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Homme libre, toujours, tu chériras la mer...
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Ah le pouce-pied ou poussepied ou encore, anatife (Lepas Anatifera), la belle invention de la nature marine! Pouce-pied en portugais, se dit perceve ou percebe. Et percebes, signifie aussi "tu piges?", d'où le titre de ce billet ésotérique, surtout pour ceux qui habitent hors cote, dans les terres, dès 20 Km à l'intérieur, là où vivent les malheureux, les continentaux qui n'ont plus de mer à chérir. Comment peut-on être continental, en effet, et crever de chaud ou de froid quand il suffit d'être les pieds dans l'eau pour vivre heureux? Je plaisantais...
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Rochers à pouce-pied au Cabo Sardão, sous le phare. On est prié de savoir varapper comme aux Drus.
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Sur cette côte rocheuse, hostile pour les uns, inhospitalière, déchiquetée, taraudée par l'érosion, battue par les flots et les vents, mais douce pour les autres, pousse le pouce-pied, un mollusque étrange qui m'évoque plus une serre d'aigle qu'une cuisse de bergère gantée d'un bas de soie. JP qui est imaginatif, mais pas innocent, y voit un bas noir sur une cuisse. Et en faisant un effort (mais comme à regret), il y voit un bas de contention, ce machin qui tient la phlébite en quarantaine. Moi qui n'ai aucune imagination, j'y vois la patte d'un rapace, sans doute parce que je me jette sur le perceve comme un rapace.
Mais JP a raison, c'est un bas de contention. J'ajouterais bas résille, car il est maillé.
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Bref, c'est bon.
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C'est bon, à la condition de le cuire comme JP l'indique, 30 secondes dans un bain d'eau de mer bouillante, additionnée d'algues. C'est en effet une inhalation d'iode à laquelle il faut s'attendre. Car plus iodé, y a pas. Tchernobyl peut réitérer son exploit, avec la dose d'iode antidote qu'on s'envoie, on s'en fout. La thyroïde, paraît-il, déjà saturée d'iode, fait barrage à l'iode radioactive. Quelque médecin un peu versé dans la chimie pourrait-il confirmer? Car je ne suis que simple citoyen bouffeur de pouce-pied.
Bref, sous prétexte qu'on mange des pouce-pied en veux-tu en voilà, les scientifiques de l'est sont quand même priés de veiller au non emballement de leurs réacteurs nucléaires, voire de passer illico aux énergies alternatives: solaires, éoliennes, marémotrices. Car je persiste à croire que les lobbies nucléaires sont des empoisonneurs. Pas de ça chez nous !
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Il y a beaucoup plus à sucer qu'à manger dans le pouce-pied. Un demi kilo paraît une montagne, mais à la fin, il reste dans la bassine annexe, 450 grammes de bas de contention, de sabots et d'algues. Car s'il y a, morphologiquement parlant, serre de rapace, il y a aussi sabot.
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Dégustation
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Tenir le sabot à main droite. Avec le pouce gauche, arracher le bas de la cuisse. Tirer le bas de haut en bas. Une tige succulente apparaît alors. D'un coup d'incisives, on la sectionne sans état d'âme et l'on stocke dans la bouche, tout en mâchant. Quand le bol alimentaire semble convenable, on avale ce concentré d'iode.
Parfois, le bas blesse.
Il se casse. Il faut alors s'ingénier à chercher une prise pour tirer le comestible du bas en cote de maille, qui est presque métallique, tant il est roide. On peut aspirer, mais il faut pomper sec.
C'est rigolo à déguster. C'est bruyant et ça gicle. On s'asperge joyeusement en compagnie, car le pouce-pied est un mollusque convivial. Le manger tout seul n'aurait aucun intérêt. Ou alors, un intérêt primitif. J'ose penser en effet qu'il a régalé les premiers hominiens qui devaient le manger cru sur le rocher abrupt. Encore tout fraîchement descendus du singe, ils n'avaient aucune peine à tenir sur les parois. Parfois, un hominien tombait à la mer et la caravane passait. S'il ne se fracassait pas sur les feuilles de schiste, il était dévoré par les sales bêtes que l'on voit dans les films de science fiction, des milliers et des milliers d'années avant Matrix III Reloaded.
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On ne sait pas qui le premier, eut l'idée géniale de cuire le pousse-pied par simple immersion de trente secondes dans l'eau de mer bouillante. Sans doute encore un accident domestique et ménager. Une femme des cavernes qui trébuche avec une pleine cargaison de pouce-pied qui choient dans la grande conque à bouillir. Vite, elle les tire du bain, car l'homme va rentrer de la chasse. D'où les trente secondes, seulement. Elle est quand même inquiète, car elle craint que son mâle ne la morigène et la tire par la tignasse, la traînant déhors pour lui asséner quelques coups de gourdin. Elle souffle sur les pouce-pied pour les refroidir vite fait. L'homme arrive, chargé d'onglets, de hampes et de t-bones d'auroch.
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- Femme! Les pouce-pied ! Amène l'apéro avec, la poumade et que ça grouille !
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La poumade est une macération de pommes dans de l'eau de pluie. Elle est légèrement alcoolisée. C'est l'ancêtre du cidre. Le mâle aime. Il est tout tendre, après.
Bref, humblement, la femme apporte en tremblant les pouce-pied encore tièdes.
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- Diable! Mais qu'est-ce que tu m'as encore fabriqué là ! Taouar ta gueule à la sortie d'la caverne
(Puis se ravisant...)
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(Mais...mais c'est un délice, mon amour !
