Il y a peu de temps encore je me demandais pourquoi mon frère photographiait les vaches lors de ses voyages. J'ai compris le jour où l'une d'elles, plus familière que d'autres, a osé fourrer son museau sous mon aisselle... me faisant rater ainsi la photo que je voulais prendre du volcan ou du Piton des Neiges. "Intéresse-toi donc un peu à nous de temps en temps ! Tu ne te passionnes que pour les tribus d'Ethiopie ou les temples khmères..." me fit-elle en ruminant son amertume. Merci ma belle ! Tu m'as ouvert les yeux. Le moment est venu de parler de vos robes, de vos cuisses et de vos yeux cerclés de nostalgie.
C'est vrai, j'ai grand plaisir à parcourir la terre pour y rencontrer des peuplades attachantes. J'ai toujours pensé qu'il y avait urgence à sauvegarder les modes de vie des tribus Hamers ou Arboré d'Ethiopie, les coutumes des Masaïs du Kenya, l'insouciance, la nonchalance des Vézos, ces nomades de la mer de la côte sud-ouest de Madagascar. Mais les vaches de la planète ont tout autant besoin de notre affection et de nos regards protecteurs envers leur confort, leur bien-être et la qualité de leurs repas. Cessons de dire pis que pendre sur l'odeur de leur fiente. Ecoutons leur doux beuglement dans l'air frais du petit matin. En ce qui me concerne, le meuglement des vaches m'émeut...
Celle que je connais le mieux est, bien sûr, LA VACHE NORMANDE :
(Merci à l'excellent blog www.photo-de-vaches-com)
Grande de taille, belle de croupe, aussi bonne laitière que bouchère, cette créature de rêve produit 6000 litres de lait par an. Elle pèse en moyenne entre 700 et 800 kg, légèrement plus que les lutteurs de Sumo. Manteau "blond" parcouru de fines taches brunes, souple de hanche, elle attire l'oeil du peintre, l'objectif du photographe et les amateurs d'onglet à l'échalote. La vache normande est comme son maître : toute en nuances et en subtilités. Son lait est riche, autant que son propriétaire. Dans un troupeau on la reconnaît facilement à ses yeux d'intellectuelle : elle porte des lunettes !
Ses qualités sont nombreuses: fertilité, longévité, se laisse conduire sans difficulté, même sans permis. C'est une vache facile mais fidèle.
LA VACHE DE SALERS : Elle serait issue de l'aurochs que nos ancêtres représentaient sur les parois des grottes du Quercy. Ou peut-être des bisons futés d'Europe du nord, venus accompagner les peuples germaniques dans leurs migrations saisonnières.
Belle plante elle aussi, elle n'a rien à envier à sa collègue normande, avec sa jolie robe acajou foncé, ses poils longs et frisés, ses fines cornes de couleur claire en forme de lyre qui vous poussent à la poésie. Race mixte, apte à produire de la viande de qualité et des photos esthétiques.
Cette vache au caractère bien trempé, ne se laisse traire qu'en présence de son veau.
LA VACHE BRETONNE : sympathique au premier contact, on la dit "noire de Pie" et philosophe à ses heures. C'est la plus petite des françaises, 450 kg en moyenne.
Blanche et noire, allure élégante, poitrine ample et profonde, elle est bonne laitière et vêle toute seule comme une grande.
LA VACHE ECOSSAISE : ses longs poils la protègent du froid. Ancêtre préhistorique des vaches domestiques, elle fait penser aux peintures rupestres des grottes de Lascaux. Elle fut utilisée pour reconstituer l'aurochs.
LA VACHE SUISSE : montagnarde et bonne fromagère, elle fournit un lait au fort taux protéique. Résistante à la chaleur, au froid, à la faim, à la soif, à l'altitude. Cuisses musclées, robe gris souris, mufle ardoisé, cornes courtes en forme de lyre. Prudente, calculatrice, peu égoïste quand même, la vache suisse fait des rations...
LA VACHE INDIENNE : très belle, patiente et sûre d'elle, elle rivalise d'audace ou d'inconscience avec les camions aux carrefours.
Dans le Mahâbhârata, il est dit que "Quiconque tue une vache, brûlera en enfer autant d'années qu'elle avait de poils sur le corps"...Mais, prenez garde, ne l'embrassez jamais sur la bouche, réputée impure : elle a menti à Shiva pour faire plaisir à Brahma ! La vache ! C'est pas bien ! Mais ce n'est pas pour cette raison qu'elle fait plus le trottoir que la prairie d'embouche.
La place nous manque pour parler de toutes les vaches de la terre. Nous avons beaucoup de tendresse pour toutes, qu'elles soient de Toulon, Toul ou Toulouse, pour les bordelaises un peu girondes, les vaches slovaques qui vaquent à leurs occupations. La vache qui drague couine, celle du Laos déprime, la vache des Orfèvres est toquée, celle de Balzac est honorée, enfin, la vache de Beyrouth n'aime pas que le Liban cale.
L'engouement pour ces animaux paisibles n'est pas nouveau. Ouvrons un peu quelques pages célèbres de notre patrimoine littéraire. Ce poème d'Arthur Rimbaud ne nous rappelle-t-il pas notre enfance à la campagne ?
"..Le soir ?...Nous reprendrons la route
Blanche qui court
Flânant, comme un troupeau qui broute,
Tout à l'entour
Les bons vergers à l'herbe bleue
Aux pommiers torts !
Comme on les sent toute une lieue
Leurs parfums forts !
Nous regagnerons le village
Au ciel mi-noir ;
Et ça sentira le laitage
Dans l'air du soir ;
Ca sentira l'étable, pleine
De fumiers chauds,
Pleine d'un lent rythme d'haleines,
Et de grands dos
Blanchissant sous quelque lumière;
Et, tout là-bas,
Une vache fientera, fière,
A chaque pas...
