Préambule :
Les
commentaires se faisant rares, j’ai confié récemment à Jacques mon
découragement : « On se sent bien seuls sur les blogs ».
« Oui, me répondit-il, mais ça coûte moins cher que le psy… ».
Cela m’a donné une idée: accoucher enfin de pépins qui me restent en travers et
qui font mal. Si personne ne les lit, si personne ne réagit, tant pis et
tant mieux: le psychanalyste aussi est silencieux. Alors, voici une série de
quatre pépins que j’ai envie de cracher depuis longtemps. Allons-y, je
m’installe sur le divan…
(Chedozot sur le divan)
(1) - Bigame par vertu
C’est
Voltaire qui m’a inspiré ce titre. Dans l’Ingénu, chapitre XVII, « Elle
succombe par vertu », l’auteur raconte le déchirement de la belle
Saint-Yves, prise entre le désir d’être fidèle à son Huron emprisonné et la
nécessité de le tromper avec son geôlier pour obtenir sa libération. Cruel
dilemme !
Comment
suis-je devenu « bigame par vertu » ? Je ne plaisante pas, c’est
une affaire sérieuse, grave même. Il faut, pour l’expliquer, remonter à la
tendre enfance et à l’éducation de base.
Mon frère
Michel avait dans les seize ans et moi, j’en avais une douzaine. Il rentrait
quelquefois tard, de plus en plus tard. Cela inquiétait ma mère. Elle s’en
ouvrit un soir à son mari :
« Tu
devrais faire un peu attention à ton fils aîné. Je trouve qu’il prend un peu
trop d’indépendance. A son âge, on peut tout craindre… »
A cette
époque, « tout craindre » ne faisait pas référence à la drogue
ou au SIDA comme aujourd’hui mais tout bonnement au risque de grossesse.
N’oublions pas qu’il faudra encore attendre un quart de siècle pour acheter la
pilule dans nos pharmacies. Mon père ne s’y est pas trompé, il a tout de suite
compris le message de sa femme.
Pour les
parents de garçons, deux approches existaient alors. La plus courante se
résumait à l’adage : « Je lâche mes coqs, gardez vos poules ! ».
Chez les Bas, ce raisonnement n’avait pas cours : il fallait
impérativement épouser la fille séduite. Les petits frères bénéficient (ou
souffrent) par ricochet de l’éducation donnée à leurs aînés. Chedozot n’a
jamais eu besoin qu’on lui explique qu’il fallait « réparer »
comme on disait en ce temps-là. Il lui a suffi de laisser traîner une oreille
et d’entendre tonner la réponse du père dans la pièce à côté :
« Je
vais lui parler. S’il devait faire un gosse à une fille, à coups d’ pied dans
l’ cul, je le conduirais à la mairie, à grands coups de pied dans l’ cul !... »
« La
mairie », c’était, bien entendu, le mariage civil et républicain, le
seul qui comptait chez les bouffeurs de curés. Le jeune Chedozot était
terrorisé : alors, c’est comme ça, on embrasse une fille sur la bouche, on
l’embrasse si fort qu’elle tombe enceinte et hop ! on se retrouve à la
mairie, à coups de pied au cul ! En termes plus soutenus: Manu
militari !
Il en a
gardé longtemps une méfiance instinctive à l’égard des jeux de l’amour. En tout
cas, il n’a jamais plus douté de la responsabilité irréfragable du
géniteur lorsque des amours coupables débouchent sur une naissance. Là encore,
le sens de « amours coupables » ne faisait aucun doute chez
les Bas : il s’agissait d’amours hors mariage.
Lorsque
Daniel, trente ans plus tard, marié et père de trois enfants, s’est épris d’une
jeune femme et a conçu accidentellement une fille naturelle, ses oreilles ont
résonné des paroles sévères de Louis-le-père : à la mairie, tout de suite,
et à grands coups de botte dans le train ! Mais voilà, Daniel était déjà
marié et nos lois ne reconnaissent pas la bigamie ! Le cas n’avait pas été
abordé dans l’éducation du jeune Chedozot. L’environnement socio-culturel
judéo-chrétien ne donne d’ailleurs aucune piste pour trouver une solution
acceptable à pareille situation.
