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avril 1996, Praslin, Seychelles,
(Seychelles : le calme...
...avant la tempête...)
Dans l’hôtel, face à la mer agitée, beaucoup
de touristes montrent leur mécontentement. Un homme assez grand et un autre,
plus petit, ont volé au petit jour une valise, un vélo de location, ainsi que des pantalons, des shorts, des
maillots de bain, mis à sécher sur un
banc. Les vacanciers, indignés, évoquent cet événement : « Intolérable !
Un pays qui a si bonne réputation ! » Pendant ce temps la police
interroge, promet de trouver rapidement les coupables.
Mais
le lendemain les pensionnaires sont réveillés par des éclats de voix et les
craquements d’un immense brasier juste à côté de l’hôtel : un mari est en
train de brûler les vêtements de sa femme ! Quelques
explosions retentissent, causées par les aérosols qui s’expriment, eux aussi, sur la scène de ménage.
Bien évidemment les commentaires vont bon train du côté des voyageurs, un peu
surpris par ces incidents pour le moins inattendus dans un pays figurant en très bonne place sur les
destinations « de
rêve ».
La troisième nuit, les Européens ne peuvent
dormir à cause des moustiques et des puces. Cet exotisme « de luxe » devient décidément insupportable. D’autant
plus qu’aux dires de certains, l’hôtel serait envahi par les fourmis et les
pucerons de toutes races. La fièvre du mardi soir monte en puissance par les
claques dans le dos, sur les bras, les crèmes appliquées rageusement sur les
pieds, les bombes qui aspergent à tout va et surtout les cris déchirants des
mordus et des piqués.
Au petit déjeuner des hommes portant sans
remords un gros ventre poilu, des cuisses roses flasques, un t-shirt qui vante
les mérites du club de pétanque de Ville-d’Avray ou qui met en valeur les
ressources d’un catalogue distribué par les 3 Helvètes, tous ces attablés
fatigués, boudent leur ananas et les dés de papaye disposés en forme de cœur.
Ils veulent dire deux mots au propriétaire, ils l’attendent de pied ferme et
même qu’ils vont lui montrer de quel bois ils se chauffent.
( Hôtel de rêve ou hôtel de cauchemar ?)
Qu’ont-ils dans la tête ? Abréger leur
séjour ? Demander un remboursement ? Le patron fait son entrée, leur
explique, contre toute attente, la vie aux Seychelles. Prenant à contre pied
les mécontents, il leur offre un
véritable cours d’histoire. Les rebelles de tout à l’heure ne pipent mot :
un peu gênés, tête baissée, ils écoutent le beau parleur qui les envoute. Petit
à petit, l’atmosphère se détend. Certains auditeurs posent même des questions.
Les mécontents ravalent leur colère et consentent à mastiquer quelques tranches
d‘ananas par la même occasion. Ils sont souriants, confiants, rassurés,
fascinés par l’exubérance de ce personnage atypique. Les échanges fusent et se
déplacent à présent sur des thèmes très éloignés de l’objet de la requête
initiale, tels que les objectifs du gouvernement, l’organisation de la
scolarité, les enjeux de la sécurité
sociale seychelloise.
Mais, lors de la quatrième nuit, un nouveau
larcin révolte les occupants de la résidence…Comme l’électricité a été coupée,
les voleurs ont profité de l’obscurité pour s’introduire dans les chambres,
faire main basse sur des porte-monnaie, des chaussures, des lunettes et prendre
la fuite plus facilement. Nouvelle décision
unanime au petit matin de « voir »
le chef, cette fois, pour de bon. Que se passe-t-il donc dans ce lieu
maudit ? On exige un autre hôtel ! On va contacter l’agence, les
journalistes, l’ambassade de France, porter plainte auprès de l’office du
tourisme, réclamer une audience avec le ministre ! N’a-t-on pas « vu »
les cambrioleurs passer tranquillement devant la loge avec des palmes, des
tubas, des masques sous le bras ?
N’a-t-on pas entendu ces mêmes malfaiteurs évoquer calmement à voix haute le
lieu de stockage du produit de leur audace ? Un scandale ! Un
scandale !
Pour tenter d’empêcher une probable
mutinerie à l’intérieur de ses murs, le responsable affirme que les auteurs du
premier forfait sont déjà « sous les verrous »,
qu’ils ont en outre restitué les biens qui ne leur appartenaient pas. Tout est
en ordre. Quant au deuxième délit, on a identifié les coupables ! Ce sont
les voisins ! La police va faire son travail, croyez-moi !
Et
le beau jaseur y va de son couplet sur la francophonie. Le créole, nous apprend-il,
est langue officielle aux Seychelles. Comment n’a-t-on pas pensé à cela plus
tôt à la Réunion ?
Une nouvelle fois, les étrangers se calment,
décident de terminer le pot de confiture, tout en reprenant des saucisses avec
la salade de pommes de terre. Certains même, commandent une autre omelette aux
fines herbes, un peu plus baveuse, peut-être et avec moins de poivre, si c’est
possible. Les serveurs, aujourd’hui, se précipitent pour répondre aux désirs de
chacun. La tempête semble donc se calmer. D’ailleurs, à quoi bon chercher la
petite bête puisque tout le monde repart en avion demain ?
Pourtant, le jour suivant, au petit matin,
les policiers, arme au poing, entourent les bungalows, pénètrent dans certains
bâtiments, envahissent le parc. Ils sont là, sur la plage, derrière les
flamboyants, dans le hall d’entrée. Partout ! Une porte s’ouvre. Le patron
en personne sort, menottes aux poignets, bousculé par quatre officiers vindicatifs. En passant
devant une haie de touristes médusés, il trouve le temps de hurler à qui veut
l’entendre :
« Je vous ai eus ! J’ai volé votre sale
argent de bourgeois ! J’ai encaissé le double de ce qui m’était dû et vous
avez craché comme des malades ! Vous vendriez père et mère pour un peu de
bronzage à montrer dans vos bureaux à Paris !...Depuis vingt ans !
Depuis vingt ans ! ». Il se retourne une dernière fois avant
d’entrer dans le fourgon et compose une formidable grimace de haine vers le
public en colère, maintenu difficilement en respect par un cordon de gendarmes.
Ce cri du cœur vaut la peine de se
réveiller et d’écrire ces lignes, malgré mon bras droit couvert de piqûres de
moustiques.
En cherchant un stylo dans mon sac à dos,
je constate qu’il est ouvert :
mes palmes, mon tuba
et mon masque ont disparu…
JAC, le 4 mai 2009
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