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Merluccius Merluccius est épineux, lippu. Même mort, son oeil vous regarde. Pensez à autre chose et ne le saisissez jamais par la gueule ouverte. C'est qu'il a des crocs. Premier réflexe, le pire, vous tentez de tirer le doigt. Grosse bêtise. Il mord encore plus. Bref, saisissez plutôt par les ouïes.
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Le colin est un drôle de poisson qui change de nom suivant la latitude. Colin au nord, voire colin de Paris ou colin français, merlu au sud, merluza un peu plus au sud et enfin pescada à l'extrême sud-ouest. Pour couper court, appelons-le Merluccius Merluccius.
Petit, c'est un merluchon. Je l'aime bien frit, se mordant la queue.
Gros, je l'aime bien juste frit "à l'espagnole" ou poché puis dégusté froid, mayonnaise. C'est un poisson qui nécessite qu'on lui trempe un peu le caractère, car il n'en a guère lui-même. Ail, vinaigre, coriandre lui vont bien quand il est frit. La mayonnaise très relevée lui convient parfaitement quand il est froid.
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Quand je disais que Merluccius, dit "Merlu Gueule d'Acier" mordait, avais-je tort ?
A toutes faims fins utiles, les pavés de merlu panés sont totalement inoffensifs.
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Merluccius ne souffre pas ni la sous ni la surcuisson. C'est pourquoi je me méfie des restaurants qui affichent "darne de colin" sur leur carte. Déjà, le mot darne m'ennuie. Si vous apercevez des darnes sur l'étal d'un poissonnier, choisissez autre chose, car vous ne connaissez pas l'âge du capitaine. Le colin déménage très vite par la tête. Quand il est bien fatigué, on le tranche, on pose les darnes en question sur un beau lit tout blanc de glace pilée. On fait la même chose avec le congre. Poisson tranché, poisson fatigué.
Dans le même esprit, la soupe de poissons en bouteille du poissonnier, ça vous tenterait, vous?
Mon colin, le veux entier, loyal et marchand. Et s'il est trop gros, je le ferai en deux fois. Une fois frit, une fois mayonnaise. Les deux façons sont si différentes que je n'aurai pas cette impression désagréable de manger deux fois consécutives la même chose.
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- Encore du colin ? !!!
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Merluccius à l'affût. Magnifique photo signée Erling Svensen
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Premier service
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Aussitôt que j'ai choisi mon gros colin, je recommande à ma poissonnière de juste le vider et de me garder intactes nageoires et barbillons pour la photo. Etrange haussement de sourcils de la dame qui paluche tant de poissons qu'elle se demande à quel fou elle a affaire. Photographier une pescada, non mais...
Je m'empresse de rentrer chez moi, sans traîner comme d'habitude chez les uns et les autres, causer, faire mon intéressant. Je prépare la prise de vues. Papier noir. Il faut faire vite, car en un clin d'oeil, une cigogne serait capable de larguer un souvenir qui fait tchniak! et qui gâche la marchandise.
Je coupe ma bête en deux: gros couteau de pêcheur, celui qui fait peur. Coup de grâce pour trancher l'arête. J'ai deux poissons. Je réserve la moitié queue (moins la queue) pour le second service du lendemain (pochage). Je la garde entière. Mais j'y ajoute la tête que je préfère pochée plutôt que délitée dans la poêle avec les deux cristallins qui se baladent...
J'ai donc une moitié queue moins le bout de queue, plus une tête. Vous suivez? Prenez des notes.
L'autre moitié (côté tête + le bout de queue) est parée, puis découpée en portions (pas en darnes!) de 3 cm d'épaisseur: film indispensable car d'ici le soir, elles auraient le temps de se déssecher.
Un truc (que j'ai appris chez Patrick CdM) intéressant: cette peau noire qui tapisse la cavité abdominale et l'intérieur de la tête, s'enlève en un clin d'oeil avec du papier absorbant. Contact, décollage. Magique!
Immédiatement après, je poche la partie queue. Eau salée, laurier, poivre, c'est tout. Aux premiers frémissements, mise en veilleuse 20 minutes sous couvercle. Désarêtage aussitôt, car à froid, ça ne marche pas. J'obtiens ainsi des filets que je mets en sûreté au réfrigérateur. Film encore.
Et je commence à rêver aux arômes et saveurs d'une poisson unique consommé de deux manières très différentes.
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Au soir du premier jour...
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Le poisson est sorti du réfrigérateur 30 minutes avant cuisson. Gros sel brut de mer, gris de préférence, celui qui n'a pas subi les outrages d'un raffinement chimique qui ne vaut que pour les mauviettes et les trouillards. Il sale peu. On peut y aller de bon coeur. Et de toutes façons, on ôtera le sel en fin de salage et on épongera les tranches avant de les jeter dans la poêle.
Ail en lamelles sous le coude. Coriandre ciselée. Vinaigre de cidre à main droite (les gauchers n'ont qu'à inverser).
