(Dédié à Valérie, ma nièce et à ma soeur, Jacqueline)
Absence
pour raison familiale
En ce temps-là j’avais la seconde lycéenne boutonneuse et particulièrement agitée. Mes escapades se multipliaient et, malgré les punitions, les heures de colle, les menaces d’exclusion, je récidivais, mû par un vent de folie ou la fièvre de vouloir tout et tout de suite.
Ce jour-là, vers midi, j’avais un rendez-vous en ville, urgent, bien sûr. Avec qui, avec quoi, je ne sais plus.
Je profite de la sortie des externes pour me faufiler parmi eux, moi, demi-pensionnaire…Un surveillant m’ aperçoit. Il m’appelle et quitte bientôt son poste pour se lancer à ma poursuite. Je le hais à cet instant. Porté par le besoin irrésistible de m’évader et surtout par la vague de complices qui me protègent dans la plus formidable des mêlées de rugby, je parviens à semer sans peine les 100 kg poussifs de mon garde chiourme, en passant par les ruelles et les porches qu’il semble ne pas connaître. Place de l’Hôtel-de-ville un immense parking me sert de terrain de cache-cache. Mon gardien guette le moment où je vais apparaître…. Je me glisse à quatre pattes entre les voitures. J’attends. Les secondes sont longues mais grisantes. Lentement je vérifie où mon geôlier se trouve. Loin. Très loin. Mais on ne sait jamais. Je reste accroupi. C’est alors et dans cette position peu avantageuse du missionnaire, qu’une voix féminine bien connue m’interpelle, là, tout près. Je reconnais immédiatement les chaussures. Les jambes. Je reconstruis le corps...Puis l’imperméable beige :
« Qu’est-ce que tu fais là, mon Jacquot ??? »
Le Jacquot en question est perdu. Terrorisé. Anéanti. Il ne lui reste que le sursaut du désespoir, pour tenter un semblant de tirade sincère et plausible. Comment répondre à une question aussi embarrassante ?
La peur, l’intuition, l’instinct de conservation me font bafouiller des mots incohérents :
-
Mais, je cherche…Je cherche…Je, je..
-
Tu cherches quoi ?
-
Tu le vois bien..Je cherche les clefs, tiens !
Mes clefs de casier ! Je viens de me rendre compte que…je les avais perdues.
Mais, c’est pas grave… En fait, j’avais décidé de…d’aller voir Valérie à l’hôpital…
-
Chouette ! On y va tous les deux !
Je savais bien que mon fils avait du cœur…C’est bien, à ton âge de t’intéresser
à son sort.
Et c’est ainsi que j’ai fait la connaissance de ma nièce, née à 6 mois et quatorze jours, nouvelle pensionnaire de « L’ Hôtel-Dieu », 1650 grammes, bardée de tubes , encombrée de couvertures, bien au chaud derrière son étrange habitacle de verre.
Je me trouvais, là, en face d’un rendez-vous que je n’aurais voulu manquer …« pour rien au monde ».
Et l’émotion que je ressentais à la vue stupéfiante de ce petit corps rougeâtre, remettait aux calendes grecques les premières montées de sève du printemps.
J’étais malgré tout, un peu soulagé que ma mère me signe, et avec joie, une « autorisation d’absence exceptionnelle », pour une bonne cause…
Une cause familiale, bien sûr.
(Valérie, dans tous ses états et dans tous ses tuyaux)
JAC, le 26 septembre 2009
Cette histoire avait fait en son temps le tour de la famille. Grand'mère La Zo l'avait répétée à Mémé Madeleine qui m'avait donné en exemple le sens précoce de la famille du jeune Jacquot...
Rédigé par : Chedozot | 01/10/2009 à 13:41