4 – Stupeur et apaisement dans un
taxi parisien
2008 à Paris: j’attrape un taxi au vol devant mon
petit hôtel de la gare de l’Est
« Bonjour,
à la gare d’Austerlitz, s’il vous plaît
- سلام, Salam… Austerlitz, حَسَن, Hassan, O.K.
- La cour des départs, s’il vous plaît
- وَخَ, Wakha, d’accord. Excusez-moi, je suis en
communication téléphonique avec la Tunisie, c’est très important, permettez-moi
de continuer…
- Je vous en
prie, faites donc…
- شكرا, Shoukran, merci.
Il est midi.
Le taxi traîne dans les embouteillages vers le marché Saint Quentin. Il
s’emplit d’articulations gutturales.
Il est
maintenant midi dix : les bouchons s’épaississent. Les éclats de voix en
arabe s’enflent, sonnent et tonnent. On a beau se passionner pour les
voyages, afficher un intérêt pour les langues et les cultures, on a beau se
prétendre imperméable aux vents mauvais du racisme et de la xénophobie, on
n’échappe pas aux préjugés imposés par la société environnante. Une grande
controverse un peu échauffée en arabe, on ne peut s’empêcher de la considérer
avec stupeur et tremblement et de redouter qu’il y ait de l’eau dans le gaz, de
l’étincelle dans l’air et le feu aux poudres…
Où suis-je
donc tombé ? …Je ne comprends rien aux dialogues mais je devine qu’il y a
toute une famille, peut-être des voisins ou même tout un village qui se
presse à l’autre bout du fil.
Mon
chauffeur parle avec autorité : ce doit être un aîné, un chef. C’est celui
qui a réussi, qui est « monté » à Paris, celui qui conduit au sens
propre et au sens figuré. Un leader, un caïd. On ne fait rien dans son bled
sans son conseil, son autorisation, son entremise, son cofinancement. La voix
se fait ensuite plus douce, puis on perçoit comme un agacement du style :
« Bon, passe-le moi, je vais lui parler… ». Alors, la voix
monte, le ton est conseilleur, parfois tranchant, du genre : « Mets-toi
bien dans la tête une fois pour toutes que… » ou « Combien de
fois devrai-je te répéter que… ». Puis on revient à l’interlocuteur
central avec qui la voix se fait respectueuse, conciliante, apaisante et même
tendre… J’entends et je comprends de nombreuses répétitions rassurantes de
لبس،ال حمدللح, Labesse,
El Hamdoulillah, ça va, merci.
Mes anxiétés s’évanouissent, mes stéréotypes s’envolent. Je sens monter à mes narines les parfums d’Outre-Méditerranée. J’entrevois des marchés colorés et animés…Je me détends. Je me revois négociant tomates, agrumes ou melons…
Il est midi
vingt. Nous voici enfin à République, la communication téléphonique s’achève.
Mon chauffeur me présente très civilement des excuses pour ce long dialogue
qu’il n’a pas pu interrompre. « Chaque semaine à la même heure,
j’appelle ma maman, là-bas, au pays. Elle s’inquiète pour le moindre retard. Et
puis, des frères, des cousins, des voisins se joignent à la conversation,
demandent mon avis l’un pour une construction, l’autre pour un mariage, l’autre
encore pour un contrat... Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est la famille,
chez nous… »
Lui non plus
n’échappe pas aux préjugés, aux stéréotypes. Par définition, l’Européen n’a pas
le moindre sens de la famille dans son esprit. Avec moi, il tombe mal :
« Oui,
j’imagine très bien. Chez moi, c’est pareil. En tous cas, dans ma génération.
J’ai vécu treize ans en Afrique. Moi aussi, j’appelais ma mère tous les
dimanches. C’était un rendez-vous sacré, pour rien au monde je ne l’aurais
manqué. Aussi, je comprends très bien l’importance que vous y attachez, votre
démarche m’est très sympathique...