Et les cinq kilos de pouce-pied y passent, dans un tintamarre de petits cris et de suçottements.
Là, je suis bien navré pour vous, mais je me dois de censurer la suite et je reviens à mon plat de pouce-pied que j'accompagne d'une salade de roquette du jardin, vinaigrette de framboise. Rien que du primitif.
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Allez, aujourd'hui, ce sera agneau, car bien que ce soit vendredi, il serait déraisonnable de s'envoyer une autre dose massive d'iode qui ferait barrage superfétatoire à l'iode radioactive de Tchernobyl d'il y a 22 ans, beaucoup plus dangereuse sur l'instant, mais moins dangereuse à terme que le césium 137. J'habitais la Suisse en ce temps là. Les nuages, paraît-il, ont été bloqués aux frontières par les autorités compétentes.
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Merci pour cette minute de plaisir littéraire et quasi gustatif...
Rédigé par : Paul CHABRE | 08/12/2010 à 21:08
Merci pour l'article. Je suis du Canada, et il y'a quelques jours, à la télé, ils en ont parlé à une émission appelée "Les pecheurs de pouce-pied en Galicie". c'est la 1ere fois que j'en entendais parlé mais j'arrivais pas à bien distinguer ce crustacé sur les images qu'ils diffusaient. Grace à vos photos, je peux bien distinguer les formes du pouce-pied: fascinant, vraiment hors du commun. Merci pour votre article aussi: j'en ai beaucoup appris sur le pouce-pied
Rédigé par : S Lloyd | 21/08/2010 à 03:23
Forcément , avec des coquilles de telle qualité, on viendra goûter, c'est sûr. Quand j'irai revoir ma Normandie...qui m'est une province et beaucoup davantage...
Rédigé par : Jac | 10/07/2008 à 18:03
Jac,
C'est pas qu'on s'impatiente, c'est qu'on les a digérés depuis longtemps ces animaux préhistoriques!
Alors, y nous mijote quoi, notre cuisinier-poète(pouet)-aventurier-normano-lusitano...?
En attendant, vous pouvez aller chez notre CAPITAINE à Port en Bessin, lire mes petites escapades gourmandes. Il a la gentillesse de bien vouloir héberger mes quelques lignes.
Là : http://www.rogoff.fr/index.php?2007/05/01/133-l-hotel-de-france-a-la-chartre-sur-le-loir-par-valerie-l
Ou là : http://www.rogoff.fr/index.php?2007/03/17/122-la-trinquette-a-grandcamp-par-valerie-l
Ou encore là : http://www.rogoff.fr/index.php?2008/01/14/184-la-fete-de-la-coquille-de-grandcamp-et-les-tripes-de-st-jacques-a-la-facon-de-valerie
Rédigé par : Pen Prad | 10/07/2008 à 15:03
On ne montre pas son impatience avant le repas...On se calme...On attend la surprise du chef...Attention, attention, fermons les yeux...Qu'est-ce que ça peut bien être...?
Rédigé par : Jac | 09/07/2008 à 17:54
On ne montre pas son impatience avant le repas...On se calme...On attend la surprise du chef...Attention, attention, fermons les yeux...Qu'est-ce que ça peut bien être...?
Rédigé par : Jac | 09/07/2008 à 17:52
Pouce-pied? Non! POUSSE DU PIED pour faire de la place au prochain billet. Parce qu'il y en aura bien un, n'est ce pas?
Rédigé par : Pen Prad | 09/07/2008 à 09:30
que fais tu JC
submergé par les touristes ?
Rédigé par : jp | 08/07/2008 à 23:06
Photos et texte remarquables. On en apprend tous les jours dans l'océan Indien. Mon entourage se bouscule pour voir la bête. On sent l'iode d'ici.
Mon frère, anatife normand de souche et du pays de Caux, né Scorpion, ascendant pince sans rire, devenu Poisson en Lusitanie, friand de pouce-pieds et non plus de tire-fesses.
Vu d'avion ces étranges mollusques font penser à un abattage de verges d'éléphants trempées dans le varech, mais j'y vois aussi, comme certains, les bas résille abandonnés sur un canapé. Etonnant.
Rédigé par : Jac | 29/06/2008 à 06:15
Ouh-là, mais elles sont hors de portée pour la bourse de simples mortels, vos bébêtes-là ! Avec les piballes-civelles (et le caviar d'esturgeon) c'est ce qu'il y a de plus outrageusement hors-de-prix parmi les fruits de mer et autres delicatessen van der zee.
Insurpassablement iodé, dis-tu ? En est-tu sûr ? Dans le Midi nous avons ce que nous appelons les "violets" (alias "le viagra de la mer") qui est déjà trrrès fort.
Rédigé par : Phil' | 28/06/2008 à 21:31
c'est drôle,
ces pousses pied me font aussi penser aussi à un repas des temps bénis du paléolithique.
Peut être avaient-ils, à cette heureuse époque de bonheur permanent et de tables merveilleuses, trouvé des recettes élaborées (verrine de percebes cuits à la cendre et sa fine mousse d’algues braisées) peut être en nous voyant du fond des ages disent-ils que leurs lointains descendants simplifient à outrance… comment savoir ?
Rédigé par : jp | 28/06/2008 à 11:08
Anatife de mon coeur!
J'adore. Je crois bien que je tiens cela de ma grand'mère bellisloise. Quels apéros nous avons fait autour d'Albert (voir ici http://julieetauguste.free.fr/albert/index.html). Malheureusement, nous n'en avons point en Normandie!
Rédigé par : Pen Prad | 27/06/2008 à 15:33