Dans les hôtels d‘Afrique ou d‘Asie, les Allemands pénètrent au pas de charge dans la salle du petit-déjeuner et saluent aussitôt leurs congénères d’un Guten Morgen joyeux et sonore, qui se répercute de table en table en une longue incantation polyphonique.
Ces curieux motets soutenus par les voix des solistes, qu’accompagnent une ou deux basses continues et sobres, ont l’art de transformer un banal restaurant en un réfectoire anachronique de moines cisterciens.
Leur première préoccupation est d’évaluer la qualité et la quantité des charcuteries proposées au buffet.
Puis ils inspectent les petits pains, certainement moins croustillants que les Brötchen de leur pays, mais ils sont raisonnables et se contenteront pour aujourd’hui de ce qu’on leur offre.
Quant au café, ils tiennent à y rajouter de l’eau chaude : ils ont l’habitude d’en déguster chez eux cinq ou six tasses d’affilée.
Ils se lèvent souvent pour tester les saucisses ou les fruits exotiques et froncent les sourcils, signe évident de leur attitude besogneuse en la matière.
Car le Frühstück est une affaire beaucoup trop sérieuse pour négliger un seul des plats étalés sur les nappes.
C’est un élément essentiel de leur culture, un rite, une religion.
D’ailleurs, pendant la longue et éprouvante bataille de Stalingrad de l’hiver 42, certains soldats de la Wehrmacht ne pouvaient s’empêcher de verser une larme de nostalgie pour ces moments de pur bonheur en famille dont leur chef les privait.
Le culte du petit-déjeuner entretenu par les peuples germaniques est aussi profondément ancré dans les mœurs que la fameuse dinde du Thanksgiving des Américains.
JAC, le 22 septembre 2013
Les commentaires récents