-
-
Qui, de nos voisins et chers amis anglo-saxons, n’a encore jamais vu cette image d’Épinal montrant un Français de base retraité des Aciéries Chaudevant, un béret vissé sur la tête, sortir d’un bistrot à 8h du matin, un peu bougon, en dépit des bienfaits du croissant qu’il vient de tremper dans un ballon de vin rouge, comme le faisait Jean-Paul Sartre aux Deux Magots ? Qui n’a pas remarqué Robert Bidochon regagner à petits pas menus son pavillon fleuri (géraniums), un cabas à la main, d’où dépassent Paris Turf, Ici Paris et une botte de poireaux ?
Car le poireau est français, Monsieur, oui, affirmatif !
Emblème du Pays de Galles? Tiens...on se serait encore fait doubler par la perfide Albion?
-
Sa qualité de français de racine est si vraie que les Portugais le nomment alho francês, l’ail français. Où ont-ils donc été chercher cette ressemblance à l’ail dont les Ibériques sont si friands ? Dans la racine latino-scientifique Allium porrum, sans doute. Mais le poireau c'est le poireau, rien à voir en goût avec l'ail.
Certes, les Portugais y viennent, doucement. On peut en voir sur tous les étals. Ce sont trop souvent des poireaux longs et grêles, durs et ligneux ; de toute évidence ils sont montés. Il suffit de pincer les feuilles entre le pouce et l’index pour se convaincre de leur avancement : un sac de graines y est caché.
-
Poireau qui monte, qui monte...
-
Poireau bien-né, à point, couché dans la menthe sauvage. On en reparlera en cuisine.
-
Ce poireau de bois n’est pas notre tasse de thé. Robert Bidochon sait ce qu’est un poireau, un vrai, un tendre, un goûteux dans la soupe poireau/pommes de terre, son ordinaire. Germaine Bidochon, sa moitié, n’a pas son pareil pour la préparer.
Le vrai poireau d’hiver est courtaud, renflé. Son blanc occupe un tiers. Les deux tiers qui émergent du cabas sont constitués par une arborescence de feuilles serrées, d’un vert sombre caractéristique, le vert de poireau. Si Robert n’a pas demandé à la marchande des quatre saisons de couper les feuilles, c’est que le vert a son utilité. Une utilité double. Les feuilles périphériques sont pour les lapins de clapier. Les feuilles centrales, d’un vert plus pâle virant au vert jaunâtre puis à coeur, au jaune franc (absence de photosynthèse), vont agrémenter la soupe de petites couleurs ensoleillées, sans compter les petits goût de bébé poireau qu’on y trouvera sur la langue.
-
Le Monstrueux de Carentan, vrai poireau d’Hercule
-
Monstrueux de Carentan après équeutage. Il en reste quand même un sacré morceau.
-
Nous ne jurons que par le Carentan, foi de Chedozot et de Dugrober réunis ! Dans un commentaire précédent, relatif à « Cure de raisin », Chedozot nous a livré ce témoignage capital sur les pratiques mystiques de notre famille à l’endroit de ce poireau bien-né.
-
Le cimetière des poireaux (vu par Chedozot)
-
"Carentan me ramène aux souvenirs de guerre: lorsque les Américains progressaient vers Cherbourg via Carentan en 1944, on disait que les Allemands demandaient leur mutation sur le front italien car ils préféraient mourir à Milan plutôt qu'à Carentan. Les temps étaient durs, on se contentait de peu de choses pour rire, ça faisait du bien.
Mais surtout le poireau de Carentan me fait revivre les souvenirs de notre grand-père commun. Presque chaque soir, à Isneauville,en 1944, nous nous rendions en procession, Grand-Père, mon frère et moi, à un endroit bien précis, toujours le même, qu'il appelait le cimetière des poireaux. Là, Grand-Père leur coupait la tête après avoir prononcé quelques formules sacramentelles. L'endroit était étonnant car le jus acide des poireaux sacrifiés avait blanchi et stérilisé la terre: rien n'y poussait. Ce paysage lunaire joint à la solennité de la procession à la nuit tombante et à l'étrangeté des litanies prononcées par Grand-Père donnaient à la moindre soupe de poireaux une valeur quasi-mystique et la faisait savourer dans une atmosphère de communion".
-
JP a vite réagi à ce commentaire qui sent un peu le soufre et le phosphore...
-
Le sacrifice du poireau (vu par JP)
-
"Là, Grand-Père leur coupait la tête après avoir prononcé quelques formules sacramentelles" La tête et la queue, alors là, quelle bonne idée de prononcer un éloge funèbre apotropaïque ! Le poireau c'est pas rien comme le chou. Je coupe les poireaux à droite du compost, pas à gauche, pas à sinistra. Que le Dieu des poireaux nous entende et accepte le sacrifice des siens. Je vais en immoler demain après midi. C'est beau ce qu'écrit Chedozot, même si mes poireaux ont bien moins que 40 ans"...
