On
marche, cheveux au vent, la tête à rien. Ou peut-être aux baleines qui ne vont
pas tarder à pointer leurs nageoires à quelques mètres du rivage. Ciel dégagé.
Douce brise. J’ai bien pensé à prendre un kilo de tomates. Par contre j’ai
oublié d’acheter du poivre. Pas grave, ça peut attendre.
On continue
de marcher d’un pas allègre sur l’asphalte. Il fait déjà chaud à cette….On
butte alors contre une borne en ciment, placée là pour délimiter le mini
parking des motos et surtout pour contrarier les étourdis.
La
chute est lente. Lourde. Spectaculaire. Un plongeon de gardien de but version
Division d’Honneur, en retard sur la balle. La brave dame crispée au volant de
son « Auto école » freine. Cale. Crie. « On ne cale pas en
circulation » doit sans doute lui reprocher l’inspecteur du permis de
conduire.
Je la remercie néanmoins d’avoir pu éviter mes
75 kilos de chair molle d’un rapide crochet. Grâce à ses bons réflexes, ma tête
n’a pas roulé comme un chiffon sous les roues de sa Clio.
Je
me relève d’un bond pour tester la souplesse de mes jambes et me précipite
l’air faussement dégagé vers ma voiture, afin d’y recompter l’essentiel de
mes côtes et de dissimuler à mon public les plus vilaines grimaces de douleur.
En
déroulant chez le médecin la bande-ceinture thoracique adéquate qui devrait
soulager mes deux flottantes cassées, j’imagine la détresse des personnes âgées
dans les villes au cœur d’acier, ces espaces de béton faits pour les moins de
trente ans et les planches à roulettes.
Je
note que mes dix-neuf fractures parcourent mon corps selon un itinéraire complexe
mais assez logique. On y découvre ici et là les traces d’une rencontre avec un
rocher autrichien, les marches glissantes d’une pyramide khmère, le pare-choc d’une
Mercedes réunionnaise. Ma carcasse entière est un peu comme une aventure politique
faite de rebondissements, de déceptions, d’alternances. Cependant, à l’image de
leur propriétaire un peu rebelle aux usages du monde, mes blessures suivent le
sens contraire des aiguilles d’une montre.
Par
ici la visite de mon anatomie:
On
commence par les fondations : 1959, de Gaulle au pouvoir, fissure de
l’orteil droit ;
1988, le pays s’installe à gauche, la France est divisée, annulaire gauche brisé
en 14 morceaux ;
2008,
à droite, toute, annulaire droit, deux brisures ;
2010,
la majorité se fracture, deux de mes côtes aussi.
Si tout va bien, la prochaine rupture a toutes les chances d’être celle de mon genou gauche, il y a encore une petite place pour mars 2012, date importante pour l’avenir de la nation, je crois.
(Il faut savoir en cas de chute rester digne et adopter l'attitude ad hoc...)
JAC, le 18 Mai 2010
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