15 juillet 2001, Ambositra, Madagascar,
Dimanche soir
C’est
froid, très mal éclairé, jeté tout en longueur en trois ou quatre tentacules
pleins de taches d’ombres où se recroquevillent des êtres oubliés. La rue, les
trottoirs se confondent, parsemés de trous où manquent des pavés. Où manger ?
Les rues inspirent la mort, la solitude devant la mort. Où boire ? Tout
est fermé, éteint, inutile. L’horloge du salon me rabâche que je suis seul, un
dimanche soir dans une ville austère des plateaux malgaches. Il est 19 heures
et j’ai rebroussé chemin. Ce soir je vais jeûner.
Demain nous partirons à Antoetra, petit village
zafimaniry situé à 40 Km. Il faut s’attendre, dit- on, à rouler deux bonnes heures, tellement la
piste serait mauvaise. Je crains surtout la pluie ou un ciel insipide qui ne
donneraient aucun éclat à mes photos. Mon guide, conseillé par la bible des
voyageurs, sera Monsieur Louis de Gonzague …Curieux nom malgache pour un
marcheur. Il est 19 heures et une minute. Curieux nom de marcheur pour un
dimanche de m... misère. Curieux dimanche de misère pour un affamé de soupe chaude et
fumante…Avec un chou, des carottes, de belles carottes de la région
d’Antsirabe, un peu de gras de zébu, un peu de moelle peut- être, pendant qu’on
y est, beaucoup de jarret, là où c’est tendre ; encore un verre de Côte
de Fianar, un morceau de pain, prendre son temps, j’accepte une lichette de
moutarde. Ce pot-au-feu arrosé de bouillon brûlant, parsemé de cerfeuil ciselé me comble d'aise. Les parfums s'exacerbent mais plus encore qu'à …Belgrade. Le goût est du velours et redonne des forces aux affamés du dimanche.
Ca y est, je me suis réchauffé. Mais quand donc finira cette nuit qui ne fait que commencer ?
(Carottes d'Antsirabe façon orgues de Staline)
(Ce n'est plus un rêve de carottes, c'est une obsession grave)
(Qu'il est terrible le fumet du pot-au-feu fictif quand il se faufile dans les fantasmes de l'homme qui a faim...)
JAC, le 22 avril 2009
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