-
Pour notre part, au Sud Portugal, nous faisons perdurer certains de ces rites gaulois. JP, en ses jardins extraordinaires de LOF, étête et équeute le poireau de façon qui confirme que le poireau a sa propre mystique.
-
Bébés de Monstrueux couvés par une botte de ciboulette
-
J’ai semé du Carentan. Il a levé en un clin d’œil. Je pense déjà, sans forfanterie, sans vendre la peau de l’ours, aux formidables recettes de Michel Guérard (in La Cuisine minceur) qui feront mon ordinaire cet hiver, quand le Carentan aura tout à l’heure atteint à sa limite d’âge :
-
- Foie de veau à la vapeur aux blancs de poireaux en aigre-doux
- Purée-mousse de poireaux
- Emincé de poireaux à la menthe sauvage
-
Et quand l’ordinaire sera réduit à sa plus simple expression d’intendance, ce sera au menu: potage de poireaux pommes de terre, ce qui se fait de mieux chez les Bidochon, pour changer des frites et de la rouelle de porc, moutarde. Moutarde Amora, car au bout du compte, on y gagne un verre à vin de plus, richement décoré.
-
-
On aimerait qu'Amora peigne des poireaux sur ses verres de moutarde. Est-ce possible ou trop demander à la noble maison de Dijon ?
-
Annexe
-
Les jeux de mots auxquels vous avez échappé
-
Patrick Poireau d'Arvor
Poireau del Pêche
Faire le poireau
Poireauter
Poireau sur le baudet
Hercule Poirot
Le poireau est un baobab bonsaï
-
Cette remarque ne dispense nullement les commentateurs d'y aller de leurs saillies coutumières qui font la richesse de mon fonds de commerce
-
Remerciements:
-
A LOF qui a prêté une paire de Monstrueux de Carentan tout juste équeutés
A JP qui a prêté sa plume
A Ségolène Lefebvre qui en connaît un rayon, sur le poireau. C'est ICI, chez Chazallet.com, dont je recommande aussi, vivement, l'épaule d'agneau aux petits pois et la queue et les joues de boeuf
A Chedozot qui a soufflé sur les braises de la mémoire
A l'immense naturaliste Binet qui a prêté un Robert Bidochon
-
Toutes ces évocations parlent d'un temps que les mois de 20 ans ne peuvent pas connaitre. Hélas!
Ce Week-end j'emméne mes petites filles chercher le lait à la ferme, émerveillées devant les vaches et les veaux et subjugées par le lait dans le bidon. Mais dans le biberon ou la tasse du petit déjeuner, que nenni, le goût les a trop violemment heurté et j'ai entendu cette phrase qui me laisse rêveuse, " pas le lait de la vache", eh, oui!
Rédigé par : Ségolène | 03/10/2008 à 06:31
Je n'ai pas votre verve messieurs, dommage.
Merci pour ce bel hommage à notre produit normand. Peut-être oseras-tu bientôt le cochon de Bayeux?
Cela donne quoi en portugais, le verbe poireauter?
Chedozot, à l"évocation de tous ces délices, j'ai l'impression de me retrouver quelques années en arrière dans les jupes de la cuisinière de mes grand-parents! Miam.
Beaucopu de pluie aujourd'hui sur notre verte Normandie (bien que nous n'ayons pas tout à fait la même!!!).
Rédigé par : Pen Prad | 02/10/2008 à 16:14
En répons à Chedozot
Non,non, je n'ai rien oublié, rien de rien. Je rêve de carrés aux pommes, mais n'en cuis point tant que je ne trouverai pas une bailleul, à la rigueur des Fuji, à la condition expresse qu'elles ne viennent pas de Chine. Idem pour les tartes,tant que je ne retrouverai pas des vertes-bonnes de Duclair.
Le lait? Pas oublié non plus les trempettes: tu avais la Mère Simon comme pourvoyeuse, moi j'avais Fernande Doublet, taciturne et solide trayeuse au teint de pêche veloutée. Mêmes éléments nutritifs et mêmes nutriments. Un lait divin qui faisait les soupers d'été.
Mais soupe au lait, pouahhh !
Lait bouillu? Pouahh !!! La "peau", je ne voulais pas la voir. Ma punition du matin était ce bol de café au lait grisâtre, fait de "reboullu" et de lait bouillu. J'étais déjà Latin sans le savoir, orienté sud, pas Anglo-Normand. Sans doute un gène piémontais ressurgi.
