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Eloge du poulet de luxe
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C’est celui dont la chair colorée adhère à l’os et résiste un peu à la morsure du gastronome.
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Anecdote vécue :
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Un jour, j‘ai retrouvé en pleurs ma très noble bouchère charcutière volaillère de Saint-Jean de Luz. Elle paraissait abattue dans sa boutique par ailleurs très fréquentable, du fait que volailles, veaux, cochons et couvées provenaient de sa propre ferme.
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Une "Parisienne", dites donc, comme il en descend à la Pentecôte, lui avait flanqué à la figure le poulet acheté la veille, au motif qu’il était trop dur…Et Maïté (elles s’appellent toutes Maïté là-bas) de gémir sur l’ingratitude des citadins, elle qui, non contente de tenir boutique à longueur de journée, bien au-delà des 35 heures, préparait aussi gâteaux basques, confitures, pâtés, fromages frais afin que nul n’en meure.
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- Alors ça, c'est quelque chose, non?
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Son poulet ? C’était un poulet de marche, un ferme de sa ferme. Pensez si l’affront lui fit un mal inouï, alors que Mattin (ils s’appellent tous Mattin), son mari, s’escagassait à rôtir poulets, canards, porcelets dehors, dans la rôtissoire, prenant soin d’arroser les bestioles de sucs déments !
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Ah l'inculture des urbains en matière de poulet de ferme, naturellement plus ferme que le poulet de QHS déjà prédécoupé, embarquetté, filmé, code-barré, embarqué et micro-ondé à la va-vite dans la kitchenette !
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Mais le Sud-Ouest va bien plus loin qu’on ne le pense. Il pousse ses ramifications jusqu’au Cap de Sagres, à l’extrême pointe occidentale de la Péninsule ibérique.
Saint-Jean de Luz n’est qu’une étape.
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Le combat pour un poulet de marche est le même. Il est sans doute plus dur, le combat, car le consommateur n'a pas encore assimilé les dangers du QHS aviaire. Car seul le prix importe. Et seuls ceux qui possèdent une basse-cour (ou qui y ont accès) sont à l'abri de la banalité culinaire bien cachée sous le masque des sauces. Pourquoi donc le marché des sauces est-il en explosion? Avez-vous déjà compté le nombre de denrées qui s'entassent sur les linéaires?
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Et sur le grill, pourquoi payer plus cher un poulet de marche, alors que c'est le goût de grillé qui l'emporte?
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Eloge partisan…
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Le poulet de luxe, c’est encore celui qui a un goût de poulet et qui donc, ès qualités, est dispensé de moutarde, de ketchup et de mayonnaise (sauf quand il est consommé froid : voir plus haut, Mayonnaise du Père Tourroy).
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Le goût de poulet de luxe, au Portugal comme en France, vient des sucs de cuisson qui sont l’esprit de sa chair et par conséquent, sa propre quintessence. Aussi, son jus interne, sui generis, est-il précieux, mélangé aux sucs liquides et caramélisés.
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Sa peau croustillante est une merveille, tout autant que ses extrémités, surtout quand elles ont pris un léger coup de feu :
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Les pointes d’ailes, bout du pilon, viande du cou, se bouffent à la sauvage, c’est-à-dire sans cette retenue petite bourgeoise, petit doigt en l’air, cette fausse éducation héritée du XIXe siècle qui gâche la bafre rabelaisienne, animale, jouissive.
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Ses pilons et ses cuisses sont fermes. Son blanc est fondant et goûteux, pas ennuyeux du tout pour le convalescent, le rescapé de la grippe, du syndrome respiratoire venu de Chine, de la « constipação » portugaise dont l’ambiguïté nous fait tant rire, nous Français de France, fussions-nous établis en Péninsule ibérique.
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Aparté de transit:
Estou a constipar-me = je suis en train de m'enrhumer. Car constipation se dit prisão de ventre, ce qui est tout aussi logique.
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Son blanc est un met de mec ou de nana bien portants. Sa carcasse se dépiaute à la pointe du couteau pointu, jusqu’à l’os. Ne parlons pas de ses sot-l’y-laisse qui sont la cerise sur le gâteau. Difficile de dénicher ces saveurs enivrantes dans un poulet lambda, quand bien même vous utiliseriez l’excellente gamme Bipia, version basque des condiments qui font chanter le Piment d’Espelette.
