(3) – « Même père, même
mère »
Me voici
donc retenu par mes visiteurs inattendus. J’avais pourtant promis à ma fille de
déjeuner avec elle. Elle insista pour nous accompagner au restaurant. Je lui
expliquai que c’était un « déjeuner d’affaires » avec des gens
importants que je connaissais peu, qu’elle allait probablement s’ennuyer, que
c’était trop sérieux, qu’il était donc plus raisonnable pour elle de rester à
déjeuner avec la voisine. Elle pleura à fendre le cœur. Je cédai : elle
viendrait mais à la condition expresse de se comporter comme il se doit dans un
« repas d’affaires ».
Je ne
connaissais pas encore les Africains ! Comment les choses auraient-elles
pu mal se passer ? Devant cette petite blondinette, les deux visiteurs
fondirent. Elle fut si entourée, si protégée, elle se sentit si à l’aise
qu’elle ne commit aucune maladresse, aucune gaucherie. Le repas fut très
agréable.
Fort de
cette expérience réussie, j’emmenai ma fille quelques jours plus tard à un
autre déjeuner d’affaires, cette fois avec des Français. La petite n’en loupa
pas une : verre renversé, sauce sur la cravate du visiteur, chaise
escaladée, tout y passa…
« Ma
fille, tu m’avais mieux habitué. Je pensais que tu savais te tenir dans un
repas d’affaires…
Mais papa, ce n’est pas un repas d’affaires, les Messieurs ne sont pas
noirs ! »
J’ai alors
compris que, pour elle, un « repas d’affaires », c’était surtout un
repas où l’on se sentait bien, où les gens ne la dévisageaient pas avec des
airs gênés et en parlant d’elle à voix basse. Avec des Noirs, elle se sentait à
l’aise.
(Mon « grand frère » Dotien Coulibaly en
1980, en séminaire à Lyon)
Ce jour-là,
j’ai décidé de partir en Afrique à la première occasion. J’y verrais plus rarement
mes enfants, mais au moins, quand je marcherais dans les rues de Dakar ou de
Yaoundé, il ne se trouverait personne pour me demander bêtement qui est la mère
de ma fille et si c’est la même mère que celle de mes garçons. Là-bas, mon cas
est courant, banal. Si bien que, lorsqu’il ne s’agit pas d’un demi-frère
ou d’une demi-sœur, les Africains présentent leur frère ou leur sœur en
précisant « même père, même mère » tant il est vrai que ça ne
va pas de soi !
Merveilleuse Afrique qui a tant fait pour me guérir ! J’y suis parti en novembre 81. Deux semaines après, je jetais à la poubelle tous mes somnifères et antidépresseurs, vestiges de la vie tordue de notre société de merde…
Daniel Bas, 26 septembre 2009
Par cette conclusion, Daniel, tu démontres combien tu communies en JCP ! Je crois que tu as aussi fait par ces lignes, le plus beau des hommages possibles aux africains. Hommage parfaitement mérité.
Rédigé par : Phil' | 01/10/2009 à 04:21