Contes et légendes du Haut-Beaujolais
revisités par Daniel Bas
1 – « La place aux filles »
En montant à travers bois depuis le bourg de Marchampt, on gagne les landes du Haut-Beaujolais, site déclaré biotope. S’y trouvent préservées une faune et une flore rares, notamment en matière de rapaces et de genets et houx. Y protègerait-on aussi dans une sorte de jardin d’Eden des descendantes de notre mère Eve qui y auraient conservé une fraîcheur à nulle autre pareille ? C’est ce que pourrait laisser penser le lieu légendaire dit « La place aux filles » signalé sur la carte ci-dessous.
(La « place aux filles » est sur la ligne de crête, à presque 550 mètres d’altitude, sur le chemin qui va des bois de Monteux au Crêt de l’Oiseau dans les landes du haut-Beaujolais)
Las de fantasmer, j’ai gravi, dûment chaperonné par mon épouse, le chemin caillouteux et raide qui y mène en une bonne heure. Le lieu est plutôt décevant : boisé de manière clairsemée, cette clairière a été déplumée, pelée par la grande tempête de 99. Une table de pique-nique standard comme on en voit partout est le seul élément d’accueil. Son banc de bois est bien apprécié après la rude montée. De filles, point, hélas.
« Hou, hou !... » J’ai appelé à la cantonade. En vain.
« Hou, hou !... » J’ai insisté. Pas la moindre fille ! Je suis rentré, dépité.
(Vision d’antan. La « Place aux filles » n’est plus ce qu’elle était)
Peu de temps après, au cours d’une veillée à la mode d’antan, les Anciens m’ont expliqué : « Un beau dimanche, il y a de cela bien longtemps, de jeunes bergères avaient formé une ronde pour passer le temps avec entrain lorsque l’Angélus sonna au loin au clocher du village… Toutes alors interrompirent leur danse pour se mettre à prier. Toutes sauf une, la plus belle, qui continua à valser. Alors, la terre s’ouvrit, elle fut engloutie par la montagne qui se referma sur elle ! On ne la revit jamais ! »
(Tableau de Millet : Au loin, c’est l’Angélus, c’est l’Angélus qui sonne…)
On dit cependant qu’il est toujours possible pour des initiés de communiquer avec elle. Il suffit de taper patiemment du pied sur le sol en ratissant bien chaque mètre carré : l’endroit exact où la jeune fille a été happée résonne, paraît-il. En tapant bien, on peut même obtenir l’ouverture et s’engouffrer dans la grotte, prétendent les mieux informés…Personne n’en est revenu pour témoigner, on ne peut donc que se perdre en conjectures…
Intrigué, repris par mes fantasmes, je suis retourné à la « Place aux Filles », de mon bâton de pèlerin équipé. J’ai piétiné mètre par mètre, battant de la semelle et frappant le sol de ma canne. Pas de réponse… Pas de vibrations…La terre n’a pas résonné, la bergère n’a pas envoyé le moindre signal…
(La « Place aux filles » : fantasmes diurnes…Non, ce n’est plus ce que ça a eu été…)
(La Place aux filles : fantasmes nocturnes…Non, ce n’est plus ce que ça a eu été…)
Ma femme est une fine mouche : elle a avancé une autre version de l’histoire qui ne me laisse aucun espoir. Selon elle, la jolie bergère mécréante aurait mis à profit l’état d’extase, de méditation et de recueillement de ses consoeurs pour se cacher dans les fourrés et rejoindre discrètement un galant, un prince charmant qui l’enleva sur son blanc destrier, l’épousa et ils eurent beaucoup d’enfants. On ne la revit jamais tant elle fila le parfait amour.
(Telle Blanche-neige, la bergère aurait été, selon Pascale, enlevée sur un blanc destrier par un Prince charmant)
Si la terre résonne encore, prétend Pascale, c’est de l’écho du triple galop qui emporta la belle ! Les Anciens du village ont souri… Ils ne croient pas à cette hypothèse. Des langues malicieuses armées d’une bonne orthographe se sont livrées à des plaisanteries machistes : « Une femme qui raisonne, ça ne se trouve guère sous les pas d’un cheval ! ».
Je leur laisse ce propos d’humour sexiste. Mais, moi aussi, je persiste à croire que la jolie bergère trône comme une princesse dans son palais souterrain. Le Prince Charmant qui la délivrera n’est pas encore venu… Elle l’attend ! Elle teste, elle sélectionne…Qui sera élu ? Pourquoi pas moi ? Suis-je suffisamment bien conservé pour faire bonne figure dans un biotope ?
Je vais en tous cas poursuivre mes recherches, me former et m’équiper…Le Professeur Tournesol me servira de modèle.
(Tel le Professeur Tournesol, je vais arpenter avec mon pendule la « Place aux filles »)
Je me suis procuré un bon livre et des outils de sourcier et de radiesthésiste : baguette et pendule. Je vais apprendre, je vais m’entraîner, je n’ai pas dit mon dernier mot…
(De mon pendule et de ma baguette magiques surgira une nouvelle légende de la « Place aux filles ». Notre fidèle lectorat en aura la primeur)
Daniel Bas, 12 mars 2011.
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