Rimbaud, Les réparies de Nina
Ouvrons une page de Maupassant écrite dans son château à Miromesnil :
"Le vagabond", extrait
"La nuit venait, couvrant d'ombre les champs.
Il aperçut, au loin, dans un pré, une tache sombre sur l'herbe, une vache. Il
enjamba le fossé de la route et alla vers elle, sans trop savoir ce qu'il
faisait.
Quand il fut auprès, elle leva vers lui sa grosse tête, et il pensa :
"si seulement j'avais un pot, je pourrait boire un peu de lait."
Il regardait la vache ; et la vache le regardait ; puis, soudain, lui lançant
dans le flanc un grand coup de pied : "Debout !" dit-il.
La bête se dressa lentement, laissant pendre sous elle sa lourde mamelle ;
alors l'homme se coucha sur le dos, entre les pattes de l'animal, et il but,
longtemps, longtemps, pressant de ses deux mains le pis gonflé, chaud, et qui
sentait l'étable. Il but tant qu'il resta du lait dans cette source vivante.
Mais la pluie glacée tombait plus serrée, et toute la plaine était nue sans
lui montrer un refuge. Il avait froid ; et il regardait la lumière qui
brillait entre les arbres, à la fenêtre d'une maison.
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La vache s'était recouchée, lourdement. Il s'assit à
coté d'elle, en lui flattant la tête, reconnaissant d'avoir été nourri. Le
souffle épais et fort de la bête, sortant de ses naseaux comme deux jets de
vapeur dans l'air du soir, passait sur la face de l'ouvrier qui se mit à dire
: "Tu n'as pas froid là-dedans, toi."
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Maintenant, il promenait ses mains sur le poitrail,
sous les pattes, pour y trouver de la chaleur. Alors une idée lui vint, celle
de se coucher et de passer la nuit contre ce gros ventre tiède. Il chercha
donc une place, pour être bien, et posa juste son front contre la mamelle
puissante qui l'avait abreuvé tout à l'heure. Puis, comme il était brisé de
fatigue, il s'endormit tout à coup.
Mais, plusieurs fois il se réveilla, le dos ou le ventre glacé, selon qu'il
appliquait l'un ou l'autre sur le flanc de l'animal ; alors il se retournait
pour réchauffer et sécher la partie de son corps qui était restée à l'air de
la nuit ; et il se rendormait aussitôt de son sommeil accablé.
Un coq chantant le mit debout. L'aube allait paraître ; il ne pleuvait plus ;
le ciel était pur.
La vache se reposait, le mufle sur le sol ; il se baissa en s'appuyant sur
ses mains, pour baiser cette large narine de chair humide et il dit :
"Adieu ma belle ... à une autre fois ... t'es une bonne bête ... Adieu
...".
Puis il mit ses souliers, et s'en alla."
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Terminons par cette évocation colorée du marché de Goderville, dans La ficelle:
LA
FICELLE Guy de Maupassant
"Sur
toutes les routes autour de Goderville, les paysans et leurs femmes s'en
venaient vers le bourg, car c'était jour de marché. Les mâles allaient, à pas
tranquilles, tout le corps en avant à chaque mouvement
de leurs longues jambes torses, déformées par les rudes travaux, par la pesée
sur la charrue
qui fait en même temps monter l'épaule gauche et dévier la taille, par le
fauchage des blés qui fait écarter les genoux pour prendre un aplomb solide,
par toutes les besognes lentes et pénibles de la campagne. Leur blouse bleue,
empesée, brillante, comme vernie, ornée au col et aux poignets d'un petit
dessin de fil blanc, gonflée autour de leur torse osseux, semblait un ballon
prêt à s'envoler, d'où sortait une tête, deux bras et deux pieds. Les
uns tiraient au bout d'une corde une vache, un veau. Et leurs femmes, derrière
l'animal, lui fouettaient
les reins d'une branche encore garnie de feuilles, pour hâter sa marche. Elles
portaient au bras
de larges paniers d'où sortaient des têtes de poulets par- ci, des têtes de
canards par- là. Et
elles marchaient d'un pas plus court et plus vif que leurs hommes, la taille
sèche, droite et drapée dans un petit châle étriqué, épinglé sur leur poitrine
plate, la tête enveloppée d'un linge blanc collé sur les cheveux et surmontée
d'un bonnet. Puis
un char à bancs passait, au trot saccadé d'un bidet, secouant étrangement deux
hommes assis côte
à côte et une femme dans le fond du véhicule, dont elle tenait le bord pour
atténuer les durs cahots.
Sur
la place de Goderville, c'était une foule, une cohue d'humains et de bêtes
mélangés. Les cornes des
boeufs, les hauts chapeaux à longs poils des paysans riches et les coiffes des
paysannes émergeaient
à la surface de l'assemblée. Et les voix criardes, aiguës, glapissantes,
formaient une clameur
continue et sauvage que dominait parfois un grand éclat poussé par la robuste
poitrine d'un campagnard
en gaieté, ou le long meuglement d'une vache attachée au mur d'une maison. Tout
cela sentait
l'étable, le lait et le fumier, le foin et la sueur, dégageait cette saveur
aigre, affreuse, humaine et bestiale, particulière aux gens des champs."
On le voit, contrairement aux récentes orientations de la Mondialisation, LA VACHE EST L'AVENIR DE L'HOMME...
(
(Ne nous laissons pas impressionner par toutes ces vacheries...Le monde est violent et va de mal en pis, certes, mais prenons le taureau par les cornes ! Apprenons à caresser nos vaches dans le sens du poil...)
JAC, le 19 mars 2009
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