- Ah ça,
alors, je n’en reviens pas, je n’aurais pas cru qu’en Europe aussi…
-Tenez,
je me souviens…C’était il y a 20 ans à peu près, un dimanche en Guinée, à
Conakry, où les liaisons internationales étaient particulièrement
mauvaises…J'avais dû passer pratiquement un après- midi complet dans une salle
surpeuplée et étouffante à attendre qu'on me passe Rouen. L'opératrice,
installée sur un modeste bureau au milieu de la foule, se dépensait sans
compter, avec le sourire, y mettait la meilleure volonté du monde mais la
technique ne suivait pas. Mes compagnons d'infortune ne s'énervaient pas,
riaient de leurs belles dents blanches, s'intéressaient aux communications que
leurs voisins tentaient d'établir. Deux cabines de guingois, si branlantes et
bancales qu'on ne pouvait en fermer la porte, offraient d'ailleurs peu de
protection contre les indiscrétions. Alors, autant s'épancher tout de suite et
raconter à la cantonade à qui on va parler, ce qu'on envisage de dire,
notamment qu’on va s’informer sur l’état de floraison du jardin que la maman
bichonne, etc.
- Je sens
l’atmosphère comme si j’y étais ! Continuez, je vous prie. Alors, la
maman, vous l’avez eue ?
- Alors, j'ai connu cette chaleur extraordinaire de
l'Afrique, des flots de tendresse qui jaillissent comme une source et dévalent
en torrent : en une paire d'heures, une douzaine d'Africains enthousiastes ont
adopté une maman dans les fleurs, là-bas à 5000 Kilomètres, dans un pays que
certains ne pouvaient même pas imaginer ! Lorsque, enfin, la standardiste
triomphante et radieuse a pu crier : " Je l'ai, ça y est, dépêchez-vous,
Monsieur, ne vous laissez pas couper ; Madame, c'est votre fils, il
arrive, il paraît que vous avez un jardin plein de fleurs, ça doit sentir bon
...", alors j'ai dû, sous la pression, enchaîner : "Bonsoir, maman,
tu as de nombreux amis ici, ils tiennent absolument à te saluer ...". Et
tous ont défilé dans la cabine pour embrasser la maman, bénir ses plantations
et lui dire leur sympathie car "on reconnaît l'arbre à ses fruits",
etc. etc. Même la technique a tenu le coup et nous n'avons pas été coupés. Par
je ne sais quel miracle, j'ai payé un prix dérisoire, un prix d'ami : les
compteurs guinéens savent reconnaître les amis. L’Afrique est extraordinaire,
je l'adore !
- Merveilleuse,
votre histoire ! Vraiment, je suis heureux de rencontrer un Français
qui honore sa mère et qui aime l’Afrique ! J’ai tant vu les gens d’ici
abandonner leurs vieux dans des mouroirs, ça me fait plaisir de parler avec
vous. Tenez, je voudrais moi aussi vous raconter une histoire, je la tiens de
mon imam. Me le permettez-vous ?
- Bien sûr, je suis tout ouïe…
- Il était une fois un homme qui gardait chez lui
son vieux père et l’entretenait avec affection. Mais la femme était méchante et
le lui reprochait constamment. Tu devrais chasser ton père, répétait-elle,
c’est une bouche inutile, il coûte, il tousse, il sent mauvais. L’homme résista
longtemps puis finit par céder à sa femme pour avoir la paix : il chassa
son père. Le vieux s’en alla tristement, courbé sous la douleur et le chagrin.
