(Il est 15 heures. Il fait chaud. A Bras-Panon, une poule traverse. Une voiture l'évite de justesse. Merci Freedom de nous donner toutes ces informations.)
Tout le monde le sait, la Réunion est une île à boire, à manger et à déguster par les yeux, et sans modération. Cependant, on est parfois un peu surpris en l’écoutant parler par l’intermédiaire de sa radio fétiche, Radio-Freedom.
Voilà une radio qui parle. Qui parle beaucoup. Et qui s’immisce là où personne ne l’attend, dans les domaines les plus invraisemblables. Cela fait vingt ou vingt-cinq ans qu’ elle dirige les consciences de main de maître, depuis le gentil représentant en aspirateurs à la gentille grand-mère diabétique couchée sur son lit de souffrance, en passant par la gentille secrétaire médicale, régulièrement priée par son chef d’écouter les nouvelles en sourdine.
Au fil des ans, petit à petit, ce poumon « culturel » de haute volée, fait des Réunionnais les plus angéliques, de vilains râleurs. Il respire comme un volcan, en poussant ici et là les frustrés de tout poil à déverser leur bile sur tout ce qui bouge. Cette radio, apparemment innocente, agit en fait comme un anti-pouvoir, certes désordonné, mais, en coulisses, on se réjouit de modifier considérablement la donne politique, et pas toujours dans un sens positif.
Il y a quelques années, par exemple, à la suite d’une effroyable tuerie à la mairie de Nanterre, Freedom a donné la parole aux auditeurs pour qu‘ils s‘expriment sur le sujet. Parmi eux, un dangereux rancunier a osé dire : « Moi, je vais faire comme le meurtrier, j’ai un fusil à pompe, je vais tuer tout le monde à la mairie… » L’animateur est aussitôt intervenu pour empêcher l’homme de continuer à proférer de telles menaces. Trop tard. Le mal était fait. Ce jour-là, devant 800 000 Réunionnais, quelqu’un a eu le temps de faire peur aux adjoints de la mairie qui l’emploie.
La radio a coutume d’organiser des débats improbables sur des questions d‘une pertinence douteuse, telles que « Que pensez-vous des casses à la voiture-bélier ? », « Que pensez-vous des tremblements de terre ? », « Pour ou contre la visite dans l’île de telle ou telle personnalité politique ? ». Certains thèmes de réflexion aboutissent nécessairement à des réactions explosives : les fonctionnaires, la police, les impôts, les métropolitains. Même quand le sujet en lui-même n’est pas brûlant, un énergumène peut toujours surgir de son malaise et tenir des propos dangereux.
Les gens qui s’expriment se prennent souvent pour des journalistes. Tel cet individu qui parvient à prendre la parole plusieurs fois dans la matinée. Il se prend pour un Zorro indispensable, décrit les accidents, dit intervenir ici et là, juge, décide, pérore. Au beau milieu d’un incendie, il affirme que le propriétaire des lieux s’est absenté pour la journée, croit savoir qu’il reviendra demain, propose de contacter ses cousins. Un accident dans l’est ? Il y court, pour être le premier sur place. Une noyade à l’Etang-Salé ? Il connaît la personne et « savait qu’un jour ou l’autre ça arriverait ».
(Le Christ serait apparu dans un dossier de chaise. Les débats nous ont aidé à passer une semaine sans trop penser à nos douleurs. Merci mon Dieu et merci Freedom.)
Partout les gens sont « scotchés », l’oreille collée sur leur addiction.
Au moindre porte-monnaie perdu sur le parking du supermarché, dès qu’un enfant n’aime pas sa maîtresse d’école, ou refuse d’aller chez le dentiste, on appelle Freedom. Une femme est-elle en conflit avec ses voisins, elle contacte la fameuse radio avant de régler le problème avec les mis en cause. Un mari est-il victime d’un marabout qui lui a extorqué 5000 euros : Freedom. Une épouse modèle, frappée par son mari alcoolique : Freedom.
Tout événement est bon pour le « passer » à la radio locale. L’apparition de l’image du Christ dans le dossier d’un siège de l’église de Sainte-Anne a occupé les ondes pendant trois jours. Chacun y allant de sa théorie. Le célèbre tsunami du 26 décembre 2004 qui a secoué Sumatra, Phuket et Sri Lanka, une journée. Mais on n’en a traité que la partie réunionnaise de l’affaire, c’est-à-dire quatre bateaux qui se sont entrechoqués dans le port de Sainte-Marie.
JAC, le 12 février 2012
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