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(Seconde partie de "Légères Gourmandises" (1) : une journée en cuisine au Miramar de Biarritz, avec Patrice Demangel)
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Patrice Demangel rejoint son « bocal », un minuscule carré vitré, carrelé, spartiate, avec vue directe sur le corps de chauffe.
Ici, pas d’ordinateur, mais une collection de livres de bord, où sont consignées peut-être 15000 heures de vol…des crayons à bille, quelque paperasse (stocks frigos, économat) et un téléphone.
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Le chef y joue encore un autre rôle, celui d’acheteur qui doit optimiser chaque matin les intérêts combinés du goût et de la gestion. Conversations bon enfant avec les fournisseurs. On se connaît bien. On parle du temps qu’il fait, du temps qui passe, de l’actualité et puis finalement, de qualité, de service et de prix, la trilogie sacrée. La négociation est feutrée, mais bien réelle.
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11h.
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La Force Tranquille
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La chaleur monte. Les sons s’amplifient, les cadences s’accélèrent. Hachoirs, couteaux, mandolines donnent un concert de musique concrète. D’ailleurs, tout le monde est en toque, preuve qu’on est en scène dans chacun des départements gastronomie et basses calories, dans chacune des cellules viande, poisson, pâtisserie.
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Robert Job, le copilote, affiche la force tranquille des Auvergnats (du Rouergue). Il est pourtant sur tous les fronts. Mais il a l’habitude, il vient de l’Hermitage à la Baule (55 toques en cuisine !). Il trouve le temps de se prêter avec Patrice à une équipe de tournage qui réalise un DVD pour le compte du Miramar.
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La caméra traque les gestes, enregistre cette façon qu’ont les chefs de dresser une assiette. On dirait qu’ils font soudain de la calligraphie avec pleins, déliés, envolées, coude et petit doigt levé, lèvres pincées.
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Il est vrai que c’est de l’art graphique. Les pâtissiers nous le démontreront encore avec cette construction arachnéenne de caramel, comme un jet d’eau qui se serait figé sur l’image.
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12h et des broquilles…
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On devrait dire c’est parti ! La chaleur a encore monté. Les gens du service font leur apparition. Ils commandent.
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Patrice change de ton soudain. On l’entend (et on le voit) articuler des ordres fort et clair devant un interphone qui répercute dans tous les postes. Suit aussitôt, fort et clair, l’accusé de réception des équipiers concernés :
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- Faites marcher un plateau de fruits de mer !
- OUI CHEF !
- Deux roulades de saumon !
- OUI CHEF !
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Les mots sont tranchants comme des couperets. Ça ne rigole pas plus que lors de la phase d’atterrissage d’un Airbus à Biarritz Parme :
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- Volets 15 degrés (faites marcher les volets)
- Volets 15 degrés (oui chef !)
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Et lorsque le personnel de salle ôtera la cloche argentée, l’oeuvre doit être toute aussi parfaite, non seulement à l’œil mais tout autant au palais :
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- Je veux du goût !
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Les produits sont essentiellement locaux, on s’en doute. Les cuissons sont à leur plus juste mesure, les sauces ou plutôt les jus (Patrice y tient) sont au plus précis des saveurs qu’il exige.
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Du jus
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On comprend pourquoi il a pris le coup de sang pour l’affaire du jus de veau…Et si ce travail d’équipe fait penser à celui d’un équipage en cockpit, il s’apparente aussi à celui d’un orchestre où le mot chef revêt tout son sens.
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Harmonie de l’ensemble, rythme, cadence, importance des solistes, couleur des instruments. De l’art toujours. Mais la tension monte. Patrice n’est plus, mais alors plus du tout le sémillant jeune chef de la Rue en Pente : il est aux commandes et cent passagers attendent du rêve.
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Coup de feu 13 h…
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Il fallait bien que ça arrive. Les « faites marcher » et « oui chef » se multiplient, suivis des « je réclame le blanc de turbot ». Il y a des coups de gueule : l’affaire du jus de veau a précisément éclaté là :
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- Je ne te sens pas dans le service ! Tu n’es pas au service ! Tu dors !
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Pourtant, « Je ne suis pas un gueulard », dira-t-il plus tard, quand tout se sera apaisé. Mais on sait bien que sans énergie, sans exigence, le talent ne servirait à rien, car le talent est aussi dans la force du chef et de son second.