Il faisait froid, il demanda comme une dernière faveur un manteau. D’accord
pour un manteau dit l’homme et il envoya son fils, un tout jeune garçon,
chercher un manteau pour le grand-père. Le jeune homme revint avec un manteau
et des ciseaux, il coupa le vêtement en deux et en remit une moitié au
grand-père. Mais que fais-tu donc, pourquoi avoir partagé ce manteau ? Et
le garçon répondit : une moitié pour donner à grand-père tout de suite et
l’autre que je garde pour toi lorsque je serai grand et que je te chasserai de
ma maison ! Alors, l’homme comprit la leçon, rappela son père et répudia
son épouse…
- J’aime le
récit de votre imam. Décidemment, les manteaux inspirent les religieux. Dans la
Bible, Job déchire son manteau, se rase la tête puis se prosterne. Le prophète
Samuel raconte que David coupa doucement un pan du manteau de Saül mais,
magnanime, ne porta pas la main sur lui. Et dans le Coran, le Prophète,
bouleversé par la première apparition de l’ange Gabriel, rentre chez lui,
tremblant de fièvre. Il s’allonge et prie sa femme Kadidja de le couvrir. C’est
alors que l’ange Gabriel l’interpelle pour la seconde fois en ces termes :
« ô toi qui t’es couvert d’un manteau »…
- Vous
n’avez décidemment pas fini de m’étonner. Vous connaissez aussi le Coran ?
- Je le lis
souvent. C’est une prose très agréable, très fleurie. Et puis, c’est un livre
de tolérance contrairement à l’image qu’ont pu en donner ceux qui s’en servent
pour asseoir un pouvoir malfaisant. Je connais par cœur quelques versets
significatifs à ce propos : « Chaque peuple a une plage du ciel vers
laquelle il se tourne en priant. Dieu vous rassemblera tous un jour car il est
tout-puissant». Sur ce point, un autre verset enfonce le clou :
« La vertu ne consiste point en ce que vous tourniez vos visages du
côté du levant ou du couchant : vertueux sont ceux qui croient en Dieu ».
Enfin et surtout, Sourate II, 257 : « Point de
violence en matière de religion. La vérité se distingue assez de
l’erreur. Dieu entend et connaît tout ». Peut-on être plus
tolérant ? Voulez vous encore d’autres invitations coraniques à la
paix religieuse? En voici une belle à la Sourate III: « Dieu t’a
envoyé le Livre contenant la vérité et qui confirme les Ecritures qui l’ont
précédé. ». Peut-on être plus œcuménique ! »
Il est
presque une heure. Nous sommes enfin à Austerlitz. J’ai raté mon train. Qu’à
cela ne tienne, il y a plus important. Nous poursuivons longuement notre
conversation sur l’au-delà dans la cour de la gare. Monsieur Ben me donne sa
carte personnelle avec son 06 : il est désormais mon chauffeur parisien
attitré, je l’appellerai avant chaque voyage, je n’en veux plus d’autre. En me
quittant, il me dit :
« Que
la paix soit avec vous. Vous verrez, d’avoir cité le Coran, cela va vous rendre
heureux toute la journée… »
Il avait raison. Je me suis rarement senti aussi
léger, un sourire de paix sur les lèvres…
(Dieu t’a envoyé le Livre contenant la vérité…
…et qui confirme les Ecritures qui l’ont précédé)
Daniel Bas
25 mars 2010.
Ca se bouscule pas au portillon les nouveaux
commentaires,pourtant c'est plus drôle de lire
Popote et Papote,et plus enrichissant que de
regarder les pages de PARIS NORMANDIE !!!Debout !les lecteurs du blog ,un peu de
courage !
Quiquine .
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | 27/03/2010 à 09:49
essai commentaire 26 Mars 10
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | 26/03/2010 à 20:19
Elle est belle ton histoire,CHEDOZOT ,et si
vraie.L'entraide familiale en Afrique est très
forte et cela existe aussi chez nous.
Le téléphone est combien magique,et nous
l'avons encore constaté lors du dernier
seisme d'HAITI comme les appels pouvaient être importants et vitaux !!!
Quant à Mémé MADELEINE,elle attendait tes
appels du NIGER avec bonheur ,ce qui la reliait avec ce qu'elle avait de plus cher .
Ton chauffeur Parisien est un sage !!!
Quiquine .
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | 26/03/2010 à 16:49