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Le poulet lambda restera lambda. Le poulet de luxe a été élevé entre 3 et 5 mois dans la basse-cour et s’est nourri principalement de céréales apportées et subsidiairement, d’herbes riches en huiles essentielles. Comme il y eut le geste auguste du semeur chanté par Hugo, il y a quelque chose d’auguste dans le geste ample de la nourrice.
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Elle a rabattu son tablier et en a fait une poche à grain. Elle y puise des poignées de blé dont elle arrose la terre battue, dans un concert de borborygmes gloutons, où l’on croit reconnaître parfois les mots cot’ cot’ kodak, vocalisés par la poule hors du coup qui vient de pondre son oeuf.
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La nourrice dit « petits petits » tout en semant à la volée. Son sourire est un sourire de tendresse et même d’amour. Paraphrasant Hemingway, elle pense aussi que le poulet – comme le poisson – est son ami, mais qu’un jour, elle devra le tuer. Sic transit gloria mundi !
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Eloge partisan et dithyrambe
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Loué soit le Seigneur
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Le Poulet de Luxe n’est pas forcément natif de Loué dans la Sarthe, ce sanctuaire du poulet Label Rouge fort promu par une publicité moulée à la louche, avec voix de fermiers de synthèse pour faire encore plus bouseux. Un ton qui n’est pas sans rappeler celui de l’ancêtre moustachu qui louait un temps le Roquefort, sorte de Mère Denis en pantalon de gros velours, cré vingt dieux.
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Il était si mauvais dans son rôle qu’il fut remplacé par une voix off. Loué soit le publicitaire qui s’en est avisé ! Mais qu’on cesse enfin de nous prendre pour des consommateurs hébétés, pour des gobe-la-lune !
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Le poulet de luxe n’est pas non plus forcément bressan et élevé selon les canons de l’appellation Poulet de Bresse qui d’ailleurs, semble avoir du fil à retordre avec ses éleveurs. Dans la confrérie, tout le monde n’est pas d’accord de s’en tenir auxdits stricts canons. Il y a des couacs. Les tentations sont grandes. Il y a des chapelles. Il faut dire aussi qu’il y a des comptes d’exploitation et des comptables, des échéances…Bref, tout ce qui gâte le poulet.
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Le poulet de luxe peut être normand ou corrézien, dès l’instant qu’il est natif d’une cour, d’un enclos où il fait sa loi, picotant sa pitance au gré des humeurs. C’est un bouffeur de restes, de bons restes, entendons-nous. Et puis, dans sa vie, il y a cet instant magique où les maîtres font leur apparition dans l’enclos pour racler l‘assiette. Ah ça y va ! C’est la ruée vers l’or. Tout le monde en cercle. Il n’y a pas plus généreux spectacle que le picotage. Lancer du bec, ondulation du cou, déglutition et les restes vont rejoindre le gésier pour s’y broyer au contact des petits cailloux.
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Car les poulets n’ont pas de dents, le saviez-vous ?
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Entre parenthèses, ne négligez jamais le gésier, même s’il est un peu délicat de le dépouiller proprement de sa paroi blindée, totalement incomestible. La remarque vaut aussi pour le foie, dont vous aurez ôté le fiel avec précautions : les abats de poulet du Père Tourroy sont succulents. Gardez tout ! Les Ibériques gardent même les pattes dont ils font des soupes.
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Le Poulet de Luxe n’est pas un grégaire. Un espace réservé (et statistique) de 10m² lui donnerait même des boutons. Lui, c’est la planète qu’il lui faut. Et sa planète, c’est l’enclos du Père Tourroy et celui de ses adeptes. Il en connaît les richesses : mines de fer, mines de cuivre, rivières, rizières, vasières, terres à lombrics. Ah le lombric ! Avez-vous déjà vu une poule en avaler un, centimètre par centimètre ?
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Certes, notre bête sera plus chère au kilo, mais quand vous aurez constaté qu’elle se « nettoye » intégralement et que rien ne se perd comme dans le cochon, vous réfléchirez à deux fois. Parce que, avouez-le, la moitié de votre poulet lambda en promo passait à la poubelle, non ? En termes de gâchis, c’était même pire que le chicken sandwich, hein ?
