SIMONE ET LE PAPE (1)
Années
1981-1982
Grande,
maigre, petite tête de moineau querelleur posée sur un cou de girafe, drapée
dans une robe Chanel moulante, elle ne peut s’empêcher d’imiter la démarche
chaloupée des top-modèles. Elle balaie souvent
la salle des profs d’un regard méprisant en affirmant haut et fort que ses
collègues sont « tous des cons, tous des petits Marcel minables, tout
juste bons à jouer au tiercé, à bricoler le moteur de leur Citroën, à pousser
leur chariot pour les courses du samedi. » Personne n’ose lui
répondre : elle terrorise les veules, elle hypnotise les timides, elle stimule les aigris. On la
voit dans des cocktails, on la consulte ici et là, elle s’expose dans la
presse.
On
lui connaît un ou deux amants fidèles : un pilote d’Air France en instance
de divorce depuis une dizaine d’années et peut-être un commissaire priseur de
Marseille, propriétaire d’un manoir et de chevaux de course. Elle avoue aussi à
ses intimes quelques aventures à la sauvette, dans la baignoire ou sur la table
de la cuisine, avec un représentant en aspirateurs, un plombier moustachu
champion régional d’haltérophilie et même un élève de seconde, ami de sa fille.
Adepte des saunas à la Suédoise, à l’aise en petite tenue vaporeuse dans ses
appartements ou nue sous une robe de chambre généreusement échancrée, elle ouvre
sa porte au premier venu qui sonne, afin d’observer les réactions épidermiques
des « mâles ».
Pour
l’heure, Madame se dirige vers Paris dans son Austin Cooper rouge. Parfumée,
pomponnée, elle se rend chez son ami sicilien, garagiste, carrossier, expert en
pièces de rechange et en transit divers à destination du Sénégal. Aujourd’hui elle dira adieu à sa petite auto anglaise.
(Austin mini cooper, un peu trop "mini" pour les grands goûts de Simone.)
Aucun remords. Aussitôt la porte métallique refermée derrière elle, Fabiano et ses hommes maquilleront les plaques minéralogiques et les numéros du châssis. Dans un mois, bien calé au fond d’un container, le véhicule prendra le bateau jusqu’à Dakar. Dès demain elle remplira sa déclaration de vol à l’assurance chère aux enseignants honnêtes. Si tout va bien son compte devrait être crédité bien avant le départ de sa voiture vers l’Afrique. Avec l’argent en liquide que lui remettra son complice, elle pourra s’acheter bientôt la voiture de ses rêves, une Audi S2 coupé ABY Quattro rouge et peut-être s’offrir un voyage à Saint-Petersbourg, programmé depuis dix ans.
(Mains habiles pour démonter les moteurs, changer les plaques minéralogiques et maquiller les numéros de châssis.)
Il
pleut. L’autoroute de Normandie est glissante. Quelques kilomètres avant le
péage de Mantes-La-Jolie, la circulation devient dense. Les nouvelles à la
radio ne sont pas bonnes ce matin : Bob Marley est mort, Mitterrand vient
d’être élu président, le pape Jean-Paul II est victime d’un attentat. Un Turc
aurait tiré trois coups de feu sur lui.
La
pluie redouble de violence. L’escroqueuse ne sait pour quelle raison elle porte une
oreille attentive à l’horoscope du jour : « Taureau : vous avez le sens des affaires. Vous ferez
aujourd’hui une rencontre importante. Santé : ménagez votre foie. »
Une certaine agitation règne devant les portes automatiques du péage. Les voitures n’avancent pas. Un groupe de mécontents entoure un taxi. Une altercation entre automobilistes ? Habituée depuis son plus jeune âge à se faufiler entre les obstacles et à fuir les difficultés de la vie, elle tente de contourner l’attroupement. Une tête émerge de la foule. Un homme brun, basané, très grand, habillé en noir…On dirait…Un prêtre ! Un prêtre en soutane ! La dernière fois qu’elle en a vu un, c’était Fernandel dans le rôle de Don Camillo…
L’homme de Dieu lui fait face. Il la regarde. Il se détache
du groupe. Il vient à sa rencontre. Elle ouvre sa vitre. Elle ne comprend pas
ce qu’il veut. Monsieur le curé contourne l’Austin. Voudrait-il monter à côté
de la jolie dame ? Tout juste ! L’abbé déplie ses longues jambes, se
cogne le crâne contre le toit, se meurtrit le genou sur la clenche. En voiture
Simone ! Elle a maintenant un compagnon de route, un officiant de
Monseigneur Lefebvre.