Certes, la
religion et même la simple morale laïque prêchent la fidélité entre époux et
condamnent l’adultère. Le Maire le dit bien lorsqu’il donne lecture de
l’article 212 du Code civil : « Les époux se doivent mutuellement fidélité,
secours et assistance ». Je suis entièrement d’accord, un contrat est
un contrat, j’ai tous les torts, c’est ma faute, ma très grande faute. Cela
dit, quand ça arrive et c’est souvent arrivé et ça
arrivera encore, qu’est-ce qu’il faut faire ?
Aucune réponse satisfaisante n’est donnée, tout est interdit. J’ai fait en
vain le tour des issues de secours. Epouser la seconde mère ?
Interdit, la bigamie n’est pas reconnue chez nous. La larguer, avec un
bon chèque d’adieu dans le meilleur des cas ? Concert de réprobation des
bien-pensants : « L’infâme barbon couche avec du poulet bien
tendre puis jette à la rue la pauvre jeunette séduite avec sa bâtarde sur les
bras ! ». Partir avec elle aux Bahamas sans laisser
d’adresse et filer le parfait amour? Tollé général : «Le salaud
abandonne sa légitime et ses trois enfants sur la paille pour se rouler dans la
débauche ! ». Divorcer ? La religion est
contre, la loi est à l’époque dissuasive. Se suicider ? La religion
est encore plus contre. L’avortement, en admettant qu’il n’y ait pas de
contre-indication médicale et qu’on tourne les interdits légaux rigoureux alors
en vigueur en allant à l’étranger, est condamné par la religion et une bonne
partie de la société encore plus violemment que l’adultère.
Ne me dites
pas, je vous en prie : « I fallait pas, y’avait qu’à pas… ». Je
vous l’ai dit, je suis d’accord, j‘ai tous les torts. Je demande pardon. Et
maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? C’est ça, la question. Aucun
livre sacré, aucun curé, aucun pasteur, aucune loi ne donne la réponse, en
France, en 1975. Alors, j’ai cherché tout seul une issue ou au moins un modus
vivendi. J’ai travaillé deux fois plus, j’ai fait deux métiers pour avoir
deux salaires, je me suis expatrié pour faciliter un double emploi du temps, je
me suis dédoublé pour être présent partout à Noël, aux anniversaires, etc.
Bref, je suis devenu bigame par vertu de 1975, date de la naissance à 1982,
date du mariage de la maman avec un Anglais. C’était pour moi la moins immorale
des solutions, la voie difficile, la porte étroite. Je vous jure que ça
n’a rien de drôle, je ne voudrais pas revivre cette épreuve. Je ne sais ce que
donnera pour moi le Jugement dernier, mais je sais qu’ici-bas, j’ai déjà
beaucoup payé au sens propre comme au sens figuré.
1975-2009 : 34 ans déjà ! Dans notre droit, la plus longue prescription est de trente ans (article 2262 du Code civil). Même les criminels en bénéficient. Seuls, les crimes contre l’humanité et les génocides sont imprescriptibles (articles 211 à 213 du Code pénal) ! Il semble bien que ma « faute » entre dans cette dernière catégorie car je continue à la payer durement, moralement et financièrement, tous les jours que Dieu fait. Je reviendrai plus loin sur la peine que je dois purger à vie. A suivre…
Daniel Bas, 24 septembre 2009
J'ai relu trois fois ces quatre textes aujourd'hui. Je suis bouleversé par ces confessions. Mais, c'est étrange, au même instant, on annonce que le volcan de la Réunion est en passe de se réveiller...Je suis tout agité. On dirait qu'il me transmet ses ondes. Ou alors c'est peut-être la souffrance que je découvre dans ces lignes...
Rédigé par : Jac | 04/10/2009 à 19:07
Ah, s'il ne tenait qu'à moi, je vous aurais accordé un quitus total, définitif et bienveillant, mon cher ami. Si davantages d'hommes partageaient votre savoir être, ce monde serait plus beau.
Rédigé par : Phil' | 01/10/2009 à 04:09