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La « force tranquille », Monsieur Job quant à lui, ne sort pas de ses gonds, mais ce n’est qu’illusion. Le coup de tatane pour refermer la porte du four se fait plus rude. Chaque chose empruntée est remise à sa place en un temps éclair, le plan est net, pas une seconde n’est perdue. La mine est grave. Aussi, le photographe s’est-il fait tout petit, plus petit encore qu’il ne l’avait promis. Priorité au service.
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Les garçons et filles qui emmènent les plateaux à la cloche d’argent sont tout aussi prompts. Ça valse comme à Vienne. En salle, c’est presque le silence. On ignore ce qui se passe en coulisse et c’est tant mieux.
Mais les convives ne sont pas ingrats. A l’issue du coup de feu, quand la tempête sera passée et que nous nous échapperons avec Patrice, certains lui feront compliments avec cette timidité des spectateurs qui ont le privilège d’entrer dans la loge. Quelques-uns repartiront avec le livre dédicacé « Légères gourmandises » sous le bras, se promettant d’essayer*.
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Epilogue
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Si « l’Affaire du jus de veau », vous l’aurez remarqué, fait couler tant d’encre, c’est qu’elle rend compte du niveau d’exigence et de la personnalité de Patrice Demangel. Pour l’observateur, il en a fait tout un plat, mais à l’issue d’une journée en cuisine, il est facile de comprendre. A la fin du service, le jeune saucier en question s’est présenté au « bocal » pour prendre congé.
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- Tu n’étais pas bien en forme aujourd’hui
- Oui, lui fit l’autre
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Mais ce oui lâché dans un soupir comme un acte de contrition était plein de sincérité navrée. On aurait pu croire que c’en était fini de la leçon. Détrompez-vous. Acharnement du chef ? Détrompez-vous encore.
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- Qu’as-tu fait de la marmite ?
- Untel, à la plonge m’a dit qu’il s’en occuperait demain
- Pas question ! Tu me la récures, toi, maintenant ! A l’huile de coude !
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Et Patrice d’évoquer le respect que l’on doit aux gens de la plonge qui font le métier le plus ingrat qui soit. Ils ne sont pas souvent cités à l’honneur, mais ils participent fortement à la qualité de l’ensemble. Il faut non seulement des assiettes, des verres et des couverts irréprochables, mais aussi des casseroles impeccables.
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Le garçon est reparti en cuisine récurer sa marmite. Quand il eut fini, il vint la montrer au chef, sans un mot. Un geste de gosse. C’était touchant. Alors Patrice a déployé son sourire, a gratifié le drôle d’une tapette paternelle sur la tête et lui a simplement dit :
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- Allez, va
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Cela voulait dire je ne t’en veux pas, mais aussi fais gaffe demain. Il faut croire que cette leçon valait bien un fromage.
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NDR :
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Pour ma part, j’ai d'abord essayé la « Galette de coquilles Saint-Jacques en rosace de mâche et endives », puis le « Poulet fermier à l’impression d’herbes aromatiques, fricassée d’échalotes et mousserons ». Ça a marché ! Mais ces deux recettes du livre étaient les plus faciles !
Je continue aujourd'hui avec d'autres recettes qui ne me semblent d'ailleurs pas plus compliquées. Affaire de pratique. Je ne réussis jamais à 100%. Je pêche en matière de présentation. Mais une chose est sûre: ça a du goût!
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Bar de ligne cuit à la coque de sel marin, ragoût de légumes.
Nappé de sauce mousseline
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Coque de sel marin. J'ai commis une faute, celle d'avoir laissé écailler le loup.
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On se croyait vraiment en cuisine.
Rédigé par : Mijo | 27/03/2006 à 14:01
Quel plaisir de temps en temps de se retrouver devant une si belle assiette !! d'abord je savoure la présentation, et ose démolir pour déguster ce que l'artiste en cuisine a si bien préparé !! Quel art !!!
Rédigé par : Josy | 26/03/2006 à 06:04
à quand tu ne sors un livre de toutes tes reportages cuilinaires?????hihihihi,quoi que tu es bien capable et surement mieux que d'autres....
super l'article et super les fotos bon ape!!!et un grand salut à la cuisine du "CHEF" bisous alcidia
Rédigé par : alcidia | 23/03/2006 à 02:46
Quel superbe reportage, JCP! Merci. :-)
Rédigé par : Elvira | 21/03/2006 à 21:19
moi aussi :) c'est un poeme qui démange!!!
Bisou mon filou
Rédigé par : ana assunção | 21/03/2006 à 18:49
excellent reportage
je vais manger quelque chose sinon je tombe
Rédigé par : jp | 20/03/2006 à 20:40