01:42
Tu connais la différence entre "erva doce" et "endro"? C'est peut-être comme dire "fenouil" et "aneth"?... Chais pas. Il y en a qui disent "dill", aussi...
Rédigé par : Elvira | 29/03/2005 à 16:12
Je salive, je salive... ce blog est une douce torture, surtout qu'hier soir en rentrant, après une semaine épuisante, le frigo était plutôt inhospitalier. Mon menu: chips, sandwich au vieux pain et madeleines à même le paquet...
Rédigé par : Elvira | 24/03/2005 à 12:54
Quel récit admirable et l'eau m'en vient à la bouche même si je sors de table...
Tu sais qu'on en a en paquet nous, du fenouil, à Madère? D'ailleurs Funchal ça vient de funcho, et les rebuçados de funcho c'est drôlement bon.
Rédigé par : clara | 22/03/2005 à 16:31
classique, parfait, je crois même ton Terras de Pô mieux qu'un Cassis avec le fenouil.
Il y a beaucoup de fenouil dans le jardin de Porto Covo, prends-en en passant, il est en branche, c'est du fenouil de bord de route que j'ai semé.
Rédigé par : jp | 19/03/2005 à 19:57
Je te rerelis juste pour le plaisir! Il fait un temps à grimaces ici à Lisbonne(au moins y pourrait franchement pleuvoir) et la lecture de tes rascasses me met du soleil au coeur. À propos, bon printemps! Dis-moi tu as mis le paquet: St Exupéry, C. Trenet, Pagnol, Petibonum etc...même que tes rascasses elle en peuvent plus d'être belles et rouges et apétissantes. Beau morceau! J' arrive même à imaginer les arrêtes, c'est te dire...Bon week-end à toi!
Rédigé par : ana assunção | 19/03/2005 à 15:28