Par contre, les sablés à la peau de lait de Maman, quelle fête!
Mon militantisme pour la réhabilitation de la Poule de Luxe, vient sans aucun doute du tréfonds haut-normand isneauvillais, du poulailler fournisseur d'oeufs coque. Je taille encore mes mouillettes comme je les taillais jadis, droites et longues, pénétrantes, résistantes, capables d'aller puiser les saveurs au coeur du jaune, sans fléchir. Je les beurre encore au petit couteau arrondi qui ne blesse pas la motte. Mais le beurre est le Milhafre dos Açores. S'il y a encore cérémonie ou rite chez moi, c'est bien dans le sacrifice de l'oeuf coque. Sous assiette de Limoges, beau coquetier de la Migros, Genève (un design épuré), pain au-dessus de tout soupçon, nettoyage de l'ovoïde à la très petite cuillère d'argent et pauses d'extase.
Assez dit, car si je me lance dans le rôti de veau blanc/jardinière ou sur son foie blond poêlé/purée,les fraises, les framboises et les cassis, j'y passe la nuit et je perds mon âme en vaines saudades qui ne me redonneront pas l'âge de ma très heureuse enfance.
JCP
Rédigé par : JCP | 26/09/2008 à 20:47
J’en ai gros sur la patate, mon bien cher JCP…Ton « Popote et Papote » fait la part trop belle aux frutas e legumes du Grand Sud et fait peu de cas des merveilles gastronomiques septentrionales et en particulier, de celles de notre Normandie natale.
Certes, le poireau de Carentan est bien de chez nous et vient de faire une entrée fracassante à « Popote et Papote ». Certes, tu as y a déjà rendu un juste hommage aux poules et aux œufs : sans doute, n’as-tu pas oublié avec quel amour notre Grand-Père nourrissait ses poules au grain. A heures régulières, il parcourait les trente mètres qui séparaient sa maison du poulailler en faisant résonner ses sabots sur le trottoir cimenté, en secouant en cadence le maïs contenu dans une vieille boîte de conserves et en gloussant joyeusement. A ces bruits (les entends-tu encore, mon JCP ?), les poules accouraient en tortillant du cul, en caquetant et en s’ébattant bêtement. Grand-Père faisait alors pleuvoir le grain d’un geste auguste de semeur. Les poules se jetaient dans la mêlée jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à becqueter. Elles cherchaient ensuite stupidement, grattant de la patte et du bec tout en émettant des gloussements graves et interrogateurs de poule qui a trouvé un couteau…
Mais, JCP de mon cœur, où sont dans ton blog les pommes au four, les carrés aux pommes, les douillons aux poires ? Je sais que les pommes et les poires d’Isneauville étaient toutes véreuses mais, dans sa grande sagesse, Grand-Père professait que c’était bon signe car « ces petites bêtes-là savent ce qui est bon ». Avec un couteau pointu, il sculptait minutieusement les fruits pour évider les parties gâtées. Il creusait au plus près pour ne pas perdre la marchandise. Un vrai travail d’artiste, un travail de dentiste qui manœuvre sa fraise…
Ah !...Les fraises ! Et les cassis, les groseilles glabres ou barbues, avec ou sans maquereaux, les myrtilles si joliment appelées « brimbelles » par les Vosgiens, la rhubarbe crissante, chuintante et souffrante à l’épluchage, les lapins que notre grand’mère commune savait si bien assommer, dépouiller et civeter ? Où sont-ils dans ton blog, ingrat JCP ? Où sont les vaches, où est le lait, base de la gastronomie isneauvillaise?
Ah !... Le lait de la mère Simon ! Rien à voir avec les packs UHT d’aujourd’hui ! Sa crème était épaisse et jaune ; à la cuisson, elle se transformait en une peau de plusieurs millimètres. Recueillie et mélangée à de la farine, des œufs et du sucre, la peau de lait donnait de délicieux sablés. C’était un travail courant pour les gosses de notre époque que de découper la pâte en rondelles avec le bord d’un verre avant de la mettre au four. Certes, on pouvait trouver dans le lait tout frais tiré de la main de la mère Simon un peu de bouse ou quelques cheveux de la fermière, mais ces enrichissements biodégradables étaient éliminés par la passoire ou mieux par l’ébullition.
Ah !...Qui saura nous faire revivre la cérémonie de l’ébullition du lait ! Soufflons sur les braises de la mémoire auditive ! On peut encore entendre de nos jours le bruit sec de l’œuf sur le comptoir mais, hélas, sont perdus à tout jamais les frémissements, les grelottements, les tintements, les galopades, les chamades, les soubresauts guillerets de l’anti-monte lait qui se gondolait ! Sans parler du grésillement du lait cramé sur la cuisinière !...
