10 janvier 2006 ,
Awash, Ethiopie,
(Quartier de la gare à Awash)
Le Buffet, sans être
un lieu d’une exceptionnelle beauté, est un endroit charmant où l’on a parfois, comme ce sera sans doute le cas ce soir, la chance de rencontrer la célèbre
propriétaire des lieux, madame Kiki, autrefois l’amie intime de l’empereur Hailé Sélassié .
Le jardin est fleuri, il y règne une
atmosphère un peu endormie, mais la gentillesse spontanée du personnel fait de
cet hôtel, une adresse attachante.
La gare est à deux pas, bâtisse rouillée
aux vitres brisées et n’est animée que par trois chèvres qui broutent quelques
chaussettes éparpillées sur les rails portant le poinçon officiel « 1912
-1913 ». Les abords pleurent d’une saleté repoussante par les sachets en
plastique bleus qui décorent à leur manière, de leurs banderoles sinistres au
vent, les arbustes à chameaux .
( La gare n'est pas ce que l'on pourrait appeler un lieu 'idéal pour passer des vacances animées...On y fait néanmoins des rencontres : deux chèvres, une carriole à cheval et trois phacochères )
Madame Kiki est apparemment grecque, à lire
la liste des plats qu’elle propose : Moussaka, Souvlakia, Dolmades . Mystère.
On l’entend cogner des casseroles dans sa cuisine, arroser des plantes, mais
elle ne se montre pas …
( Moussaka grecque au fin fond de l'Ethiopie...)
Cet hôtel, ouverture sur l’Occident, bien
situé, non loin d’Addis, à proximité de Djibouti, sur la route de la Somalie, est dirigé depuis plusieurs dizaines d’années par une femme originale qui, en
quelque sorte, est la mémoire vivante de l’Ethiopie .
La voilà. Elle s’assoit sous la véranda, à
côté de deux femmes qui préparent la cérémonie du « buna » , le
café éthiopien.
( Cérémonie du café éthiopien, après la Moussaka grecque )
Elle m’invite à me joindre à son cercle. Je
suis intimidé. Elle est effectivement grecque, mais seulement de culture par
ses origines. L’empereur lui a offert la nationalité éthiopienne. Elle me dit
avoir été récemment opérée en Suisse mais, comme elle a annoncé aux
collaborateurs des guides sur le pays, qu’elle « se retirait dans la
capitale » , les auteurs des livres l’ont crue sur parole.
Elle est restée un an en Europe, surtout à
Genève où elle a subi une grave opération : la transplantation d’un genou.
Elle serait, à ce jour, la première au monde à avoir bénéficié de cette délicate
intervention.
- Ce genou-là ne m’appartient pas , dit
-elle .
Son père est à l’origine
de la construction de la ligne de chemin de fer Addis -Djibouti. Elle a 78 ans, elle est née à Dire Daoua .Elle a reçu le général de Gaulle, Khrouchtchev, et
quelques autres illustres chefs d’états .
Je dormirai ce soir dans la chambre et le
lit où venait se reposer l’empereur …
( Ras Tafari Makonnen, proclamé roi "négus", en 1928, puis Empereur Hailé Sélassié I er en 1930. J'ai pensé à lui au moment de mon coucher...On dort très bien dans son lit)
Elle parle.
Beaucoup. Elle parle au téléphone, fait rire tout le monde et déclare que « ces
machins -là, ne marchent pas , c’est comme les computers , ça ne fonctionne
jamais… » Plaisir de l’entendre. Le café est délicieux. Le buffet
recevait 300 convives aux heures de gloire de la ligne franco-éthiopienne.
Elle possédait un wagon-restaurant que le gouvernement lui a retiré.
Je lui demande naïvement quand le négus est
mort…
Yeux noirs, grimace, visage menaçant. Ma
question, à l’évidence, l’irrite profondément :
-Il a été assassiné !
Je baisse la tête.
La conversation sur l’empereur est close.
Les heures passent
sous la véranda fleurie, à deviser, rire, se moquer des événements actuels,
des biens de consommation modernes, à boire du café fort.
Un peu comme sous
les tonnelles du Péloponnèse, à l’heure de la sieste, à boire de l’Ouzo, à
manger lentement des pâtisseries sucrées.
- Je ne connais pas la Grèce, soupire la
dame, ironiquement nostalgique.
Mais son opération
aurait pu lui coûter cher car sa nationalité éthiopienne l’empêchait de bénéficier
de la gratuité des soins. En toute hâte
elle s’est débrouillée pour se procurer à l’ambassade un passeport grec.
Actuellement elle se repose, cultive son
jardin, reçoit une pension des chemins de fer franco-éthiopiens.
Etonnante bonne
femme.
Toute sa famille « est » « sur les rails », même son fils,
propriétaire de l’hôtel Le Buffet de la Gare à Addis Abeba.
Madame Kiki promet de nous passer un
film « historique », tourné
par son mari pendant la guerre, mais elle disparaît en un éclair, comme elle est
venue.
Personne n’ose lui
rappeler sa promesse.
Elle dort sans
doute à cette heure.
Alors je me retire
dans mes quartiers, sur les pas de l’empereur et m’allonge sur son lit , rêvant
à la destinée parfois tragique des
grands de ce monde.
JAC, le 2 avril 2009
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