La
conversation s’engage. « Il pleut. Oui. Il fait froid. Curieux mois de mai… »
L’homme a un fort accent ibérique. Il éprouve de grandes difficultés à trouver
une place convenable pour chacun de ses membres et ne cesse de se tortiller, de
grimacer, de geindre. La conductrice vérifie dans le miroir de courtoisie
l’état de son rouge à lèvres. Discrètement elle apprécie le profil grec de son
passager espagnol. Ce personnage dégingandé et photogénique l’intéresse :
« De
quelle ville êtes-vous parti ?
-De
Rouen. J’habite à Rouen.
-
Moi aussi.
-Dans
le quartier de la gare.
-Moi
aussi.
-
Rue de Lavalisse.
-Tiens !
Moi aussi !
-Au
24.
-Ca
alors ! C’est vous le prêtre de l’église au-dessous de chez
moi ? »
L’horoscope
avait raison : la rencontre miraculeuse prévue pour les Taureaux, et même
les Taureaux ascendant Machiavel, a bien eu lieu. Elle en profite pour faire un
peu de charme à son voisin, tout en oubliant de cacher ses cuisses à la vue de
l’ecclésiastique en tenue de messe.
Elle
s’arrête sur une aire de repos et cherche une cabine téléphonique car elle a
omis de prévenir son chef qu’elle avait mal à la tête aujourd’hui. « Je me sens mal, j’ai la grippe, je ne
peux pas marcher, gémit-elle en toussant,
impossible d’assurer mes cours…Oui, je vais chez le médecin. » L’homme
en noir sourit. Il ne perd pas une miette de la tirade de l’actrice qui le
véhicule. « Le Seigneur vous entend,
il faudra vous confesser… »
Quelques
kilomètres plus loin, leurs destins se séparent. Pour peu de temps sans doute.
Dès
son retour à Rouen, l’administration demande des comptes au professeur de
dessin « souvent malade en début de
semaine » : le Principal vient de calculer depuis le début de l’année le
nombre de lundis où elle ne vient pas travailler. La réalité est effrayante.
Monsieur a honte devant les parents qui ne comprennent pas, devant les enfants
qui en ont assez de passer tant d’heures à s’ennuyer en salle d’étude. Pour
étudier quoi ? Le temps qui passe ? Il a honte. Il a honte pour la
réputation de son collège. Et il n’hésitera pas à prendre les sanctions qui
s’imposent. Non, non et non ! Cette situation ne peut plus durer !
Le jour même un médecin de la Sécurité Sociale l’attend devant sa porte. Il veut savoir lui aussi la raison de ces absences à répétition. La patiente le fait entrer, asseoir, attendre. Elle revient chargée d’une pile de dossiers médicaux, rédigés par des spécialistes de l’âme. Une fois de plus la malade se montre convaincante et fait valoir les multiples facettes d’une dépression chronique : céphalées intenses, convulsions, délires, asthénie, anorexie, insomnie, pour n’en citer que quelques unes. Elle s’assoit à côté de l’homme, un peu timide, se presse légèrement contre lui pour lui montrer ses radios. Elle n’oublie pas au passage d’ouvrir un bouton de son chemisier assez transparent. Ce soir elle a tout à gagner. Le docteur, un peu embarrassé ne s’attendait visiblement pas à une réception aussi… chaleureuse. La patiente vient maintenant se placer en face de lui et le regarde droit dans les yeux. Tout en croisant et décroisant lentement ses longues jambes, elle lui propose une tasse de thé. Qu’il accepte en bredouillant un refus hésitant.
(Le bonheur attend le médecin-conseil au croisement des destinées...)
La conversation se déplace alors sur un tout autre terrain : la peinture. L’artiste expose régulièrement dans les galeries de la région. Elle lui présente ses dernières œuvres, une collection d’églises orthodoxes russes aux coupoles éclatantes, les bariolées de Saint-Basile sur la Place Rouge, les dorées de la cathédrale du Christ-Sauveur.
(Les peintures de Simone approchent la grâce et l'élégance de Chagall.)
L’amateur d’art est subjugué. Il rougit de plaisir. Les toiles
sont si jolies. Les cheveux du peintre sentent si bon…Obsession 4 de Givenchy. Une
brusque bouffée de chaleur monte à la gorge du pauvre homme, pris dans les
mailles du filet. Il voudrait partir. Il devrait rejoindre sa femme et ses
enfants. Il ne peut pas. Comme une ventouse assoiffée d’amour, elle se jette
sur son sexe et l’étouffe de baisers.
L’amant et la mante roulent sur le tapis persan. (A suivre)
JAC, le 5 juillet 2010
Ca s'appelle avoir DU TEMPERAMENT !!!Se sortir
de situations délicates par une double
pirouette ,c'est amusant à voir ...de loin !
Même avec une audace pareille,ces gens là ne
peuvent pas être pris au sérieux !
Quiquine.
Rédigé par : Jacqueline Paulus Petit | 20/07/2010 à 07:47