Oui, mon JCP, tu as justement célébré la soupe de poireaux mystique de notre enfance. Mais, à Isneauville, il y avait aussi la soupe au lait…
Ah !...La soupe au lait ! La soupe au lait, c’est, t’en souvient-il, du lait chaud légèrement salé dans lequel on fait tremper des petits cubes de pain rassis. Banal, me diras-tu. Mais avec Grand-Père, la cérémonie de trempage et les formules cabalistiques qui l’accompagnaient donnaient toute sa valeur à cette spécialité. Sans elles, ce mets exquis n’aurait été que du vieux pain mouillé et du lait de vache bouilli.
Je dois préciser que la soupe au lait ne doit pas être confondue avec la trempette. Dans les deux cas, il s’agit essentiellement de lait et de pain dur, mais la ressemblance s’arrête là. La soupe au lait comme son nom l’indique, est servie au souper dans des assiettes à soupe et se prend avec une cuillère à soupe. Elle est chaude comme il sied à une soupe sous nos latitudes septentrionales. La soupe au lait se consomme avec un minimum de tenue, le buste bien droit et la cuillère naviguant de l’assiette à la bouche sans rien perdre de son contenu.
En revanche, la trempette est froide, elle se prend pour le « quatre heures » dans un bol et sans cuillère. De la main gauche, on porte le bol de lait froid à hauteur du menton pour ne perdre ni une goutte ni une miette de la friandise. On tient de la main droite une languette de pain dur dont on humecte bien l’extrémité et qu’on porte rapidement à la bouche avec un léger mouvement tournant du poignet avant qu’elle ne tombe dans le liquide. Quand arrive le fond du bol, il n’y a plus qu’à boire le reste du pain ou à manger le reste du lait. C’est génial ! La pincée de sel de la soupe au lait est avantageusement remplacée dans la trempette par du sucre.
Dans les deux cas, le menu doit être agrémenté de cérémonies rituelles qui mettent en valeur les mets. Chef du protocole, Grand-Père avait mis au point des tonalités différentes pour chaque plat : la cérémonie de la soupe au lait était guindée, collet monté comme la cuillère. En revanche, la trempette s’accommodait de danses débridées, de rires éclaboussants et de cris frénétiques. La consommation du mélange tolérait fort bien grognements, lapements et éructations. Bref, avec la soupe au lait, on communie, avec la trempette, on s’éclate ! Dans les deux cas, Grand-Père ne manquait jamais d’ajouter aux agapes des commentaires scientifiques flatteurs sur le lait, « aliment complet », insistait-il en levant un petit doigt savant qui entraînait la conviction et redoublait l’appétit.
Je tiens enfin à préciser qu’une soupe au lait n’est pas un lait chaud. Le lait chaud n’est pas une spécialité gastronomique, c’est un médicament qui traite admirablement la grippe et les affections de la gorge, surtout s’il est accompagné de miel ou mieux encore de Calvados. On l’administre de préférence au lit, le soir au coucher. On le sert dans une tasse avec anse pour ne pas se brûler. Une soucoupe est recommandée pour ne pas souiller les draps. Après ingestion, le patient doit aussitôt se glisser sous la couette pour piquer une bonne suée.
Il nous faudrait encore parler de la mouillette des œufs à la coque qui s’apparente à la trempette au lait du point de vue de la technique opératoire. Mais nous en avons assez à digérer pour aujourd’hui !
Rédigé par : Chedozot | 26/09/2008 à 10:03
Tout ça est bien bon, il n'empêche que je ne peux éviter de penser -- quand j'aperçois le bout d'un pied de poireau --qu'il n'y a pas loin du poireau à la soupe.
C'est qu'en France, l'automne est déjà là et bien là, avec les premiers froids en prime (depuis deux bonnes semaines) sans qu'on leur ait rien demandé. La peste soit de l'automne ! Heureux lusitains, qui devez savourer un bel été indien, va !
Rédigé par : Phil' | 24/09/2008 à 10:47
potage de poireaux ... avec des chayottes tu va voir c'est mieux qu'avec la pdt
Les jeux de mots auxquels vous avez échappé
le poireau de Cinquantan est moins dur que le poireau de Trentan
avant de semer les poireaux de Carentan respecter la quarantaine
Echo parlant quand bruit on maine
Dessus rivière ou sus estan
Qui beauté eut trop plus qu'humaine
Mais ou sont les poireaux de Carentan
Rédigé par : jp | 20/09/2008 à 21:26