Triomphe de la biodiversité : les légumes
Qui se souvient encore des topinambours, ce tubercule au nom exotique, rapporté par Champlain de chez les Hurons du Canada au début du XVIIème siècle et affublé par le hasard des circonstances du nom d'une tribu du Brésil, des Tupinambas, dont on promenait quelques échantillons dans Paris à la même époque comme des animaux de cirque ? Son deuxième nom d ' Artichaut de Jérusalem lui convient mieux car il a effectivement un petit goût de fond d'artichaut. Il laisse aussi un arrière-goût de noisette.
Son aspect rappelle le gingembre. Ses grandes fleurs jaunes sont de la famille du tournesol :
On peut le manger cru (râpé ou en lamelles, avec une vinaigrette moutardée) ou cuit (frit, à l'étuvée, en purée, en gratin, sauté au beurre, fricassé avec des échalotes, en papillote garnie de fruits secs etc.) En l'accompagnant de noisettes grillées concassées, ou - pourquoi pas ? - de faînes grillées, on fait ressortir son léger goût de noisette.
Pourquoi cet essor sous l'occupation ? Mais parce que les Allemands réquisitionnaient les pommes de terre au titre des indemnités de guerre et pas les topinambours. C'est bien pourquoi on appelait les occupants, parmi d'autres noms plus ou moins charmants : les doryphores, ce beau coléoptère aux couleurs chatoyantes, prédateur des plants de patates. Egalement parce que les topinambours poussaient tout seuls dans les terres pauvres et qu'il fallait même se gendarmer contre leur invasion car ils proliféraient comme des ronces.
( optim.services.free.fr/parasites2%5B1%5D.html)
Pourquoi ce discrédit quand revinrent des temps meilleurs ? Mais justement parce que les topinambours souffraient d'une image de guerre négative, parce qu'on avait trop souvent dû les manger simplement bouillis à l'eau et de manière répétitive.
D'autres raisons plus rationnelles militent en faveur des pommes de terre : une fois déterrés, les topinambours, légumes d'hiver, ne se conservent pas à la cave, il faut les manger rapidement. Et puis, de nos jours, les gens sont pressés et l'épluchage des topinambours est problématique(il vaut mieux simplement les brosser dans l'eau, les laver en frottant bien, la peau leur donne du caractère).
Enfin, ne nous voilons pas la face : il ne faut pas en consommer tous les jours ( comme ce fut fréquemment le cas pendant la guerre) car ils donnent lieu à des déflagrations flagrantes et explosives intempestives qui font flotter dans l'air les effluves fugitives peu flatteuses fétides ( Oh ! Quelle série de perles, de perles d'allitérations ! Les touffes d'asphodèle du père Hugo ou les serpents qui sifflent sur nos têtes de Racine n'ont qu'à bien se tenir, soit dit en toute modestie !).
Un remède : les manger crus. Eh bien ! "Mangeons du cru " comme disait notre JCP en tête de son papier Radis Couscous du 25 octobre que j'ai gardé dans mes "Favoris", histoire de voir vite sa bonne tête chaque matin en ouvrant mon ordinateur et de bien commencer la journée ! Des topinambours rémoulade en fines lamelles, c'est délicieux.
Qui connaît le panais, sorte de carotte blanche au goût original qui rappelle celui du céleri-rave en plus doux avec un petit arrière-goût de noisette ? Il n'a pas besoin d'être pelé. Il ne craint pas le gel. Il cuit plus vite que la carotte ou la pomme de terre. Il se laisse arroser de beurre, de miel, de sirop d'érable. La moutarde lui va bien. Que demander de plus ?
Qui se souvient encore du rutabaga, un autre nom exotique (du suédois, rotabaggar), ou chou-navet ou chou de Siam ou colrave de Suisse, de la même famille que le navet ou le radis ? Il se mange en purée, en frites ou en gratin, ce qui est un plat traditionnel de Noël en Finlande. On peut aussi l'ajouter au pot-au-feu. Il en est des blancs à cols verts comme les canards du même nom (le Blanc d'Aubigny ). Il en est des jaunes à col rouge. En voici un beau violet à chair blanche d'une forme parfaite, on dirait une poterie ancienne :
Il partage le discrédit qui pèse aujourd'hui sur les topinambours, les mêmes causes ayant produit les mêmes effets. C'est injuste car il ne manque pas de vertus. Il est certain que mangé bouilli à l'eau quotidiennement, le rutabaga n'a rien de folichon. Mais, une simple bonne purée moitié pommes de terres moitié rutabaga avec du beurre et de la crème, c'est tout à fait réjouissant.
Topinambours, panais et rutabagas accompagnent bien les viandes blanches. Il est une viande qui n'a pas manqué pendant la guerre, c'est le lapin. Même en ville, on en élevait dans les salles de bain ! Dans notre petite maison de Bois-Guillaume il y a eu deux clapiers dans la cave. A Isneauville, il y en avait une douzaine. Chez Lucullus, à Bacqueville en 1942, j'ai compté 80 lapins ! De rudes lapins ! Les gosses ne rechignaient pas à aller cueillir du mâquer à lapins : c'était une façon d'acquérir sa liberté, de partir à pied ou à vélo avec les copains tout l'après-midi avec le prétexte de nourrir la famille. Au passage, on choisissait quelques tendres pieds de pissenlit et on les rapportait pour la salade du soir.
Le problème avec les lapins était de tuer ces pauvres bêtes. Ma mère s'y refusait, mon grand-père aussi. Le jour de l'exécution, il partait vite au fond du jardin. La spécialiste de la famille en la matière était notre grand-mère, dite pour je ne sais quelle raison mémé La Zo.
Elle n'avait pas son pareil pour assommer l'animal d'un seul coup derrière les oreilles du bâton blanchi qui lui servait à "touiller" sa lessive et pour dépouiller la bête en deux temps, trois mouvements. Je laisse la parole à un autre de ses petits-fils qui, dans un message du 27 juillet 2006, avait trouvé les mots justes pour dépeindre l'opération :
" Je revois la Zo dézinguer d'un atémi sec et fulgurant les cervicales d'un lapin dont elle faisait une merveille que je n'ai jamais su approcher en cuisine ".
Dois-je vous dire qui a écrit cela ? " Dézinguer", c'est du Zingo tout craché ! Eh oui, mon Cocode, c'est toi le meilleur !
Alors, chers amis en JCP, je m'arrête là car la guerre est finie. Que nos papilles menacées aujourd'hui par la malbouffe entrent en résistance comme nous y invite Jacques. Et rendons avant de nous séparer un petit hommage photographique à mémé La Zo, car je parle toujours de Dugrober et on va finir par me prendre pour un machiste !
Daniel Bas dit Chedozot , le 14 janvier 2009
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