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Soyons quand même pratiques
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Vous ne le trouverez pas à Paris, rue de Buci, rue de Levis ou rue du Poteau, quoique. Vous ne le trouverez pas davantage à Lyon sur les quais de Saône le dimanche matin. L’important est qu’au moins une fois dans l’année, vous en consommiez un, mais un vrai de vrai, pour l’exacerbation, la jubilation des sens. Tout comme la lumière n’existe pas sans l’ombre, comme le bien n’existe pas sans le mal ou que le bonheur n’existe pas sans la peine.
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Evidemment, les privilégiés qui ont accès aux poulets de style Tourroy, direz-vous, ne peuvent savoir ce qu’est le bonheur, faute de référence négative. Détrompez-vous ! Leurs vacances balnéaires ou leurs visites familiales hors territoire et hors culture de luxe sont un cauchemar. Un repas par an chez le cousin (qui a réussi dans une multinationale suisse) leur suffit ! Quant à la Mère Fouettard du Mont Saint- Michel, son souvenir douloureux les conforte pour la vie.
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Mais revenons aux bonnes choses. Le poulet de luxe, c’est enfin celui que nous voudrions réhabiliter, tel qu’en lui-même l’éternité l’a fait, débarrassé de ce mot luxe que sa rareté nous a obligé à accoler à son nom.
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Un peu dure la vieille. Sera bien meilleure en poule au pot, bouillon, ou en canja, comme la fait Lili: soupe de poule au riz, parfumée à la menthe du jardin.
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C’est celui que nous voudrions réintroduire sur les tables familiales, issu du circuit parallèle hors marketing, promu par le canal essentiel du bouche à oreille. Là, pas besoin de label, de macarons ni de gris-gris tricolores, de certifications à la noix, de cahiers des charges trop polis pour être honnêtes, ni de fermiers inféodés à un groupe puissant coté en bourse. Certes, notre perle rare est celle qu’il faut s’ennuyer à plumer en tablier, bien assis.
Mais chacun a bien une voisine qui n’y voit pas corvée et qui se fera un plaisir de l’installer sur ses cuisses et de l’effeuiller comme on joue à « je t’aime, un peu, beaucoup » en racontant des histoires…
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La Plumeuse. Dubuffet.
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Mais qu’est-ce qu’un poulet ?
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Vous aurez bientôt une tentative de réponse, un embryon de vérité dans le prochain épisode.
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Ah et les tripes de poulet que ma mère nettoyait, puis elle les faisait griller à la poêle avec de l'ail et du persil, un régal ! Ce ne sont plus que des souvenirs....
Rédigé par : Josy | 24/02/2006 à 17:02
...mais comment ai-je pu te faire des infidélités, et perdre un temps, un petit seulement, le fil de tes billets
savoureux?
Difficile de lutter avec cette société qui veut nous formater à l'image de ses poulets de batterie.
Mais nous avons toujours le choix. Je mange donc du poulet fermier sinon rien.
Ta description est émouvante: oui, le bonheur est
dans le dépiautage de la carcasse, la goule et les doigts pleins d'gras, tels des Grandgousiers et des
Gargamelles...Tout est bon dans le poulon...oui...c'est vrai...et que dire du croupion, cette singulière partie
graisseuse, également source de jouissance?
Oui Seigneur, je garde aussi les pattes pour faire du bouillon et la tête et la tête...alouette! alouette!
Et quand je ne me "fais" pas la carcasse, je la plonge dans l'eau avec moult herbes
et...vermicelle, héritage du grand-père maternel, mon truc (en plume) à moi.
Je te bise et me permets de biser Lili qui d'un seul coup honore le poulet et toutes les lilis
de la terre (l'est où sa recette de poule au riz?)
Mon dernier "fermier": http://gastronomades.canalblog.com/archives/2006/01/26/1241159.html
Rédigé par : lilizen | 07/02/2006 à 13:41
Que j'aime ces chroniques!
Rédigé par : Elvira | 26/09/2005 à 15:35
J'en ai acheté un hier. Un monstre, à la peau bien jaune. Elvira va me faire une recette surprise, je t'en dirai plus bientôt.
Rédigé par : Joao | 26/09/2005 à 09:59
Je me pourlèche les doigts d'avance au vrai poulet fermier que je vais manger demain.
C'est bien vrai que rien ne se perd dans un poulet qui court, j'écrase le foie que je mélange à ma vinaigrette versée dans la salade verte du jardin bien croquante qui suit le poulet. Un régal aussi.
Et les pattes dans la soupe donne un gôut et un moelleux fabuleux.
Rédigé par : Ségolène | 24/09/2005 à 16:12