Une poêle genre Tefal (surtout pas une Fagor dont la queue vous reste dans la main):
Une belle noix de beurre clarifié, un rond d'huile d'olive, mise en température. Quand ça fait des vaguelettes, on pose les tranches qui doivent frémir. On répartit la chaleur en inclinant la poêle de tous côtés. D'où l'intérêt de ne pas utiliser une Fagor (dont la queue vous reste dans la main. C'est arrivé!). On réduit les gaz un poil. On dore recto verso. Combien de temps ? Je ne sais pas. L'oeil conduit. En fait, quand la chair se décolle bien de l'arête, c'est cuit. On jette un petit coup d'oeil plus profondément. Ce n'est plus rose, alors c'est bon. On réserve dans un plat de service préchauffé.
On jette l'ail dans le reste de matière grasse. Il doit légèrement dorer. Feu à fond, cette fois, un bon trait de vinaigre de cidre. On touille. Et on verse ce jus brûlant sur le poisson. On parsème de coriandre ciselée.
Prêt à consommer avec les légumes du moment.
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Second service
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Je sais déjà que le lendemain soir, je n'aurai guère à me préoccuper de cuisine puisque mon poisson a cuit la veille.
Je suis donc tout à ma mayonnaise que je veux puissante. Un grand bol, deux jaunes d'oeufs frais de trois jours et du poulailler. J'y tiens. Une CaS de vinaigre, un brin de moutarde, une fourchette, burette d'huile d'olive à main gauche. Girations régulières, vigoureuses et toujours dans le même sens. Elle monte vite. Détente au citron, salage. Quand mon petit doigt me dit que c'est bon, j'ajoute de la ciboulette, de l'estragon, du persil, du cerfeuil. Piment d'Espelette en finale.
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En accompagnement, une salade de pommes de terre, feuilles de laitue, tomate.
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Et voilà comment on liquide un colin de 2 Kg quand on a les yeux plus grands que le ventre. Précisons que sur les 2 Kg, il ne reste que 1,2 Kg consommables. Certaine aime la tête. Moi pas. Quatre portions en deux fois font deux fois 300g. On a quand même de quoi se nourrir sans toutefois se gaver.
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L'après-mayonnaise: une bonne purification nocturne et ça repart!
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Attention cependant de ne pas forcer sur la mayonnaise le soir. Si c'est le cas, faire une longue promenade. Août offre une voûte céleste pleine d'étoiles filantes. Profitons-en en brûlons notre mayonnaise à la fraîche tout en essayant de faire des voeux.
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le colin se consommait (dans le temps)
dans les grandes occasions ..
et etait tres recherché..maintenant il est un peu delaissé et c est bien dommage..
Rédigé par : erdeven | 29/01/2010 à 16:20
Tes recettes sont sympas, mais ce n'est pas un poisson que je fréquente, je l'ai toujours roàuvé fade et mou, c'est pas demain que tu le verras sur CdM!
Sinon d'accord avec toi, la darne est au poisson ce que la carne est au steak...
Un tuyau pour les poissonniers, j'évite de leur dire que photographie, plutôt que je préfère m'entraîner à le faire pour apprendre ;-))
Rédigé par : Patrick CdM | 31/08/2007 à 16:00
Concernant le pochage, je laisse le poisson dans le court bouillon jusqu'au lendemain. Pas de souci pour le "désarêter" et la chair du poisson reste moëlleuse. Presque " à la coque"!
Autrement, amusant comme le prix du merlu est divisé par deux dès qu'il passe la frontière française vers l'Espagne.....!
Rédigé par : Marylène Sud | 29/08/2007 à 17:49
En bon peintre (gourmand de surcroît) tu sais rendre Monsieur le Colin -- alias Coco le melu, figure célèbre des bas fonds méridionaux -- tout-à-fait présentable. Pas beau, ça non, mais présentable.
Je rejoins l'avis de JP qui destine la tête au court-bouillon. C'est ce qu'on peut en faire de mieux.
Par contre, la tête de morue (caras de bacalhau) ça oui c'est extra à dépiauter !
Rédigé par : Phil' | 29/08/2007 à 05:59
Tout comme toi : le simple mot "darne" suffit à me couper l'appétit.
Rassure-moi, "Certaine" ne mange pas les yeux, quand même ?... (Je sais que ça se fait au Japon et dans d'autres pays d'Asie, pouark !)
Rédigé par : Caroline | 28/08/2007 à 10:16
Promis, on ne forcera pas sur la mayo. Enfin, on essaiera.
Rédigé par : Gracianne | 27/08/2007 à 11:19
Hummmmm un régal ! la queue fagor t'a traumatisé à vie et il y de quoi !!!
Rédigé par : Josy | 26/08/2007 à 16:40
rien à ajouter
tu as raison
ce poisson demande à être cuit à point
peut-être quelques capres
enfin je te dis cela car ce que nous sommes en train d'en faire
les abats - tête, arrête, participent sans problème à la confection d'un bon court bouillon de poisson, tu les congèle en attendant d'en avoir qsp
Rédigé par : jp | 24/08/2007 à 22:26