Orange amère chez Transes Telecom
Toute ressemblance avec une société existante serait purement fortuite
(Citrus aurantium)
Préambule lexicographique :
Pourquoi orange amère? Parce que la couleur orange est un mélange de rouge et de jaune : quand on me dit orange, je vois rouge et je ris jaune ! Je suis pris de transes !
(Orange stressée)
Transes n.f. (de transir). 1. (Souvent plur.) Inquiétude très vive, peur accompagnée d’angoisse ; affres. 2. Etat d’exaltation de qqn qui est transporté hors de lui-même et du monde réel ; convulsions. Entrer en transes.
(Entrée dans la transe)
Cauchemar n.m. 1. Rêve pénible, angoissant. 2. Idée, chose ou personne qui tourmente.
1 – Le cauchemar
Déjà, dans les années 40, Henry Miller redécouvrant l’Amérique, manifestait dans « Le cauchemar climatisé » sa stupéfaction et son effroi devant les envahissements inhumains du « progrès » technologique. C’était un pionnier de la mise en garde : attention ! Nous allons droit dans le mur !
Moi aussi, j’ai fait un rêve. Un mauvais rêve. Un cauchemar. Ecoutez bien cette histoire des temps modernes. Elle est prémonitoire. Réagissez avec moi avant d’entrer en transes et de vous retrouver chez le médecin! Alors, il sera trop tard. Cette aventure onirique, fruit de mon imagination nocturne agitée, pourrait devenir réalité avec des sociétés du même acabit que Transes Telecom. Elle pourrait bientôt vous arriver, cette tuile, si ce n’est déjà fait. Alors, vous êtes prévenus, écoutez bien mon délire. Le cauchemar commence:
Nous venons d’emménager avec tout ce que cela comporte de stress, d’embarras, de recherche de nouvelles marques. Nous nous rendons donc à la boutique de télécommunications la plus proche, à 30 kilomètres, soixante aller-retour. Nous l’appellerons Transes Telecom car nous sommes pleins d’exaltation électrique à l’idée de retrouver nos repères, de rétablir le contact avec nos parents et amis.
Donc, ce 20 juillet, nous arrivons gonflés d’espoir à Transes Telecom à 8 heures 45 pour l’ouverture à 9 heures. Il y a déjà plusieurs personnes en file d’attente sur le trottoir, figées sous des parapluies. Les portes s’ouvrent. Le préposé en charge du dispatching, juché derrière un haut pupitre, symbole d’autorité, a pris note des noms, de l’objet des visites, a jugé souverainement de leur bien-fondé, puis a fait asseoir : « Ce sera vingt minutes d’attente environ » nous a-t’il déclaré comme s’il nous faisait une faveur.
Les vingt minutes étant écoulées, je suis allé faire part de mon inquiétude : «Patience ! Vous êtes le prochain à passer » me répond le majordome en consultant son tableau de bord. Rassuré, je reprends ma place, l’œil mi-clos pour ne pas être agressé par les placards publicitaires de la société qui me promettent le meilleur des mondes: « C’est ici que commence le service Transes Telecom » affirme un poster sur fond de famille cliente nageant dans le bonheur.
Je vois soudain qu’une employée s’absente pour un instant. Je me propulse et jette un coup d’œil indiscret sur son écran d’ordinateur. J’y lis : « Monsieur Bas, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? ». Je dis à ma femme : « Tu vas voir. Elle va revenir, m’appeler et me dire : Monsieur Bas, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? ». Ça n’a pas loupé :
« Monsieur Bas ?
- Oui, me voici
-Monsieur Bas, qu’est-ce que je peux faire pour vous ? »
D’emblée, cette fausse aménité préprogrammée, prémâchée, sur commande, m’indispose. Je demande un siège. On m’offre une chaise pliante mais je n’apprécie pas ma position structurelle de soumission à l’égard de la vendeuse – pardon, de l’agent commercial - juchée sur un haut tabouret et bardée d’outils informatiques, dans une situation d’autorité dominatrice.
