Histoires de vétérinaires
(Plaque professionnelle de l’Ordre des Vétérinaires)
(1)
Le chat de Madame Humbert
Un jour de 1964, alors que je quittais l’usine au volant de ma 403 pour aller
déjeuner, Madame Raymonde Humbert, contremaîtresse, frappa au carreau de ma
voiture. Elle était affolée :
« Monsieur
Bas, est-ce que je peux vous confier mon chat ? C’est un cas
d’urgence : la pauvre bête a avalé une patte de lapin qui lui est restée
en travers de la gorge ! Voyez mon pauvre Felix, comme il s’étouffe, comme
il hoquette ! J’ai téléphoné au vétérinaire qui l’attend. Vous
passez juste devant son cabinet, soyez gentil de me rendre ce service car je
dois prendre ma faction à 13 heures… »
Comment
refuser ? J’ai donc pris le chat sur un siège arrière. Mais, déboussolé,
le malheureux animal s’entêtait à me rejoindre, s’agrippait à moi, me grimpait
sur l’épaule et la tête, me griffait, miaulait à fendre le cœur…Il n’était pas
facile de conduire sur trois kilomètres dans les embouteillages de midi dans de
pareilles conditions. Néanmoins, je parvins tant bien que mal à atteindre la
maison du vétérinaire. C’était l’heure du déjeuner. Je sonnai. La femme vint
m’ouvrir. Tout essoufflé, le chat solidement arrimé sous mon bras, conscient de
l’urgence d’une intervention, je débitai sans préambule :
« Je
vous apporte le chat de Madame Humbert…
- Le chat de Madame Humbert ?
Mais je ne connais pas de Madame Humbert !
- Si, si, votre mari est au courant,
Madame Humbert lui a téléphoné au sujet du chat ».
Se tournant vers la salle à manger
où son mari poursuivait son repas, la femme cria :
« Tu connais une madame
Humbert, toi ? Tu es au courant d’une histoire de chat ?
- Je ne connais aucune Madame
Humbert et pas davantage le chat de Madame Humbert !
- Il y a là un monsieur qui apporte
un chat très excité et qui dit que c’est de la part de madame Humbert, qu’elle
t’a téléphoné à ce sujet…
- Qu’est-ce que c’est que cette
histoire invraisemblable ! » s’exclama le mari en se levant enfin
et en s’approchant de la porte où je multipliais les contorsions pour rester
maître de la boule de poils, de griffes et de muscles qui s’agitait
frénétiquement sous mon bras. Je m’efforçai cependant de garder mon calme et de
clarifier la situation :
« Oui, monsieur,
souvenez-vous, il s’agit d’un cas d’urgence : cette pauvre bête a avalé
une patte de lapin, vous avez promis à Madame Humbert de la lui retirer… ».
Mes interlocuteurs me regardèrent
avec ahurissement. Le chat redoubla de miaulements et de gigotements
désespérés. L’homme sentit qu’il devait hausser le ton :
« Monsieur, il s’agit sans
doute d’une mauvaise plaisanterie. Nous n’avons jamais eu de chat et nous ne
voulons pas de chat, encore moins avec une patte de lapin dans la gorge !
Et nous ne connaissons votre Madame Humbert ni d’Eve ni d’Adam !
- Monsieur, permettez-moi de
m’étonner d’une attitude aussi peu compatissante de la part d’un homme qui, par
profession, devrait avoir à cœur de soulager la souffrance des animaux ! » répondis-je sur un ton digne et
courroucé tandis que Félix s’énervait de plus belle et essayait de m’échapper.
Par profession…. Par profession… La
lumière jaillit alors ! L’homme avait une belle plaque de cuivre sur son
portail que je n’avais jamais pris la peine de bien lire jusqu’au bout. Pour je
ne sais quelle raison, je m’étais mis dans la tête depuis toujours que c’était
la plaque professionnelle du vétérinaire. En réalité, le vétérinaire habitait
quelques maisons plus loin. Celui que je prenais pour le vétérinaire était en
fait…le notaire du pays !
Le vétérinaire était bien au courant
et connaissait madame Humbert et son chat. Il n’a eu aucune peine à délivrer
l’animal de son os malencontreux.
Daniel Bas, le 14 février 2010
Commentaires