9 juin 2002
(Le foot est souvent cause de
débordements intempestifs.)
Depuis
quelques années en effet, j’évite par tous les moyens de suivre le
moindre
match de football à la télévision car mon petit cœur impatient bat
dangereusement
la chamade à chaque maladresse technique devant le but. Alors je me
protège à
ma manière en choisissant délibérément une activité plus apaisante, la
prospection urgente de petites cuillères par exemple, une promenade en
forêt ou
l’achat de tournevis cruciformes.
Ainsi,
lors de la récente rencontre France-Uruguay, j’ai tenté de m’éclipser du
tohu-bohu général, juste pendant la durée du match, pour acheter un
lavabo et
une baignoire chez le quincailler de service.
A
l’intérieur du magasin, le quartier encombrant des scies, des marteaux
et des
pinces a disparu, remplacé par une grappe de chaises occupées par des
hommes
qui se rongent les ongles.
Là,
chacun d’eux se désaltère… devant un écran géant. Vendeurs, clients,
patrons,
voisins, belles-mères. Un responsable applaudit. Un autre menace du
poing. Le directeur
insulte l’entraîneur. La question que je lui adresse est simple à
comprendre : où puis-je trouver un spécialiste des sanitaires ?
Sa réponse ne me donne qu’une information partielle : « Zéro à zéro pour l’instant. Mais les Français dominent. »
(Moment de solitude au milieu
de la foule agitée.)
Un
peu plus loin une dame en deuil s’apitoie sur mon sort et semble désolée
par
l’agitation ambiante. Je me faufile parmi les supporters. On me dit
qu’un
technicien arrive bientôt. On m’assure qu’il ne saurait tarder. On me
demande
de patienter quelques secondes.
En
attendant, j’en profite pour visiter à mon aise les baignoires, les
robinets,
les mélangeurs, les lavabos, les bleus, les verts, les roses. J’ai tout
mon
temps pour lire les notices, tester, comparer les produits, avec en
bruit de
fond, les cris, les sifflets, les bravos des agglutinés et les
hurlements
d’indignation de Thierry Rolland. Il me plaît de savoir – et c’est mon
droit –
si la colonne est vendue avec
le lavabo. En outre, je veux comprendre, à
la manière d’un journaliste, jusqu’à quel point le pays peut être
totalement
paralysé pendant 90 minutes.
(La
France baigne dans les eaux troubles du foot.)
La
mi-temps doit être sifflée car un jeune homme tout rouge de sueur se
présente
timidement à moi. Il semble hors de lui.
« Alors,
est-ce que la colonne se vend séparément ?
-C’est une
honte ! L’arbitre a
donné un carton rouge à Thierry Henry !
-Oui, mais
est-ce que la colonne se vend
séparément ? »
Les renseignements m’étant fournis, (la colonne est livrée avec le lavabo et, pour ce qui est de la baignoire, il vaut mieux accrocher le mélangeur au mur, c’est plus pratique), j’achète le tout, sans trop discuter le prix. La caissière consulte sa montre et demande à son voisin quand le match reprend.
Il
fait frais. C’est beau, la houle à l’assaut des récifs. Aujourd’hui, pas
un
bateau ne sort. Mais une radio s’évadant d’une vitre hurle que le score
est
toujours vierge. Pourtant les Français jouent bien. Moi, je regarde la
mer.
J’essaie de fixer l’océan. Sans en avoir réellement conscience, je reste
cependant
à l’affût de cris au loin, d’explosions de joie, de nouvelles jetées par
un
transistor. J’évalue le temps qu’il reste à jouer. Une ou deux minutes,
pas
davantage. Mais je sens que notre équipe va marquer…Là, maintenant…Je ne
sais
pas si…
Des
avertisseurs ! Des cris au loin ! Des gens qui hurlent en
chœur ! On se répond de voiture en voiture…Ca y est ! La France a
gagné ! C’est sûr…
Mais
non ! Ce n’est qu’un mariage… Les véhicules enrubannés comme des cadeaux
de Noël tournent et tournent…Je me précipite à l’intérieur d’un
magasin…Têtes
basses. Mines désappointées. Gestes de dépit. Le score s’affiche,
désolant :
France – Uruguay = 0-0.
Honteux et frustré à mon tour, je rentre chez moi, sans avoir vu le match mais sans avoir réussi à le quitter une seconde.
(Le comportement
de certains spectateurs est pointé du doigt.)
JAC, le 18 Juin 2010
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