De mon temps, on disait : « Le client est roi » ! Aujourd’hui, c’est le fournisseur qui trône.
(Le client ROI : Return On Investment)
Nous avons cependant fini par choisir la totale, le bouquet, car la vendeuse – pardon, l’agent commercial – avait du savoir-faire : Internet + un téléphone 09 + télévision, sans compter un téléphone 04. Deux téléphones fixes, ce n’est pas de trop dans notre village où il n’y a pas de réseau pour les portables ! Nous sommes repartis contents et nous réjouissant déjà de pouvoir vite communiquer avec le monde entier et de transmettre enfin nos nouvelles coordonnées.
« Vous avez accordé votre confiance à Transes Telecom en choisissant nos services » a constaté simplement comme une évidence la lettre de confirmation de contrat du 20 juillet sans prendre d’ailleurs la peine de remercier. Pour le cas où cette bonne entrée en matière aurait été prise pour de la faiblesse, la missive ajoutait aussitôt, dans le style directif de haut en bas cher à cette société (imaginaire, Dieu merci !): « La signature du présent bon de commande implique de la part du client l’acceptation sans réserve des conditions spécifiques du service dont il reconnaît avoir pris connaissance ». Bien sûr que nous avions lu, approuvé et signé les yeux mi-clos l’abondante littérature en caractères lilliputiens qui donnait d’avance raison au fournisseur et tort au client pour tout litige éventuel. Parapluie ouvert pour l’entreprise, client présumé coupable, à charge par lui d’administrer la preuve du contraire en cas de contestation. Le fournisseur est roi…
Heureux quand même, nous étions en sortant de la première épreuve! Le 04 était promis pour dans quatre ou cinq jours, le rendez-vous pour l’installation d’Internet fixé pour la mi-août. Ce que nous ne savions pas encore, c’est qu’il nous faudrait y retourner cinq fois en deux mois pour obtenir satisfaction, soit un total de 300 kilomètres ! Ce que nous ne savions pas encore, c’est que le numéro 0800 et quelques qui nous avait été indiqué pour toucher le service clients Internet donnait le départ d’une course d’obstacles marathonienne. Ce que nous ne savions pas encore, c’est que les portables ne passaient pas dans notre village et qu’il fallait marcher un quart d’heure dans les collines pour avoir le réseau et appeler interminablement, le téléphone à la main gauche, les documents et le stylo, parfois le parapluie à la main droite… Vous voyez le tableau ! Un vrai cauchemar !
« Si vous appelez pour un déménagement, tapez 1, pour une facturation, tapez 2, pour des félicitations, tapez sur trois étoiles ***, pour un bémol, tapez dièse #…Préparez vos documents. Vous aurez à vous justifier. Vos papiers, s’il vous plaît ». Curieusement, rien n’est prévu pour les réclamations, sans doute par peur d’une surcharge.
« Votre temps d’attente sera inférieur à huit minutes. Nous vous remercions de patienter… Zizique… Un conseiller commercial va répondre à votre appel… Zizique…Dans le cadre de notre démarche qualité, votre entretien est susceptible d’être enregistré… Zizique… Nous vous remercions de patienter… Zizique… Nous traitons votre demande… Zizique…Un conseiller commercial va répondre à votre appel… Zizique…Zizique…Zizique… ». Enfin, le « conseiller commercial » exténué, sous pression, s’annonce : « Que puis-je faire pour vous ? ». C’est juste au moment où la pile du portable rend l’âme et où un coup de vent a emporté vos documents dans les fourrés ! A refaire !
Le cauchemar est loin d’être terminé. Reprenez votre souffle : à demain pour « Orange amère (2) : 0,34 ; 0,34 ; 0,34…»!
Daniel Bas
15 octobre 2010.
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