Au cours de mes voyages, je marche du matin au soir, au hasard des rues, des villages, des rizières. Quand je croise des chiens, j’ai tendance à observer leurs réactions du coin de l’œil et parfois à changer de trottoir. On ne sait jamais.
A la Réunion, ils sont près de 300 000 à battre la campagne. Ils se cachent en meutes dans les montagnes ou les forêts.
Certains irresponsables les utilisent d’abord comme sonnettes d’alarme dans les cours, puis les abandonnent dans la nature, quand ils deviennent encombrants.
En Sicile, on compte 600 000 chiens errants. Le gouvernement réfléchit depuis quelques années pour résoudre le problème. Mais, aucune décision courageuse n’a été prise depuis dix ans. Au Portugal, même combat. Beaucoup de familles laissent leurs chiens errer librement dans les rues. A Alcacer do Sal où je résidais en 2007, je ne me promenais jamais sans mon bâton de pèlerin. Combien de fois ai-je dû me défendre contre des molosses qui s’échappaient des enclos pour me tester les mollets, sous l’œil indifférent de leur maître insensible à mes appels de détresse.
En 2011, on dénombrait à Maurice environ 200 000 chiens redevenus sauvages. Il y en aurait donc 100 par kilomètre carré, chiffre effarant pour une île aussi petite.
A Bucarest, 50 000 quadrupèdes aboyeurs se promènent en liberté dans les rues et les dégâts qu’ils commettent sont préoccupants. En 2010, 13200 personnes ont été mordues, dont 2500 enfants.
Dans les années 80, sous la férule de Ceausescu, la moitié de la capitale a été rasée pour faire place à des HLM grisâtres. Du jour au lendemain, les Bucarestois ont dû abandonner leurs maisons, et leurs chiens se sont retrouvés dans la rue où ils se sont multipliés sans aucun contrôle.
En 2000, Bucarest comptait 200 000 chiens errants. La mairie a décidé de les faire euthanasier. Mais en 2008, un an après l'adhésion du pays à l'Union européenne, une nouvelle loi a interdit cette pratique.
En Inde, le virus de la rage prolifère à grande vitesse, à cause de deux raisons principales : le nombre de chiens qui ne cesse d‘augmenter,
ensuite, la disparition progressive des vautours qui « libère » la place d’équarisseurs à d’autres espèces comme le chien errant et le rat. Mais ces nouveaux « nettoyeurs » ne sont pas aussi efficaces que les vautours. En effet, si le métabolisme des vautours est un réel « fléau » pour tous les éléments pathogènes contenus dans les carcasses, le chien et le rat absorbent les virus. Ils peuvent donc les transmettre à l’homme.
L’Inde compte aujourd'hui 18 millions de chiens errants, soit la population de carnivores la plus importante dans le monde.
Les points d’eau vitaux des villageois sont souvent pollués, car les carcasses, jadis mangées par les vautours, pourrissent aujourd’hui en plein air. Ces milieux aquatiques sont non seulement les seuls points de ravitaillement des petites agglomérations, mais aussi les terrains de jeu favoris des enfants.
Sri Lanka bat tous les records en la matière. L’île compterait plus de 3 millions de chiens à la dérive. A Pinnawela où j’ai dormi en 2010, j’étais le seul client d’un hôtel abandonné la nuit entière par le personnel et surtout par le veilleur, mais heureusement « gardé » par un bataillon d’une centaine de bêtes. Quand j’ai voulu sortir le soir, des dizaines d’yeux qui me fixaient dans l’obscurité, m’ont aussitôt coupé l’appétit. Alors, j’ai préféré passer la soirée en compagnie de mon sac à dos et de quelques biscuits de soldat qui traînaient sur une table.
J’ai aimé ce pays, mais n’y retournerai pas, car je me sens mal à l’aise au milieu des meutes affamées.
Dans toutes ces régions du monde, j’emporte toujours avec moi un bâton ou une canne à bout pointu et ferré.
Ma hantise des chiens vient sans doute de ma plus tendre enfance…
Je revois les montagnes de Haute Savoie. Le ciel est très bleu. Les alpages sont d’un vert intense. Je dois avoir cinq ou six ans en ce temps-là. Je marche en tête du convoi familial. Il y a là mon frère, plus bas, à quelques dizaines de mètres. Puis ma mère qui suit à son rythme. A l’arrière garde, mon père surveille sa troupe. Il annonce les directions à prendre, plaisante ou chante une chanson.
-Nous atteindrons le dernier chalet, dit-il, nous en ferons le tour, puis nous redescendrons. Ce sera tout pour aujourd’hui.
La ferme en bois semble déserte. Quelques poules au loin. Des moutons en liberté.
Soudain, venu du diable vauvert, un énorme berger allemand, l’écume aux babines, court vers moi.
Ma réaction est aussi stupide qu’instantanée.
Hurlant de terreur, je dévale la pente sans regarder vers quel gouffre mes pas de géant me précipitent.
A cet instant, chaussé de bottes de sept lieues, j’ai l’impression de survoler tous les obstacles.
J’entends les cris. J’entends les pleurs. Mais je ne peux m’arrêter. Le ravin se rapproche. Tout va si vite. Mon père s’apprête à déséquilibrer 30 kilos de chair. Il tient sa canne à deux mains.
Au dernier moment, il réussit à m’accrocher un pied avec la poignée.
La culbute est spectaculaire. Longue. Magnifique.
Quand j’ouvre les yeux, je distingue les toits du village, là-bas, tout au fond de la vallée.
Mon papa a réussi à me faire tomber juste avant mon saut dans le vide.
Le chien, lui, a disparu. Il a sans doute eu peur de cet OVNI qui glissait au-dessus des pâturages.
JAC, le 27 septembre 2012
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