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décembre 1994, Bukittingui, Sumatra,
Lentement,
très lentement, nous montons la côte sinueuse. Sourires spontanés des hommes
dans les champs, insouciance des enfants assis, dos tourné au danger, au bord
de la route. Encore un ou deux virages après ce bosquet. La mosquée au dôme de
métal apparaît, encerclée de bananiers géants, de maisons en bois au toit
pointu, constitué de plusieurs sous-ensembles de même nature. Les cases noires
se posent sur leurs pattes écartées, légèrement arc-boutées. Le vent passe sous
leurs jupes. Dans les volants à claire-voie, se distinguent des provisions de
toutes sortes. Des femmes habillées de couleurs vives tiennent sur leurs genoux
les marmots dont elles sont fières. Le volcan Merapi s’éveille avec peine et s’efforce de repousser les nuages
qui jouent avec sa taille de femme enceinte.
Les
rizières surgissent, étalées, gracieuses, bordées de murets géométriques. Des
femmes à chapeau conique en paille repiquent le riz et sourient à notre
approche. Des oies les regardent. Des canards s’interrogent. Au loin, au
pochoir sur ce fond vert magique, se dépose une brume ouatée, comme un voile de
gaze pour protéger les seins d’une femme trop belle. La vérité est là, nichée
au creux de ces vallées. Des pères tiennent fermement des petits dans les bras.
Les routes sont trop étroites pour laisser passer des voitures. Et des femmes
épouillent d’autres femmes.
Je tiens au creux de ma main des petits
grains verts de café, des boules encore fraîches de poivre noir. Je connais
maintenant d’immenses champs de piments oiseaux.
A Batusangkar,
nous prenons ce petit chemin bordé de cocotiers où flottent des parfums de
cannelle et de café. Nous entrons dans un moulin. Une employée présente des
grains aux mâchoires puissantes de la broyeuse et récupère la poudre dans un
immense tiroir.
La
région foisonne de moulins de cet acabit mais aussi de maisons minnangkabaus
à la charpente pointue savamment construite. Mais la pluie, très fine et chaude
nous surprend.
Il n‘y a plus qu’à se laisser tenter par un
poisson grillé peint de piments. Remettre dans l’assiette un peu de sambal
oelek. Ajouter une pincée de sel. Ne pas oublier les légumes verts
saupoudrés de cacahuètes émiettées. Des plats sont superposés devant nous en un
château de cartes un peu risqué. Puis partir le cœur léger même si l’addition
paraît un peu poivrée.
Car le poivre est le sel de la vie.
Jacques Petit, le 1 er novembre 2009
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